La vie de François Grudet, né en 1946 en Eure-et-Loir, ressemble à un roman d’aventures. Descendant de céréaliers de la Beauce, agriculteur lui-même, le destin l’a conduit jusqu’au désert libyen où il a mis au point des techniques de culture aux résultats probants. Paysan, chercheur, entrepreneur, le voici aujourd’hui lanceur d’alerte.
Dans son ouvrage Biogate, pour en finir avec l’utopie du bio, il dénonce une agriculture biologique qui serait loin de la promesse « 100 % naturelle » qu’on lui attribue. Il prône pour sa part une agriculture « raisonnée et scientifique ». Une pratique plus intelligente, plus responsable… et plus transparente.
Vous dénoncez l’agriculture biologique comme une fausse promesse. Est-ce vraiment le bio la fausse promesse, ou ce que le marché mondial en fait ?
« Je le précise d’emblée, je ne suis pas l’ennemi de l’agriculture biologique. J’en étais même un fervent défenseur dans les années 1980, où elle m’apparaissait comme l’affirmation de bonnes pratiques. Mais la donne a changé : le bio est devenu un marché colossal, avec une croissance à deux chiffres. Sous le prétexte d’encourager le développement du bio, la réglementation européenne a multiplié les dérogations, les autorisations de produits qui éloignent de la promesse initiale. On a tué la vertu. En 2018, l’Europe autorisait 327 intrants dans le bio, dont 140 produits de synthèse. En 2021, vous pouvez en ajouter au moins 50. Si bien que l’on vend aujourd’hui sous label bio une majorité de produits qui ne sont qu’industriels. »
Mais alors, quel modèle agricole serait-il à vos yeux le plus vertueux ?
« Si je parle d’agriculture raisonnée, le terme est mal compris, parce que galvaudé par certains. Parlons plutôt d’agriculture intelligente, scientifique, ou rationnelle. Cela semble être une lapalissade, mais pour une bonne production agricole, il faut commencer par faire confiance à l’agriculteur. L’agriculture, c’est un soin de tous les jours. Si vous ne soignez jamais vos plantations, vous n’aurez jamais de bons résultats. Pour le soin, je fais le parallèle avec ce que fait un médecin pour son patient : si vous êtes malade, il aura recours à des principes actifs pour vous guérir. Le but n’est pas de transformer votre corps en usine chimique, mais de vous administrer la juste dose pour vous rendre votre bonne santé. C’est exactement pareil en agriculture : si vous prenez les problèmes au départ, vous aurez besoin de très peu de produits. Il faut, là encore, combattre une idée reçue : l’agriculture d’aujourd’hui n’est plus celle de l’après-guerre. La connaissance scientifique permet de mesurer très exactement les besoins. Elle permet ainsi d’assurer des rendements satisfaisants, de réaliser des produits de qualité à des prix accessibles. »
Vous affirmez qu’il ne peut pas y avoir du bio pour tout le monde….
« Absolument. Imaginons que la totalité de la surface agricole française soit convertie au biologique, nous aurions la capacité à produire le tiers des besoins alimentaires des 67 millions d’habitants de notre pays. Ni moins ni plus. Outre le fait que nous n’aurions rien à exporter, cela signifierait que nous devrions importer les deux tiers de notre alimentation. Je vous fais grâce du désastre économique et du bilan carbone dramatique de l’opération, car il y aurait plus grave encore : en supposant toujours que nous ne voulions que du bio, et pour maîtriser les prix, nous importerions des produits qui minimisent la main-d’œuvre, ou qui sont issus de filières sans aucune éthique. Le bio de masse, qui casse les prix, détourne des enfants du chemin de l’école. Ce n’est pas une allégation en l’air, je vous promets que dans certaines régions d’Afrique, c’est le cas. »
Mais au-delà de la production de masse, n’y a-t-il pas aujourd’hui une filière bio de qualité ?
« Bien sûr que si, mais la demande est telle, soutenue à coups d’arguments marketing, qu’elle est noyée dans un océan de produits qui n’ont rien à voir avec les vertus supposées du bio. Prenez des cultures comme la tomate ou la fraise. Pour faire des fruits de qualité, il faut déjà sélectionner les bonnes variétés. Ensuite, ce sont typiquement des productions qui se font à la main, et qui exigent donc de la main-d’œuvre. Si vous allez dans le sud de l’Espagne, vous verrez que ce n’est pas exactement comme cela que l’on travaille. Et pourtant, on est dans le label bio ! Et voilà comment on retrouve des produits quelconques, qui n’ont de biologique que la réputation, mais vendus à des prix exorbitants, avec des marges colossales des distributeurs. Le consommateur de produits bio parle souvent de sa démarche responsable. Peut-être faudrait-il qu’il réfléchisse au vrai sens de ce mot. »
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