États généraux de la justice : une tribune de 3.000 magistrats dénonce les injonctions «de faire du chiffre»
Signé par plus d'un tiers de la profession, ce texte rare pour des juges soumis au devoir de réserve, dénonce une «logique de rationalisation qui déshumanise et tend à faire des magistrats des exécutants statistiques».
Un collectif de 3.000 juges, substituts et greffiers dénonce dans une tribune publiée mardi dans le journal Le Monde, le manque de moyens dans la justice. Évoquant le suicide d'une de leur jeune consœur magistrate en août dernier, les auteurs dénoncent «des conditions de travail difficiles» et «des injonctions d'aller toujours plus vite et de faire du chiffre».
«Autour de nous, les arrêts maladie se multiplient, tant chez les nouveaux magistrats que chez les magistrats plus expérimentés. L'importante discordance entre notre volonté de rendre une justice de qualité et la réalité de notre quotidien fait perdre le sens à notre métier et crée une grande souffrance», rapporte la tribune, qui réunit les signatures de plus d'un tiers des membres de la profession.
Les auteurs évoquent notamment des audiences surchargées, des procédures classées sans suite... «Nous sommes trop souvent contraints de traiter chaque dossier de divorce ou de séparation en quinze minutes», témoignent les juges aux affaires familiales. «Nous devons présider des audiences de 9 heures à 15 heures, sans pause, pour juger 50 dossiers ; après avoir fait attendre des heures des personnes [...] nous n'avons que sept minutes pour écouter et apprécier leur situation dramatique», déplorent quant à eux les juges civils de proximité.
Etats généraux de la justice: et maintenant ?
«Vision gestionnaire de la justice»
Les juges correctionnels regrettent pour leur part dans la tribune de devoir «choisir entre juger à minuit des personnes qui encourent des peines d'emprisonnement, ou décider de renvoyer des dossiers aussi complexes que des violences intrafamiliales à une audience qui aura lieu dans un an».
Si les magistrats dénoncent un manque de moyens, ils regrettent sur le fond que la justice «n'écoute pas» et «raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre tout et comptabilise tout». «Nous comprenons que les personnes n'aient plus confiance aujourd'hui en la justice que nous rendons, car nous sommes finalement confrontés à un dilemme intenable : juger vite mais mal, ou juger bien mais dans des délais inacceptables».
À l'occasion des états généraux de la justice, les juges appellent donc à réviser cette «vision gestionnaire de la justice», cause de «l'affaiblissement de l'État de droit». «Il doit être question avant tout d'humanité», plaident les magistrats, pour lutter «cette logique de rationalisation qui déshumanise et tend à faire des magistrats des exécutants statistiques».
Ouverts fin octobre, les états généraux de la justice initiés par le président de la République devraient se pencher sur plusieurs dossiers brûlants comme l'inflation judiciaire à quelques mois de la fin de son mandat ou la suppression de la Cour de justice de la République.
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