Passé quasiment inaperçu lors de sa publication, en décembre 2019, sans doute en raison du chaos lié à la réforme des retraites, le rapport des magistrats de la juridiction financière dévoile le côté sombre de l’instance professionnelle des médecins.
Salaires très élevés, dérives financières et déontologiques, gestion opaque et peu rigoureuse, absences de contrôle des conflits d’intérêts, budgets de communication mal maitrisés, lacunes en matière de parité… La Cour des comptes a ausculté l’instance de contrôle des médecins. Et le diagnostic n’est pas des plus encourageants.
Traitement de choc
Les griefs sont légion. Dans leur rapport définitif publié en
décembre 2019 – passé inaperçu pour cause de grève lié au débat sur les
retraites – les magistrats de la Cour des comptes font un état des lieux
peu reluisant de l’Ordre des médecins. Le diagnostic est si préoccupant
qu’un traitement de choc est prescrit aux toubibs.
L’organisme a été contrôlé par l’IGAS il y a dix ans et en 2011 par la
Cour des comptes. Mais, depuis, la situation n’a guère évolué
semble-t-il . L’Ordre des médecins apparait encore comme un mauvais
élève ou plutôt comme un mauvais étudiant en « gestion » de la médecine.
Nous avons épluché ce rapport définitif. Il n’est pas tendre avec la
gouvernance de l’Ordre tant au niveau de son Conseil National qu’au
niveau des 46 Conseils départementaux (sur 101) et les 24 conseils
régionaux. Organisme dont le rôle « est de veiller au respect des
principes de moralité, probité, compétence et dévouement indispensables à
l’exercice de la médecine »
Une gestion hasardeuse
Riche de 300.000 médecins et à raison d’une cotisation individuelle
de 335 euros, l’Ordre des médecins dispose d’un budget annuel de 85
millions d’euros. Ses réserves sont abondantes : 152 millions d’euros
soit deux années de cotisations. Pour faire fructifier ce magot, le
Conseil a choisi de placer 106 millions d’euros en compte à terme ou en
valeurs mobilières de placement. De l’argent qui aurait pu permettre
d’aider financièrement de jeunes médecins désireux de remplir le désert
médical !
Mais surtout, ce que constate la Cour, c’est une gestion « caractérisée par des faiblesses, voire des dérives préoccupantes ».
Entre 2011 et 2017 la masse salariale du Conseil National a augmenté de
58%. Raison essentielle : une hausse de 40 % de ses effectifs.
Au passage, la Cour remarque que le recrutement prend des airs de
népotisme. Elle a constaté une fâcheuse tendance à privilégier les liens
familiaux. Avec cet exemple emblématique pour le moins choquant : l’élu
qui fixe les salaires et les primes des salariés n’a pas hésité à
recruter sa fille et, un vice-président, sa nièce !
En interne, la politique salariale n’est pas des plus désavantageuses.
Et a de quoi faire tousser un certain nombre de généralistes de
province.
Complément de salaire
Jugez plutôt : la moyenne des rémunérations les plus élevées est de
100 000 euros bruts par an – 8300 euros par mois. Le salarié le mieux
rémunéré du Conseil national « a perçu en moyenne 8 900 € nets par
mois en 2017, ce qui le place 7 % au-dessus du seuil des 1 % de salariés
les mieux rémunérés du secteur privé ».
Qui plus est, certains cadres, notamment à la direction informatique, se
sont vus attribuer des primes d’astreinte et d’heures supplémentaires
d’un montant annuel de 8000 euros ! Joli complément de salaire.
Quant au Président de l’Ordre, il touche 9177 euros par mois en
indemnités brutes forfaitaires et le trésorier 7245euros. Plus des
indemnités de déplacement, d’hébergement ou de restaurant en hausse
permanente.
Déroute départementale
Au niveau des conseils départementaux c’est la déroute. Un tiers
d’entre eux n’ont pas été en mesure de transmettre les documents
comptables demandés. Plus grave encore « la comptabilité de
plusieurs départements n’a pas été tenue pendant plusieurs années et
l’une d’entre elles avait été détruite avant le passage de la Cour ».
Autre anomalie et non des moindres décelée au cours de cette enquête « le Conseil national n’a pas de connaissance précise de la valeur de son patrimoine immobilier » estimé par la CDC à 110 millions d’euros mais dans la réalité certainement plus élevée.
Un budget communication délirant
Selon la CDC, le budget com’ est passé de 1,5 M€ en 2011 à près de 4,1 M€ en 2017.
Plus d’un million est consacré au congrès annuel de l’Ordre qui
rassemble un millier de personnes. Chaque année plus de 1,7 M€ sont
dépensés pour la rédaction et l’envoi par courrier de bulletins alors
qu’un simple envoi par mail suffirait amplement à faire des économies
Des conflits d’intérêts
Dans le domaine très sensible des relations entre les médecins et les
industriels, de nombreux abus ont été relevés. A l’origine, l’absence
d’un contrôle strict. A l’appui de cette affirmation, plusieurs exemples
sont cités qui en disent long sur des pratiques très douteuses. Tout
d’abord celui de l’un des membres non élus de la Commission Nationale.
Celui-ci a « omis » de déclarer les rémunérations qu’il avait perçues de
laboratoires pharmaceutiques, alors qu’il siégeait au sein de la
commission des relations médecins industrie.
Plus éloquent encore, le cas de ce médecin « le Dr X pneumologue qui
a participé à onze congrès internationaux entre 2016 et 2018 pour un
coût dépassant 27 000 €, invité par des sociétés spécialisées dans les
dispositifs médicaux respiratoires. Pas moins de 37 autres conventions
le concernant (pour un montant de 47 000 €) ont été transmises au
Conseil national depuis 2012 pour des congrès se tenant notamment à
Santa Monica, Port Louis, Dubaï, Port Elizabeth, Amsterdam, Marrakech,
Los Angeles, Saint-Pétersbourg, Chicago, Yokohama et Milan.
Le conseil départemental où il est inscrit n’a jamais émis d’avis
défavorable. Le Conseil national, quant à lui, a donné trois avis
défavorables en 2017 dont l’un pour le congrès Gulf thoracic se tenant à
Dubaï, ce qui n’a pas empêché le Dr X d’y participer ! » Et sans qu’il soit le moins du monde sanctionné.
Parité hommes-femmes non respectée
L’ordre des médecins serait-il « macho » ? On est en droit de le penser car, relève la Cour « l’ordre compte près de 3300 conseillers mais moins d’un tiers sont des femmes » et note qu’« à
l’issue du renouvellement partiel issu des élections de juin 2019, le
nouveau Conseil national ne compte encore que 15 femmes sur 56 membres
et le nouveau bureau 2 sur 17. Les femmes sont sous-représentées : elles
constituent 31 % des élus ordinaux et 9 % seulement au Conseil
national. Le corps médical est pourtant composé de 46 % de femmes. » Le fait que la moyenne d’âge des membres du conseil national soit de 68 ans y est-il pour quelque chose ?
Face à ce bilan peu glorieux, la Cour des comptes a fait comme à son
habitude un certain nombre de recommandations. Les plus importantes
tendent à ouvrir les instances dirigeantes de l’Ordre à des non-médecins
et à apporter plus de transparence à la fois dans la gestion et les
procédures à l’encontre des médecins.
Sera-t-elle suivie?
Nous avons demandé la réaction de l’Ordre National des Médecins. Nous publierons bien volontiers sa réponse dès qu’elle nous sera parvenue.
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