20 septembre 2021

Face aux pénuries de certains médicaments...

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Délocalisations, tensions d'approvisionnement, ruptures de stock, pénuries... Le grand public a découvert l'an dernier, à la faveur de la crise sanitaire, que notre santé pouvait, parfois, se trouver entre les mains d'un tout petit nombre d'industriels. En l'occurrence, quelques producteurs, souvent localisés en Asie, qui fournissent la planète entière en principes actifs, ces molécules au cœur de nos médicaments.

Au printemps 2020, l'approvisionnement difficile en curares, dont les anesthésistes-réanimateurs ne peuvent se passer pour placer des malades du Covid en coma artificiel, avait donné des sueurs froides aux responsables hospitaliers. Mais de nombreux patients, notamment ceux atteints de tumeurs, pâtissent en réalité depuis déjà plusieurs années de pénuries. Avec la crise la situation n'a fait qu'empirer, malgré quelques mesures annoncées par les pouvoirs publics. Au point que la Ligue contre le cancer lance aujourd'hui une nouvelle campagne pour pousser le gouvernement à se mobiliser davantage sur cette question. Le Pr Jean-Paul Vernant, professeur honoraire d'hématologie, et vice-président de la Ligue, en détaille les enjeux pour l'Express. Entretien.  

L'Express. Des mesures ont été prises pour lutter contre les ruptures d'approvisionnement en médicaments essentiels. Pensez-vous qu'elles puissent changer la donne ?  

J-P V. A ce stade, les données de l'Agence nationale de sécurité du médicament montrent une nette dégradation de la situation. Nous sommes passés de 700 cas de tensions d'approvisionnement en 2007 à 1400 en 2019 et à 2480 en 2020. C'est colossal. Il n'existe pratiquement aucun médicament contre le cancer aujourd'hui dans le domaine public pour lequel il n'y a pas eu de difficultés à un moment ou à un autre, avec des conséquences parfois dramatiques pour les patients. Face à cela, la seule mesure concrète vise à obliger les industriels à assurer deux mois de stocks, et jusqu'à quatre mois dans certains cas - lorsqu'il y a déjà eu des tensions, ou quand on trouve seulement un ou deux producteurs du principe actif au niveau mondial. Six mois auraient été préférables, mais nous allons déjà essayer de faire en sorte que ce soit bien quatre mois pour les traitements anticancéreux, qui sont nombreux malheureusement à répondre aux critères fixés. Reste qu'en dehors de cette obligation pour les industriels de prévoir des stocks, plutôt que de travailler en permanence en flux tendus, rien ne change.  

"Des études devraient être menées pour évaluer l'impact des pénuries sur les malades"

Tous les médicaments sont-ils concernés, y compris les innovations thérapeutiques ?  

Ces ruptures touchent avant tout des produits anciens et peu coûteux, qui forment en réalité l'essentiel de la pharmacopée, et qui restent indispensables dans de nombreuses maladies. Leur principal point commun est de ne pas être assez rentables aux yeux de l'industrie pharmaceutique. C'est ainsi par exemple que Sanofi s'est désengagé de la production de BCG intravésical, un produit pourtant très important pour le cancer de la vessie. Un autre industriel le produisait, mais en petites quantités, et il s'est lui-même trouvé en difficulté pour le fabriquer. Les ruptures qui en ont résulté obligent à recourir à des résections (ablations) de la vessie, lourdes et invalidantes pour les malades.  

En dehors de la constitution de stocks suffisants, que proposez-vous pour améliorer la situation ?  

La Ligue contre le cancer demande que les pouvoirs publics recensent de façon systématique les malades privés du traitement prescrit initialement par leur médecin. Nous souhaitons aussi qu'un système d'information permette de renforcer la transparence sur l'origine, la durée et l'historique des pénuries, et que les patients aient accès à cette information, conformément à la loi du 4 mars 2002. Des études devraient aussi être menées pour évaluer l'impact des pénuries de médicaments sur la santé des malades. Enfin, la Ligue voudrait voir mises en oeuvre des sanctions financières à l'égard des industriels qui ne respectent pas leurs engagements. A titre personnel, je pense aussi que l'Etat devrait s'impliquer dans la production des médicaments essentiels.  

De quelle façon ?  

Il ne s'agit pas que l'Etat fabrique lui-même ces produits, ce serait irréaliste. En revanche, la puissance publique pourrait créer un "établissement français du médicament". Il serait titulaire des autorisations de mise sur le marché, et organiserait la production des molécules tombées dans le domaine public, avec le concours de fabricants de principes actifs et de façonniers français ou européens. Il faudrait que d'autres établissements du même type soient créés ailleurs en Europe, pour que les différents pays puissent se répartir les tâches et couvrir l'ensemble des molécules utiles. Les tensions sur les curares pendant la première phase de la pandémie nous ont montré à quel point cette question de la localisation des principes actifs était essentielle. Des entreprises françaises de la synthèse pharmaceutique sont prêtes à s'engager, il est temps d'agir. Une organisation de ce type existe aux Etats-Unis, où plus de 850 établissements de santé, lassés des pénuries répétées, ont créé et financé une structure (Civica), qui a commencé à produire et à distribuer des médicaments du domaine public à prix coûtant.  

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