Plusieurs pays ont annoncé l’autorisation imminente d’une troisième injection de vaccin anti-Covid afin de faire face au variant Delta. Alors que la question se pose ouvertement en France, on est loin du consensus scientifique. Pour le pharmacologue Bernard Bégaud, les labos sont les premiers à gagner dans cette affaire.
Après la double dose, la triple dose? C’est du moins la stratégie adoptée par l’Allemagne, Israël et la Grande-Bretagne tout récemment. Face au variant Delta, réputé plus contagieux, les trois pays ont décidé d’autoriser une troisième injection de vaccin pour les personnes vulnérables et immunodéprimées. Outre-Rhin, un projet de loi du ministère de la Santé prévoit son instauration dès le 1er septembre prochain. En Israël, les plus de 60 ans peuvent recevoir une troisième dose depuis ce vendredi 30 juillet. Une «connerie monumentale» selon Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l’université de Bordeaux, interrogé par Sputnik à ce sujet:
Pour l’auteur de La France malade du médicament (Éd. de L'Observatoire), le fait d’envisager une troisième injection alors que la campagne vaccinale n’est achevée dans aucun pays est même «totalement contre-productif». «Si on évoque déjà une troisième dose, les gens vont penser que la vaccination ne fonctionne pas», argue-t-il.
Troisième injection: pas d’effet avéré sur certains immunodéprimés
Le 12 juillet dernier, lors de son allocution, Emmanuel Macron avait pourtant annoncé la mise en place, «dès les premiers jours du mois de septembre», d’une campagne de rappel pour les primo-vaccinés. Quelques jours plus tard, la Haute autorité de Santé (HAS) avait pris le contre-pied du Président de la République. Dans un avis rendu le 16 juillet dernier, la HAS écarte «pour le moment» l’option d’une troisième dose. Sauf pour les plus vulnérables et les plus âgés. «Les données disponibles à ce jour ne permettent pas d’évaluer précisément l’impact ni la nécessité d’un tel rappel sur la prévention des échecs vaccinaux», explique l'autorité publique.
Pis, comme l’explique auprès de Marianne Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations de la HAS, «une proportion non négligeable des personnes immunodéprimées ne répond pas non plus à la troisième injection».
Ces doutes sont également partagés de l’autre côté de l’Atlantique. Aux États-Unis, les deux entités médicales FDA et CDC estiment que «les Américains qui ont été entièrement vaccinés n'ont pas besoin d'un rappel à l'heure actuelle», faute de preuves scientifiques sur la pertinence d’une troisième injection. «On nous parle de troisième dose, mais l’essentiel n’est pas connu: quelle est la durée de protection induite par les deux doses des vaccins? Je suis étonné qu’on ne le sache pas déjà», s’interroge Bernard Bégaud.
Le jackpot pour les labos?
À ce sujet, Pfizer assure que «la protection contre les cas graves de la maladie reste haute durant six mois». Face à un «un déclin dans l’efficacité du vaccin contre les cas symptomatiques» et en raison de «l’émergence de variants», Pfizer/BioNTech reconnaît ainsi dans un communiqué paru le 9 juillet dernier «qu'une troisième dose pourrait être nécessaire entre six et douze mois après la vaccination». En effet, le Pfizer ne serait plus efficace qu'à 39% contre l'infection au variant Delta, comme l’a annoncé récemment le ministère de la Santé en Israël.
Dans ses présentations aux investisseurs, Pfizer pousse très fort pour une troisième dose en raison d'une immunité contre l'infection qui serait en baisse. Ce n'est bien sûr qu'un argumentaire pour les financiers et pas une étude en bonne et due forme. pic.twitter.com/dkuMJ1kBRR
— Vincent Glad (@vincentglad) July 28, 2021
Alors que Pfizer aurait augmenté le prix de la dose de son vaccin de plus de 60% dans l’Union européenne (19,50€ au lieu de 15,50€ jusqu’à présent), les intérêts financiers que représentent une troisième injection pour l’industrie pharmaceutique ne font pas l’ombre d’un doute pour Bernard Bégaud:
«Cela fait partie du plan de développement économique et actionnarial des labos. Je ne serais pas surpris que, à la rentrée, une étude financée par Pfizer démontre qu’une troisième dose est indispensable», ironise Bernard Bégaud.
Plus inquiétant, les risques liés à une troisième injection sont encore peu connus, souligne le chercheur à l’Inserm. «Chez les enfants, personnellement, je ne la ferais pas car plus on est jeune, plus on est réactogène. Il ne faut pas jouer avec le feu», prévient-il.
Une troisième dose… au détriment des pays pauvres?
Outre les inquiétudes liées à l’efficacité ou aux risques encourus, «l’égoïsme» et la «cupidité» des pays riches par rapport à la vaccination sont pointés du doigt par le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Et il n’a pas manqué non plus de s’en prendre aux grands labos.
«Moderna et Pfizer ne devraient pas donner la priorité à l'approvisionnement de doses en tant que boosters d'immunité dans les pays où la couverture vaccinale est relativement élevée», a-t-il martelé en conférence de presse. «Nous avons besoin qu'ils mettent tout en œuvre pour acheminer l'approvisionnement vers Covax, l'Africa Vaccine Acquisition Task Team et les pays aux revenus faibles et moyens».
Selon Le Monde, au niveau planétaire, seul 1% des doses administrées l’a été dans les pays pauvres. Si plus de la moitié de la population a déjà reçu au moins une dose aux États-Unis ou dans l’Union européenne, à peine plus de 30% des habitants de l’Amérique du Sud en ont bénéficié. Seuls 2% de la population africaine seraient déjà immunisés. Dans un contexte de pandémie, le «devoir de solidarité» devrait être une priorité, acquiesce Bernard Bégaud:
«Même si on est égoïste, il faut contrôler les foyers épidémiques les plus multiplicatifs (Inde, Brésil, Afrique) si l’on veut éviter que des variants bien plus dangereux surviennent à l’avenir», avertit le chercheur.
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