La chose m’avait frappé tout de même, comme une similitude de la perception, entre cette poudre d’escampette honteuse de Bagram et les hélicos sur le toit de l’ambassade US à Saigon, en avril 1975. Cela m’avait frappé, moi qui ai suivi presque de bout en bout, comme professionnel de la plume, les trois quarts du conflit vietnamien jusqu’à cet achèvement funeste du printemps d’il y a presque un demi-siècle. Ainsi en étais-je venu à songer à un article où l’on ferait un parallèle entre Bagram-2021 et Saigon-1975, avec un parallèle symbolique mais bien accroché entre « Faux-fuyant et vrais fuyards à Bagram ».
Au lendemain de cette honteuse affaire de Bagram il y a un mois (début juillet), à une question d’un journaliste sur les possibilités envisageables que les circonstances de Saigon-1975 se renouvellent, avec les talibans entrant dans les jardins de l’ambassade des USA à Kaboul-2021, Biden avait répondu dans son mâché habituel mais selon une leçon bien apprise :
« Aucune. Zéro. Ce que vous avez eu, c’est que des brigades entières ont franchi les portes de notre ambassade, six, si je ne me trompe pas. Les talibans ne sont pas le Sud, – l’armée nord-vietnamienne. Ils ne sont pas, ils ne sont pas comparables de loin en termes de capacité.
» Il n’y a aucune circonstance possible où vous verriez des gens être enlevés du toit d'une ambassade des États-Unis en Afghanistan. Ce n’est pas du tout comparable. »
Avant-hier, lors d’une conférence de presse, Biden refusa de répondre à la moindre question sur la situation en Afghanistan, après avoir annoncé qu’il avait ordonné le déploiement de 3 000 Marines à Kaboul pour réaliser et protéger l’évacuation de tous les Américains de cette capitale et alentour. En quelque sorte, on lançait une nième invasion de la capitale afghane pour faciliter la fuite hors-Kaboul et l’exfiltration exit-Afghanistan des restes épars du triomphe de l’invasion précédente. Il y a de la logique dans tout cela, celle de l’invasion perpétuelle comme la feuille de papier où l’on inscrit en recto et verso, – “Voyez au dos de cette feuille”, – et vous avez le mouvement perpétuel.
Je plaisante à peine, à propos de cette “invasion pour faciliter la fuite et l’exfiltration”, puisqu’il y a quelques incroyables bouffons-clowns, rescapés des grandes invasion du Grand Khan GW Bush, pour se croire revenus à leur tendre jeunesse (« Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité »), – pour enchaîner en se précipitant sur la situation présente comme un sans-logis sur un McDo, et proposer que Biden change son F-35 d’épaule et commence effectivement une nouvelle invasion enchaînant (bis et suite) sur la débandade en cours... Fine, absolument fine et élégante stratégie posée sur le fumier doré de nos réflexions stratégiques qui illustrèrent la grande beauté civilisationnelle de la politiqueSystème du dernier quart de siècle.
Tenez, – lisez l’enchaînement (justement) de nos amis de WSWS.org qui retrouvent un peu de verve accordée à mon humeur pour canonner sur la Maison-Blanche, le Pentagone, le Capitole et la presseSystème, notamment le Washington ‘Post’, appartenant à la CIA via Jeff Bezos. Vous constatez que l’on commence à sérieusement critiquer la décision du pauvre Biden qui n’a fait que signer un document qu’on lui présentait.
« La comparaison avec le Vietnam est de plus en plus citée au sein de l'establishment dirigeant américain. Le leader républicain du Sénat américain, Mitch McConnell, a déclaré jeudi : “Les décisions de Biden nous précipitent vers une suite encore pire de l'humiliante chute de Saigon en 1975.”
» Les médias ont également fait entendre leur voix, mais eux en faveur d'un renouvellement de l’intervention américaine. Le Washington Post a écrit vendredi dans son éditorial que “le retrait précipité de Biden, ainsi que son refus d’offrir une aide plus significative au gouvernement afghan, risquent de provoquer un désastre”.
» Cela faisait suite à un article d’opinion dans le Post de Max Boot, un fanatique de la guerre impérialiste américaine dans tous les sens et sur tous les continents, insistant sur le fait que “la seule chose qui peut éviter une calamité encore plus grande est une volonté de Biden de revenir sur sa décision fautive et de renvoyer des avions et des conseillers américains en Afghanistan pour soutenir les forces gouvernementales avant que Kaboul ne tombe.”
» La revue ‘Foreign Policy’, quant à elle, a publié un article affirmant que “le retrait des États-Unis d’Afghanistan doit se poursuivre. Mais un nouvel engagement militaire devrait commencer.” Selon cet article, Washington pourrait y parvenir en “changeant simplement sa narrative de l’objectif de l’action militaire”, passant de la contre-insurrection à une intervention “humanitaire” visant à protéger les civils. »
Donc, on s’en va mais on revient, et puis d’ailleurs on n’est jamais vraiment parti, ni venu au reste... Un bon signe que cette catastrophe afghane en chiffonne plus d’un et trouble les esprits ; l’on sait que, dans ce cas, la communication et ses narrative est l’arme favorite de notre hyperpuissance en déclin hyper-accéléré.
Voyez d’ailleurs, à propos justement de narrative et des vilaines poussières qu’on met sous le tapis... Voici celle que suggère avec une douce autorité l’héroïque Jennifer Cafarella, comme si elle se trouvait au front, à Kaboul, dans un tweet qui fait figure de ‘feuille de route’ pour tous les braves petits soldats de la communauté transatlantique de sécurité nationale. Cela permet d’apprécier la technique générale de conduite des troupes au feu, dans l’enfer du système de la communication puisqu’il est question de mettre en scène les événements en-cours en Afghanistan, là où le bloc-BAO continue sa quête sans fin d’établissement d’un désordre libéral et moralinesque.
C’est Nabojsa Malic qui nous signale la chose, en nous précisant que la souriante et charmante Cafarella est ‘National Security Fellow’ à l’‘Institute for Study of War’ (ISR) de Washington D.C., ‘fellow’ de l’ICRS (‘International Centre for the Study of Radicalisation’) du département de la Guerre au King’s College de Londres, et encore ‘fellow’ d’un autre truc en Virginie, – une véritable machine de guerre installée dans son luxueux fauteuil comme on en trouve dans les chars M1 ‘Abrams’. Ses conseils ont la douceur de consignes éclairées par les flambées des camps scouts, pour qu’à l’unisson chantent toutes ses plumes exercées aux vertus de l’indépendance de jugement et de l’audace de la pensée.
« “C’est un jour très sombre pour l’Afghanistan. Faites très attention. Il faudra peut-être bien, pour cela, écarter certaines informations et documents”, écrit Jennifer Cafarella à ses collègues jeudi. “Certes, nous pouvons et devons témoigner. Mais il n’est pas nécessaire de nous faire du mal. Risquer des PTSD [ou TSPT, pour ‘Trouble du Stress Post-Traumatique’] et autre traumatisme n’aide en rien les Afghans”.
» Cafarella propose ensuite une liste de suggestions utiles, comme le fait de ne pas partager [to share] “des images ou des liens vers des images susceptibles de provoquer un traumatisme”, comme la chute de Kaboul, les exécutions de responsables afghans par les talibans et, en général, tout ce qui ressemble à [Saigon-1975]... »
Pendant ce temps, et plus prosaïquement, les détails des consignes de destruction des documents confidentiels, ordinateurs, documents divers, arrivaient de Washington D.C. à l’ambassade des USA à Kaboul : vieille habitude et souvenirs des anciens temps, Saigon-1975 certes, Teheran-1979, on connaît...
« Le retrait des États-Unis devient de plus en plus difficile en raison de l'avancée des talibans. Les employés de l’ambassade à Kaboul auraient reçu l’ordre de détruire les documents sensibles et les ordinateurs alors qu'ils se préparent à évacuer.
» L’ordre était contenu dans un mémo sur les préparatifs d'urgence pour le départ de la plupart des employés de l’ambassade, selon un rapport publié vendredi par NPR, qui a obtenu une copie du message. Cet ordre intervient au moment où le Pentagone dépêche 3 000 soldats à Kaboul pour assurer la sécurité des évacuations et fait suite à un avis émis jeudi par l’ambassade invitant tous les citoyens américains à fuir le pays immédiatement. »
A court de souffle pour trouver les qualificatifs qui se haussent à hauteur de cette situation d’une bassesse extraordinaire, et en attendant de le retrouver (le souffle) alors que vous voyez bien qu’on ne parle que du « moment-Saigon » de Joe Biden, – on peut relire cette citation dont le second paragraphe m’intéresse particulièrement.
« ...L’événement-Bagram devient un symbole effectivement comme le fut Saigon-1975, le 30 avril 1975, avec les images de ces gens (les Vietnamiens pro-US) embarquant à bord des hélicoptères sur le toit de l’ambassade US ; avec les hélicoptères posés sur les porte-avions au large de Saigon, et qu’on jette à la mer pour laisser de la place à d’autres qui arrivent.
» Le symbole Saigon-1975 fut un formidable accélérateur de la crise intérieure US. Jusqu’alors, cette crise s’était concentrée autour du scandale du Watergate et du départ de Nixon ; à partir du 30 avril 1975 et de ce que hurla soudain ce symptôme de l’humiliation des USA, au travers d’une communication impitoyable, la crise devint générale, s’élargissant à la mise en cause de la CIA, à la crise de l’armée (“the hollow Army”, structurellement dévastée par le conflit vietnamien), à la crise de toute la communauté de sécurité nationale. La susdite crise devint une crise de confiance aboutissant à l’élection de l’improbable Jimmy Carter. »
En effet, ce qui me semble bourgeonner à mesure de l’avancée des talibans et du réveil brutal de la communauté de sécurité nationale, c’est un phénomène un peu similaire dans la forme et dans la dynamique. Je ne parle pas des situations et des événements historiques eux-mêmes mais du choc psychologique que fut Saigon-1975 et qui semble se concrétiser de la même façon avec Kaboul-2021 (plutôt que Bagram-2021, qui ne serait alors que la mise en bouche). Effectivement se pose la question de savoir si nous sommes vraiment à ce moment-là, au « moment-Saigon » de Joe Biden, c’est-à-dire sur le point de faire entrer la débâcle de Kaboul sur la scène intérieure américaniste.
C’est évidemment la question qu’il faut se poser, sans espérer une seule seconde pouvoir lui donner une réponse, – et surtout pas une réponse raisonnable, comme par exemple une révision critique de l’absurde non-stratégie sanglante et déconstructrice de la politiqueSystème... Non, certainement pas ! Nous sommes au royaume de la démence, par conséquent s’attendre s’il vous plaît à une suite-démente...
Imaginer ce qu’une nouvelle dimension crisique, – la dimension afghane et politiqueSystème, – entrant dans la Grande Crise aux USA aurait comme effet est complètement inconcevable. Je crois bien l’avoir écrit plus d’une fois, et donc je me répète, mais cette fois avec le constat qu’on est peut-être, à lire les uns et les autres et notamment les critiques contre Biden-Système venues du Système lui-même, sur le point de passer de l’hypothétique au réel, c’est-à-dire à la vérité-de-situation du cas-dément, vraiment d’une “politique de dingue” comme l’autre Macron parlant du “pognon”.
Car souvenez-vous de ce que la conviction des choses et des êtres doit vous dire, et me fait dire certes, la situation crisique aux USA étant ce qu’elle est. L’entrée en scène de la dimension crisique afghane/politiqueSystème ne réduirait pas le reste, elle ne détournerait nullement l’attention en nous faisant oublier le wokenisme, la crise-Covid et tout ce qui s’ensuit, – non non, ces dimensions sont bien trop fortes, fixées comme autant d’arapèdes crisiques sur le grand corps couturé de cicatrices de l’américanisme. La dimension crisique afghane/politiqueSystème s’ajouterait au reste, créant de nouvelles causes créant de nouveaux effets d’accélération crisique agissant sur l’ensemble, accentuant le désordre, et ainsi de suite, et en plus avec l’inconnue de savoir quelle position les uns et les autres acteurs de la Grande Crise prendraient dans ce cas.
Non seulement “The Show Must Go On”, mais il doit aller jusqu’à l’explosion finale, jusqu’au bouquet de la désintégration. Alors, attendons voir, et bienvenu, Kaboul-2021.
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