«Tu as compris ce qui est en train de nous arriver?» demande Dominique Baudis à son épouse. Mai 2003. Le couple est en train de monter les marches du palais du Festival de Cannes. Alors président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), il vient de prendre connaissance des graves rumeurs qui circulent sur son compte le mettant en cause dans des affaires de proxénétisme, de viol et de meurtre en lien avec le tueur en série Patrice Alègre. Comment le nom de l'homme politique a-t-il pu se retrouver au coeur de cette affaire?
Lundi 12 mai 2003.
«Tout commence un matin de printemps. (...) Pendant que je signe le courrier, je vois Camille Pascal, mon directeur de cabinet, passer la tête par la porte entrouverte. (…)
– J’ai le désagréable devoir de vous informer d’une chose stupéfiante… On fait circuler votre nom autour de l’affaire Alègre.
– La rumeur, Camille, la rumeur… J’ai entendu parler à la radio de soirées barbares avec des personnalités connues. Donc, la chasse est ouverte. Et, fatalement, on traque plus volontiers le gros gibier que le petit. Tant qu’on ne saura pas toute la vérité, la rumeur courra. En attendant, ne vous inquiétez pas. J’ignore tout de ces histoires de soirées sadomasochistes qui sont peut-être complètement imaginaires»
, relate Dominique Baudis dans Face à la calomnie, le livre qu'il a écrit et paru en janvier 2005.
Affaire non classée
Le 22 février 2002, Patrice Alègre est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour plusieurs meurtres et viols. Lors de son arrestation, en septembre 1997, il a reconnu 5 meurtre, une tentative de meurtre et 6 viols mais a été mis en examen pour 4 autres meurtres. De nombreuses affaires restent irrésolues sur la région der Toulouse et les gendarmes soupçonnent Alègre d'être l'auteur d'autres meurtres. En juin 2000, ils créent la cellule «Homicide 31» et ressortent de vieux dossiers dans lesquels le tueur en série pourrait être impliqué. Parmi eux, le meurtre, en 1992, à Toulouse, d'une prostituée, Line Galbardi.
Line Galbardi, 28 ans, était une prostituée du quartier de la gae Matabiau à Toulouse. Son corps a été retrouvé, le 3 janvier 1992, dans la chambre n° 24 de l'hôtel de passe Europe. La jeune femme a été tuée pendant la nuit. Entièrement nue, agenouillée devant le bac à douche, une serviette posée sur les épaules, la prostituée est morte asphyxiée. Non élucidée l'affaire avait été classée.
Lorsqu'en 2003, les gendarmes lancent de nouvelles investigations, ils entendent, dès le mois de janvier, deux anciennes collègues de la victime: Christèle Bourre, alias «Patricia», et Florence Khelifi, alias «Fanny». Les deux femmes s'accusent d'avoir assisté à la «mise à mort» de Line, sans être intervenues pour l'empêcher. Selon Patricia, Patrice Alègre a frappé Line avant de l'étrangler sur le lit, en présence de leur souteneur, Lakhdar Messaoudène. Toujours selon elle, Line a été exécutée pour avoir dévoilé à un policier certains trafics d'Alègre et Messaoudène, et les déclarations de Fanny corroborent sa version des faits. L'affaire est révélée par la presse (Dépêche du Midi et Figaro), le 1er avril.
«Dominique Baudis était Nénette»
Au fil des auditions, les deux prostituées se lâchent et mouillent des notables toulousains dont l'ancien maire de Toulouse, Dominique Baudis. Elles l'accusent d'avoir participé à des orgies sadomasochistes en lien avec Patrice Alègre dans les années 1990. «Il m'est arrivé de monter avec Dominique Baudis à l'hôtel de l'Europe avec Patrice Alègre pour des parties sadomaso à trois avec objets», déclare Partricia aux enquêteurs le 10 février 2013 (extrait des PV publiés dans Le Monde du 3 juin 2003).
«Durant ces moments, Dominique Baudis était Nénette, c'est le nom que lui donnait Patrice [..]. C'était très violent, l'horreur dans toute sa splendeur», poursuit-elle.
Interrogée à nouveau le 13 février 2003, Patricia confirme ses dires ajoutant qu'Alègre «faisait son marché» sur le trottoir pour alimenter les soirées SM des notables toulousains, parmi les filles qu'elle était chargée de surveiller, majeures ou non.
«Je savais par Patrice et Lakhdar qu'ils organisaient des soirées très spéciales avec des personnalités, Baudis, des policiers, etc., ajoute-t-elle le 26 mars, tous se livraient sur moi à des actes sadomasochistes.»
Selon les prostituées, Alègre était protégé par des policiers et des magistrats. Elle accuse également l'ancien maire de Toulouse de l'avoir violée, le jour de ses 20 ans, le 20 novembre 1990.
«Jamais de ma vie on ne m'a fait une chose pareille... Un monstre. Tu te rends compte? On veut me faire passer pour un monstre qui martyrise des femmes, des mineures! Mais pourquoi? Pourquoi faire ça contre moi, contre nous?»
C'est en ces termes, rapportés dans son livre, qu'il s'adresse à sa femme.
«Je n'ai jamais, ni de près, ni de loin, fréquenté Patrice Alègre»
«La calomnie, je vais l'affronter face à face, les yeux dans les yeux et je vais la prendre à la gorge», déclare Dominique Baudis, le 18 mai 2003, dans le journal télévisé de Claire Chazal sur TF1. Après que le journal local de Toulouse, La Dépêche du midi et l'hebdomadaire Marianne ont révélé que son nom apparaissait dans l'affaire Alègre, Baudis pris les devants et a choisi de s'exprimer à la télévision.
«Je n'ai jamais, ni de près, ni de loin, fréquenté Patrice Alègre, fréquenté les proxénètes, ni participé ou organisé des soirées barbares, affirme-t-il. Croyez-moi, je ne baisserai pas les bras, tant que je ne saurai pas qui est à l'origine de cette saloperie.»
Le 22 mai, «Djamel», un travesti toulousain de 23 ans, répond à l'appel que les deux ex prostituées ont adressé aux présumées victimes. Sur TF1, il confirme les accusations des deux femmes. Deux jours plus tard, c'est sur le plateau de France 2 qu'il réitère allant même jusqu'à prétendre que la petite Marion Wagon, disparue Agen en novembre 1996 à l’âge de 10 ans, était présente lors des soirées. Deux jours plus tard, il est placé en garde à vue et reconnaît qu'il a tout inventé sous la pression de Fanny et de Patricia. Il se suicide en septembre.
Du fond de sa prison, Alègre demande, le 27 mai, à être entendu par le juge d'instruction Lemoine, alors en charge du dossier. Le 30 mai, il confirme au magistrat les dires des prostituées et s'accuse du meurtre de Line Galbardi, expliquant que le meurtre était commandité par un policier déjà cité par les deux femmes.
La veille de son audition, il a envoyé une lettre au journaliste Karl Zero.
«Patricia et Vicky [les prostituées Patricia et Fanny, ndlr] disent la vérité lorsqu'elles affirment s'être rendues avec moi dans des soirées sado maso. Lors de ces soirées, tout le monde s'envoyait de la cocaïne à qui mieux mieux. Il arrivait que certaines soirées dérapent. Patricia ainsi que d'autres filles en ont fait les frais», écrit Alègre dans la lettre dont Karl Zéro lira, le 1er juin, des extraits à l'antenne alors qu'il est animateur du «Vrai journal» sur Canal+.
«Tu dois d'abord vérifier»
Le tueur en série revendique également le meurtre d'un travesti qui en savait trop, Claude Martinez, survenu deux mois après celui de Line Galbardi commandité, cette fois-ci, selon lui, par Dominique Baudis et l'ex-substitut de la République de Toulouse, Marc Bourragué. Martinez aurait été en possession de vidéos prises lors des orgies et aurait eu en tête de faire chanter les participants. «(…) J'ai été chargé d'aller récupérer les cassettes en question et de faire taire Claude Martinez. Ce que j'ai fait…», poursuit le détenu.
«S'agissant du meurtre de Line Galbardi, Line a été tuée parce qu'elle aurait assisté au meurtre d'une autre prostituée. Elle a pris peur et est allée se confier à M. Bidule, un soir de ramassage d'enveloppes. Je l'ai tuée à l'hôtel de l'Europe en présence de Patricia et de Vicky», ajoute-t-il enfin.
À la question de savoir si son épouse comprenait ce qu'il était en train de leur arriver, Ysabel Baudis avait répondu: «Oui, mais tu dois d'abord vérifier.» Et c'est ce qu'elle s'est acharnée à faire comme elle le raconte au journaliste indépendant, Alexandre Duyck, l'auteur de La République des rumeurs, un texte qui constituera l'unique témoignage de Mme Baudis sur cette affaire. Aussi va-t-elle fouiller dans les affaires de son mari à la recherche de preuves le disculpant.
Patricia prétend avoir été violée, dans un appartement de Toulouse, par Dominique Baudis, le 20 novembre 1990? L'accusation part en fumée dès lors qu'Ysabel Baudis brandit l'agenda de l'époque de son époux. Le 20 novembre 1990, à 18 heures, l'ancien député recevait, à l'Assemblée nationale, une délégation de maronites libanais. Il s'y trouvait également le lendemain matin, ce qui exclut toute possibilité d'un éventuel aller-retour entre Paris et Toulouse au moment des faits.
Patrice Alègre revient, quant à lui, sur ses aveux et disculpe par la-même Dominique Baudis. Tout comme Fanny qui, en juillet, avait également accusé Dominique Baudis de l'avoir violée. Lors d'une audition devant le juge, au mois de septembre, elle finit par admettre qu'elle n'a «jamais rencontré Dominique Baudis».
Peu à peu, les arguments des accusatrices sont balayés un par un. Les enquêteurs ne parviennent pas à démontrer la présence ni d'Alègre ni de Messaoudène, dans la chambre 24, la nuit du meurtre de Line Galbardi. Fanny se désolidarise de sa consœur qu'elle accuse de «manipulation».
Un non-lieu
Le 17 juin 2004, une confrontation est organisée entre Patricia et les hommes qu'elle accusent de l'avoir violée: Patrice Alègre, Lakhdar Messaoudène et Dominique Baudis. L'ex-prostituée est restée campée sur ses positions. «Confrontée à Patrice Alègre, à Lakhdar (Messaoudene) et à M. Baudis, qui ont complètement contesté sa version, elle a simplement répété, malgré les erreurs de date, malgré les contradictions, malgré les évidences, que ce qu'elle disait est vrai», déclaré l'avocat de Patrice Alègre, Me Gilbert Collard au sortir de l'audition qui a duré près de 4 heures.
En septembre 2003, Dominique Baudis est confronté à Fanny.
«Avec trois quarts d'heure de retard, Fanny entre, accompagnée de son nouvel avocat. Elle commence à parler: elle ne m'a jamais vu. C'est à tort qu'elle m'a cité dans cette histoire. Elle s'excuse. Elle pleure. Le juge lui demande pourquoi elle m'a mis en cause. On l'a poussée, dit-elle; le gendarme Roussel; ses avocats, Patricia... Deux heures durant elle raconte qu'elle a subi des pressions pour m'accuser», écrit-il dans son livre.
Il faudra attendre janvier 2005 pour l'affaire soit classée et Dominique Baudis mis hors de cause. «Après un an et demi de tourments, on est arrivé au bout du rouleau du mensonge. Le juge Perriquet a refermé son dossier. (...) Il constate que rien n'est venu étayer les accusations dont on nous accablait et qu'il n'y a donc pas lieu d'engager de poursuites. Toutes les vérifications ont, au contraire, révélé les affabulations de Patricia et Fanny. (...) Elles ont menti, ce n'est pas moi qui le dis, c'est le juge qui le constate», écrit Dominique Baudis.
En mars 2005, un non-lieu est rendu, blanchissant l'ancien président du CSA.
«Une cassure intérieure»
«Mon combat n’est pas terminé. Le soir où j’ai parlé à la télévision, il y a dix-huit mois, j’avais dit que je ne baisserais pas les bras tant que les responsables de ce que j’ai subi n’auraient pas rendu des comptes. Je sais que ce sera long, mais j’y mettrai le temps qu’il faudra», écrit Baudis.
Patricia et Fanny, elles, ont été condamnée en juillet 2005 à trois ans et dix-huit mois de prison. Dominique Baudis ne saura jamais pourquoi son nom a côtoyé celui de Patrice Alègre dans un dossier criminel. Plusieurs hypothèses ont été avancées par le mis en cause à commencer par un complot mis en place par son rival politique, Jean-Michel Baylet, à l'époque patron de la Dépêche du Midi qui avait révélé, dès avril 2003, la «nouvelle affaire Alègre». Il s'était aussi senti visé par l'industrie pornographique lui qui, en tant que président du CSA, menait une campagne contre la pornographie à la télévision.
«Bien sûr que je n'en sors pas indemne, j'en sors même très meurtri. Ce drame représente certainement un tournant dans ma vie», écrivait-il. Pour son avocat, Serge Didier, ces accusations ont été pour lui «un drame absolu, une cassure intérieure». Ce drame, Ysabel Baudis l'avait qualifié d'«histoire faite pour tuer». Dominique Baudis est mort le 10 avril 2014 d'un cancer généralisé.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.