Quand l’heure est grave, tout gouvernant aime parler à son peuple avec ce mélange d’autorité et d’intimidation qu’instinctivement on écoute sinon avec respect, du moins avec inquiétude. À peine nommé Premier ministre du Royaume Uni en 1940, Churchill a donné ses lettres de noblesse à ce procédé oratoire, en inventant un syntagme désormais célèbre : « Du sang, des efforts, des larmes et de la sueur. »
« Effrayer, menacer, culpabiliser »
Cela étant, il n’est sans doute jamais arrivé qu’en temps de paix un si grand nombre d’hommes politiques décident de s’adresser quotidiennement à leurs semblables, et ce pendant un an, comme si le pays était en guerre et comme si la seule place qu’ils voulaient occuper dans l’imaginaire collectif était celle du surmoi. Du surmoi, dont Lacan écrivait qu’il est à la fois obscène et féroce, soulignant qu’il confronte inlassablement chacun de nous à des contraintes de plus en plus pressantes. Car contrairement à ce qu’on croit souvent, le surmoi est moins une fonction qui interdit qu'une fonction qui incite, le propre de l'incitation surmoïque étant que rien – à commencer par l'obéissance la plus soumise à ses injonctions – n'arrive à l'apaiser. Le surmoi, c’est la grosse voix qui dit au sujet : « Même si tu accomplis chacun des ordres que je te donne, tu ne seras jamais à la hauteur de ce que j’exige de toi. »
"La crise actuelle a mis en évidence cette triste vérité que le pétainisme est un mal persistant dans la vie politique française"
Eh bien, dans la crise du coronavirus, c’est exactement la partition que les macronistes ont décidé de jouer : quelles que soient les couleuvres que les Français ont déjà accepté d’avaler, il faut qu’ils préparent leur estomac à en ingurgiter d’autres. La raison en est simple : ce qui leur arrive, ils l’ont finalement mérité. Certes, ils ne se sont pas tous vautrés dans le stupre comme les teufeurs de la rave party de Lieuron, que le ministre de l’Intérieur qualifia en son temps de délinquants, mais tous n’en sont pas moins de pitoyables inconscients, et leur inconscience ils la boiront jusqu’à la lie. Macron, c’est Turenne affirmant à sa jument : « Tu trembles, Carcasse, mais tu tremblerais bien davantage si tu savais où je te mène. »
J’imagine que je vais choquer en évoquant ici le grand spécialiste français de la peur et de la culpabilisation de masse, à savoir le maréchal Pétain auquel, pure coïncidence bien sûr, le président de la République a récemment rendu hommage. Pourtant, je suis convaincu que la crise actuelle a mis en évidence cette triste vérité que le pétainisme est un mal persistant dans la vie politique française. Le pétainisme, en effet, ne se réduit pas à Vichy – il existait avant et il a perduré après –, et si l’occupation allemande lui a permis d’aller jusqu’au bout de sa logique infâme, il n’est pas pour autant incompatible avec la République.
En 1940, au moment de la défaite, la grande question était de savoir si Dieu avait puni la France, et la réponse des pétainistes était toujours la même : Dieu a en tout cas permis aux événements de nous administrer une dure et bienfaisante leçon. La souffrance endurée était à la mesure de l’excédent de plaisir que les Français avaient pris. D’où l’obligation impérieuse de bannir les activités non essentielles, à commencer par les satisfactions illusoires que procurent les livres, les films, les bons repas et autres objets de concupiscence.
"Comme si, tous, nous étions en fait des coupables, et sans absolution possible"
En 2021, où est le progrès ? Ce n’est pas un hasard si le triptyque « Tester, tracer, isoler » reste un vœu pieux, alors même que c’est, avec la vaccination, la solution vraisemblable de nos maux. Ce qui est aujourd’hui la matrice du discours dominant, c’est en réalité un tout autre triptyque que Pétain n’aurait pas renié : « Effrayer, menacer, culpabiliser ». Et c’est ce qui explique pourquoi nos gouvernants, même quand ils tentent de s’adoucir un peu, n’arrivent pas à prendre un autre ton et continuent de nous parler aussi mal. Nous parler comme si nous étions tous des enfants, des simples d’esprit, voire des complotistes ou des islamo-gauchistes. Comme si, tous, nous étions en fait des coupables, et sans absolution possible.
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