01 juin 2020

Boogaloo à Minneapolis



La situation de chaos (de Khàos) se maintient à un bon rythme aux USA, dans au moins 31 villes (Minneapolis compris), autour des événements de la grande ville du Minnesota. Les principale magalopoles sont évidemment touchées (New York, Chicago, Atlanta, Dallas, Los Angeles) ainsi que la capitale où des effectifs de la Garde Nationale et de la Police Militaire renforcent la police pour la protection de la Maison-Blanche qui est continuellement assailli par une foule de “protestataires” non encore émeutiers. La Garde Nationale a été mobilisée dans au moins sept États et d’autres devraient suivre ; le couvre-feu est établi, et très différemment observé, dans douze villes. Jamais un tel déploiement de force pour contenir des troubles n’a été réalisé, notamment dans le Minnesota, 4 500 Gardes Nationaux déployés à Minneapolis, et 7 000 attendus en renfort dans la ville. Le New York Times affirme que des unités militaires de combat vont être déployées dans le pays.

Cette situation, quasiment sans précédent dans son ampleur et sa rapidité, est aujourd’hui considérée comme une crise dépassant très largement l’incident ponctuel qui a mis le feu aux poudres (la mort de George Floyd, du fait de la strangulation effectuée par l’officier de police Derek Chauvin). Vendredi soir, le gouverneur du Minnesota Tim Walz jugeait la situation de cette façon :

« Il ne s’agit absolument plus de la mort de George Floyd ni la contestation des inégalités. Il s’agit d’une attaque organisée destinée à déstabiliser la société civile. »

Ce jugement est partagé par de nombreux observateurs et commentateurs. D’autre part, des affirmations, insinuations et hypothèses ont été dites et répandues à propos de groupes qui interviendraient pour aggraver la situation, relancer les troubles, etc. On a également parlé d’infiltrations des émeutiers et des manifestants par la police, ce qui est une péripétie classique, voire plus originalement d’une provocation initiale de la police avec diverses vidéos à l’appui.

Il est probable qu’on trouve un peu de tout, du tout-venant et du dur-à-cuire, mais l’ampleur de l’attaque, et éventuellement l’ambition des objectifs, dans tous les cas des effets et des conséquences de cette crise émeutière, ne sont plus contestables. Hier après-midi, il y a eu un communiqué du groupe de hackersse désignant sous le pseudonyme complètement anonyme d’Anonymous. Il est difficile de savoir quelque chose de précis à cet égard, y compris la continuité du groupe qui est déjà intervenu dans différentes occasions. Quoi qu’il en soit, ils ont alimenté un peu plus la guerre de la communication autour des événements de la crise de l’américanisme :

« Le collectif de hackers Anonymous aurait commencé à cibler le département de police de Minneapolis, accusant cette force de violence systémique et de corruption tout en servant d'instrument à “la classe dirigeante”.
» Un message vidéo posté sur une page Facebook des Anonymous avec 11 millions d'adeptes a accusé la police de Minneapolis de cautionner le comportement qui a conduit à la mort de George Floyd.
» “Les gens en ont assez de cette corruption et de cette violence de la part d’une organisation qui promet de veiller à leur sécurité”, dit le narrateur masqué.
» Le groupe a estimé que des accusations de crimes de sang devaient portées contre tous les officiers qui ont été filmés en train de détenir Floyd avant sa mort. “Malheureusement, nous ne faisons pas confiance à votre organisation corrompue pour rendre la justice, nous allons donc exposer vos nombreux crimes au monde entier.” »


Plus intéressant, – à moins que les choses soient liées, – est l’hypothèse de l’intervention d’un groupe plus ou moins clandestin, un peu trop vite étiqueté “suprémaciste blanc”, selon un réflexe pavlovien bien connu. En fait, les hypothèses sont assez nombreuses sur de telles interventions, et l’on sent un malaise, y compris chez ceux qui ont le plus manipulé et comploté ces dernières années, les démocrates et les groupes type Soros. Le maire et le gouverneur démocrates de Minneapolis sont mal à l’aise d’une façon qui montre leur confusion et leur surprise alors que leur réaction, selon la norme démocrate des temps en cours, devrait être de rejeter avec agressivité la responsabilité de la situation sur la politique générale suivie par Trump ; ils le font bien pour Covid-19, pourquoi pas pour George Floyd et Minneapolis. Au reste, les républicains eux-mêmes ne sont pas plus à l’aise et l’on ne songe même pas à faire de cette crise extraordinaire un argument électoral, – justement parce qu’elle est extraordinaire ? Ainsi, à l’ampleur de la crise dans toute son opérationnalité, correspondent de la part des dirigeants ambiguïté et malaise.

L’hypothèse la plus intéressante donc, celle de l’intervention d’un groupe “plus ou moins clandestin”... S’agit-il du “Boogaloo Bois”, un groupe dont nous découvrons l’existence par l’intermédiaire de The Moon of Alabama (MoA) ? Certes et bien entendu... Et MoA qui nous renvoie à un article de Robert Evans, du 27 mai 2020 sur Bellingcat, dont le titre est : « Le mouvement ‘Boogaloo’ n’est pas ce que vous croyez ». Mais que croyons-nous, au fait ? Si l’on va sur Wikipédia, l’on tombe sur l’habituel étiquetage de “radicaux d’extrême-droite” ou de “suprémacistes blancs” dont le hobby est l’attente de la Guerre Civil, ou Civil War 2.0. Mais le texte de Evans, extrêmement long et documenté, est beaucoup plus explicite et il nous plonge dans l’actualité, appuyé sur l’hypothèse explicite que des membres du groupe ont participé/participent aux émeutes de Minneapolis dans le but explicite d’attaquer la police, les autorités, etc. ; on dirait presque “d’attaquer le Système“.

L’originalité de ce groupe de jeunes Caucasiens-Américains, comme l’on dit, cette originalité qui les démarque nettement des “suprémacistes blancs”, c’est qu’ils rejettent absolument le conflit racial, qu’ils s’engagent au côté des Noirs, ou de ceux-ci des Noirs qui veulent attaquer le Système (si l’on veut, les petits-enfants de Malcolm X [surtout] et des Black Panthers). Leur but opérationnel est de déclencher la Guerre Civile (désignée “Boogaloo”) contre le Système”, et l’alliance avec des Africains-Américains insurgés serait comme allant de soi.

« L’idée qu'un seul événement puisse déclencher le ‘Boogaloo’[la Guerre Civile] est un mythe qui fonde ce mouvement mais les guerres civiles sont souvent compliquées et imprévisibles. Néanmoins, de nombreux rassemblements et manifestations armées sont prévus pour cet été. Les groupes familiers pro-Trump, les milices et le Mouvement des Patriotes seront probablement rejoints par une nouvelle génération de “Boogaloo Bois”, lourdement armés et vêtus de couleurs vives, convaincus que la guerre civile est une fatalité et une nécessité, et qui se sont lancés dans des affrontements armés avec les forces de l'ordre.
» Dans un pays rendu encore plus instable par une saison d'élections présidentielles controversées et par les effets sociaux et épidémiologiques de COVID-19, toute manifestation ou bataille de rue et ses conséquences sont susceptibles de donner lieu à de graves actes de violence. Alors que les protestations sur la mort de George Floyd se sont intensifiées à Minneapolis le 26 mai, les membres des groupes Boogaloo sur Facebook ont considéré qu'il s'agissait d'un appel aux armes. Ce jour-là, des demandes diffusées d’ajouter “George” à la liste des martyrs du mouvement. »

Tout cela peut paraître peu sérieux, baroque, complotiste, que sait-on encore... Là n’est pas l’essentiel. Ce qui importe pour notre propos, c’est l’idée même du groupe, de former un rassemblement de Blancs antiSystème ayant vocation à s’insurger les armes à la main, et ayant vocation aussi à le faire aux côtés des Noirs poursuivant le même but, jusqu’à intervenir pour soutenir les Noirs lorsqu’une crise surgit comme dans le cas actuel. Cette idée est importante parce qu’elle s’oppose radicalement, qu’elle est en confrontation directe et opérationnelle à la formule qui a maintenu le Système à l’abri d’une rébellion dangereuse depuis la fin de la Guerre de Sécession. Après l’écrasement du Sud, la structure naturelle et essentielle de la pérennité du Système, exploitant une masse importante de pauvres chez les Noirs mais aussi chez les Blancs (les “petits Blancs”), c’était l’antagonisme entre ces Blancs et ces Noirs selon le racisme venu de l’esclavage. Le racisme devait être cultivé et entretenu comme une barrière infranchissable à l’union des exploités (noirs et blancs) du système de l’américanisme.

Même si “Boogaloo” est de la rigolade, mi-carnaval, mi-Hollywood, mi-insurrectionnel (trois moitiés, selon la méthode enseignée par Marius à son fils), – ce qui reste à démontrer dans une situation aussi fluide, aussi imprévisible, aussi rapide et insaisissable, – l’idée elle-même est le plus grave concept que l’on puisse opposer au Système aux États-Unis : l’union des Noirs pauvres et des “petits Blancs”. Dans une époque aussi étrange et rapide comme l’éclair que la nôtre, tout cette sorte de choses impossibles et impensables est tout à fait dans la ligne des probabilités envisageables dans notre destinée.

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