On trouve un signe évident de cette panique dans une déclaration solennelle que vient de communiquer le président du comité des chefs d’état-major, le général Milley, pour affirmer que les capacités militaires US “restent intactes” et avertir tout adversaire potentiel qu’il n’a aucun intérêt à “tester” ces capacités. Un texte, court mais significatif, de Jason Ditz, de Antiwar.com, donne une idée du climat tel qu’il est perçu par un journaliste qui a une longue expérience, avec les contacts et les sources qui vont avec, des affaires militaires à Washington ; qui plus est, Ditz, qui travaille pour un site de grande qualité et de haute réputation, n’est évidemment nullement “handicapé” par l’attitude favorable au Système caractérisant les combattants du stylo de la presseSystème.
« Devant le nombre croissant de rapports montrant que le Pentagone se fait absolument massacrer par le coronavirus, le président du comité des chefs d’état-major, le général Mark Milley, a publié une déclaration affirmant que l’état de préparation des forces armées des Etats-Unis reste intact et avertissant qu’aucune nation hostile ne devrait tester la puissance des États-Unis.
» À un moment où le coronavirus crée toutes sortes de possibilités de coopération et d’établissement/de maintien de la paix, l'armée américaine va dans la direction opposée, éructant comme une bête blessée au moment où elle lutte contre le virus.
» De toute évidence, en réaction aux rapports faisant état de milliers de cas de coronavirus dans l’armée américaine, dont des centaines sur le seul USS Theodore Roosevelt, l’insistance de Milley pour affirmer que les États-Unis restent prêts sonne creux, comme une réponse désespérée aux navires et aux bases qui sont partiellement ou totalement hors service à cause du virus.
» Avec leur armée si importante, cela ne veut pas dire que les États-Unis sont particulièrement vulnérables en ce moment. Néanmoins, les capacités offensives doivent tout simplement être fortement handicapées par 3 366 infections officiellement déclarées par le Pentagone. Le USS Theodore Roosevelt se trouve à quai, impuissant, parce que 10% de l'équipage est infecté.
» Soulignant cette réalité, le Pentagone a décidé de classer “secret-défense” toutes les informations sur l’épidémie au sein de l'armée, afin d’éviter l’identification des sites et des unités les plus vulnérables et les plus touchés par le virus. »
Cette situation marque exactement la vulnérabilité traditionnelle de la puissance des forces armées US, comme l’envers de cette puissance ; il s’agit d’une vulnérabilité d’ordre organisationnel (structurel), et par-delà, d’ordre psychologique, à partir d’une posture extrêmement spécifique de ces forces, correspondant à la politique de sécurité nationale et aux conditions idéologiques et structurelles des USA. Tous ces éléments se retrouvent plus ou moins dans d’autres domaines concernant les USA, et expliquent, d’une part la vulnérabilité de cette énorme puissance qui est devenue “n°1” (comme toujours pour les USA) dans le morbide “classement” des pays touchés par Covid-19, avec près de 500 000 cas identifiés et plus de 20 000 morts ;
d’autre part, l’importance essentielle des USA dans le destin du Système (et donc de notre destin) face à Covid-19 & conséquences diverses et multiples.
Pour les forces armées US, une analogie historique servira d’illustration, bien qu’elle soit infiniment plus importante et plus grave que la situation actuelles, – pour le moment, – et qu’elle touche une armée US d’une puissance relative jamais égalée, lors de la victoire de 1945 (mai et août 1945). Ce qu’on ignore en général et que nous expliquons en détails dans “Le Trou Noir du XXème siècle”, c’est qu’entre mai et décembre 1945, l’armée US s’est totalement désintégrée sous la poussée d’une démobilisation imposée par une dynamique individualiste et politique, manifestée autant par des actes d’indiscipline individuelle ou collective au sein des forces que par l’action législative du Congrès, selon un processus phénoménologique qui n’a qu’un seul précédent historique en importance d’après l’évaluation qu’en fit en décembre 1945 le général Marshall, chef d’état-major général des forces, – la désintégration de l’armée russe (tsariste) en 1917.
Parmi les divers détails que nous donnons sur ce formidable événement soigneusement minorée, sinon passée à la trappe du réflexe négationniste de l’histoire mémorielle-PC de notre “historiographie”-Système, il y a celui du revers de l’exceptionnelle organisation et la présence tentaculaire de la logistique dans les forces armées US, qui font qu’un déplacement (un retrait) de personnel, même minoritaire par rapport à l’effectif total, peut complètement annihiler les capacités de l’unité. (On a l’exemple après mai 1945, en Europe, d’unités du niveau du bataillon de 800 hommes complètement paralysées et inopérantes à cause du retrait [démobilisation, maladie] de 50 hommes occupant diverses fonctions, sans souci de l’effet causé par l’affaiblissement ou la suppression de cette fonction.) Dans le sujet du Glossaire.dde, il y a ceci :
« La forme de la démobilisation imposée par le Congrès dès septembre 1945 ne tint aucun compte de la structure particulière de l’armée américaine qui constitue la raison essentielle des succès emportés : l’impeccable organisation logistique et le soutien mécanique qui firent l’essentiel de sa puissance. Sur les 14 millions de citoyens américains mobilisés, moins de 1 500 000 ont été des fantassins de l’US Army ou du Corps des Marines. Les Américains mirent en ligne, au plus gros de leurs efforts, 90 divisions de combat contre (à titre de comparaison) plus de 50 pour la Grande-Bretagne, 70 pour l’Italie, 123 pour le Japon, 313 pour l’Allemagne et 505 pour l’Union Soviétique. Relativement au nombre, l’armée des États-Unis constitua un exemple unique d’utilisation efficace et rationnelle. Mais une telle armée est d’autant plus sensible au maintien de la structure qui lui a donné son efficacité. [...]
» La démobilisation eut des effets encore plus dévastateurs que ne le suggèrent les chiffres, à cause des structures des forces américaines. Il n’était pas nécessaire que la démobilisation touchât tout l’effectif d’une unité pour réduire à rien sa capacité opérationnelle ; il suffisait qu’un déséquilibre soit créé et que l’organisation logistique de l’unité soit touchée. Non seulement la présence militaire totale en Europe tomba de 3 millions d’hommes en mai 1945 à moins de 200.000 à la mi-1947, mais encore ce chiffre n’indique nullement un volume d’unités en ordre de combat. L’armée américaine avait ainsi complètement perdu son ordre de combat sur un continent où les grands pays – France et Grande-Bretagne – connaissaient des difficultés économiques qui interdisaient le maintien de leurs propres forces. L’Allemagne vaincue, elle aussi sans armée, confrontée directement aux pays sous influence communiste ou sur le point d’y tomber, créait au centre de l’Europe un vide politico-militaire. »
Un autre aspect essentiel des forces armées US, à la fois idéologique et historique, c’est sa quasi-non-existence légale en théorie, en tant que telle, au niveau intérieur et au niveau de la défense nationale intérieure selon l’idée fondamentale de l’isolationnisme américaniste, avec même une loi pour préciser certaines dispositions de cette situation des forces (la Posse Comitatus Act de 1878). Cette posture légale, quels qu’en soient les amendements, a toujours poussé les forces armées US à se constituer prioritairement et psychologiquement en structures de projection de forces pour des expéditions ou des implantations outre-mer, hors du territoire national. C’est plus que jamais le cas aujourd’hui, avec un nombre de bases extérieures dépassant le millier.
(Bien entendu, cette attitude, ce penchant irrépressible, n'est nullement partagé par d'autres puissances, ce qui fait que le problème qui se pose au Pentagone est en bonne partie unique, sionon spécique.)
En raison du caractère américain, de sa psychologie, cela suppose des forces isolées, repliées sur elles-mêmes, “américaines en territoire étranger”, c’est-à-dire des emplacements de type-confinement mais à contre-effet, extrêmement sensibles à des infections et à la propagation épidémique. Cela vaut d’autant plus que l’on sait bien aujourd’hui que les Etats-Unis sont un pays bien plus vulnérable à ce fléau que les pays-hôtes (ou “occupés”) où se trouvent ces déploiements, donc qu’être “américains en territoire étranger” revient à conserver pour soi-même en les entretenant soigneusement les vulnérabilités américaines, et notamment la vulnérabilité à l’infection...
Tous ces caractères qui sont structurels même s’ils apparaissent comme tels de façon circonstancielle, sont ancrés dans la psychologie des militaires. Les chefs militaires sont extrêmement sensibles à tout ce qui peut menacer ces processus et ces situations dont certains particulièrement infectieux, accroissant encore leur vulnérabilité. Aujourd’hui, le Pentagone est entrée dans une phase tourbillonnaire en spirale fonctionnant comme un cercle vicieux, où les cas d’infection alimentent la psychologie de retraite et de panique, cette psychologie alimentant à son tour l’accélération des maux et des faiblesses. C’est à nouveau le schéma surpuissance-autodestruction, ou la dévoration de la puissance militaire par elle-même.
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