«Muette»
Comme lui, des milliers de Rouennais convaincus «d’être trompés par l’Etat» au détriment de leur santé, se sont réunis mardi soir devant le palais de justice de la ville, derrière des banderoles sur lesquelles on pouvait lire : «Marre de se faire enfumer.» Florence Capron, conteuse de 54 ans, s’est déplacée pour exprimer sa colère et son désarroi face à «une institution muette et méprisante». Pour elle, les informations délivrées par la préfecture sont «suspicieuses» car délivrées «au compte-gouttes» : «Mes parents vivent sur les docks, à quelques centaines de mètres de l’usine. Avec mon mari, on a décidé de les évacuer du quartier dès jeudi, mais depuis, on ne sait toujours pas si c’est dangereux ou pas de les ramener chez eux. C’est désastreux car ces zones d’ombre laissent le champ libre aux fantasmes et aux angoisses.»
A cause de ces fameuses zones d’ombre, Didier Durame, agriculteur de 56 ans, dit «ne plus dormir la nuit». L’homme est propriétaire d’une cinquantaine de vaches à La Vieux-Rue, à 20 km de Rouen. «Angoissé pour [s]on avenir économique» mais «meurtri à l’idée de bousiller la santé des Rouennais», il a pris le parti d’accueillir mardi, avec plusieurs confrères, des scientifiques de l’université de Mont-Saint-Aignan pour des prélèvements «indépendants et complémentaires à ceux ordonnés par la préfecture» : «C’est important que les habitants aient une confiance totale envers les agriculteurs. S’ils n’ont plus confiance dans la parole de l’Etat, il faut les entendre et leur offrir des résultats d’analyses qu’ils ne vont pas remettre en question.»
«Fautes»
Le soupçon s’est immiscé jusque dans les esprits des élus locaux. Lundi soir, lors du conseil métropolitain de Rouen, les maires des communes avoisinantes ont quasi unanimement reproché au préfet, Pierre-André Durand, «ses manquements et ses fautes» dans la gestion de crise. L’édile de Maromme était particulièrement remonté : «Nous sommes devant nos habitants, face aux réseaux sociaux qui nous envahissent, et nous sommes dans l’incapacité de répondre à leurs questions. Jeudi dernier, la seule information que j’ai eue, monsieur le préfet, c’est d’attendre sur les chaînes nationales votre conférence de presse. Vous nous prenez pour qui ?» Le maire de Sotteville-sous-le-Val, plutôt désorienté : «Ce n’est pas suffisant de nous annoncer qu’il n’y a pas de "toxicité aiguë". Parce que nous, on en déduit évidemment qu’il y a tout de même une toxicité. Mais on ne peut pas toujours être en train de deviner ce qu’on ne nous dit pas. C’est générateur d’anxiété.»
Selon Jeanne Letessier, manifestante de 34 ans, cette atmosphère anxiogène a déjà fait fuir «les gens qui le pouvaient». Ceux «des beaux quartiers» rouennais, dotés d’un capital financier et d’un «niveau d’informations assez élevé» pour quitter la ville. Certes, le mouvement n’est «pas d’une grosse ampleur» mais plusieurs de ses amis ont franchi le pas. Elle hésite donc à faire de même. «C’est pour la santé de mes enfants que je m’inquiète», précise Jeanne. Ce mardi, dix camarades de sa fille ont dû être évacués de l’école primaire pour cause de migraines et vomissements. «A quoi j’expose ma petite ? A quoi l’Etat l’expose ? Toutes ces questions me polluent le crâne. Il nous faut des réponses convaincantes. Il ne faut pas nous endormir. La vie ne doit pas reprendre son cours aussi facilement.»
(1) Le prénom a été modifié.
Source : https://www.liberation.fr/france/2019/10/01/rouen-on-me-dit-que-mes-resultats-d-analyses-me-sont-inaccessibles_1754843
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.