« Coucheriez-vous avec un mec du 9-3 ? » C’est le titre délicieusement racoleur d’une grande enquête sur la vie sexuelle et conjugale des Parisiens commandé par CAM4 le mag que publie aujourd’hui l’Ifop. Suivant ses conclusions, le métissage compte beaucoup de croyants mais peu de pratiquants. Pour trouver chaussure à son pied dans les villes-monde d’où ont été chassées les classes populaires, mieux vaut être riche et occidental que pauvre, banlieusard et porteur supposé d’une culture rétrograde. Entretien avec le directeur de l’enquête François Kraus.
Daoud Boughezala. D’après les conclusions de votre étude sur le choix du conjoint, les Parisiens sont-ils endogames, ethnocentristes ou carrément ethnodifférentialistes ?
François Kraus. Comme dans d’autres domaines, par exemple lorsqu’il s’agit de choisir l’école des enfants ou leur lieu de résidence, les Parisiens cultivent une sociabilité de l’entre-soi en matière conjugale. On observe une forte endogamie géographique qui implique une endogamie sociale ainsi qu’une certaine réticence à la construction de couples interraciaux, notamment lorsqu’il existe entre les intéressés à la fois une distance de « classe » et une distance de « race ».
Dans notre enquête sur la sexualité des Parisiens, nous abordons de front ces problématiques de classe et de race, souvent taboues en sociologie. Nous avons choisi comme terrain d’étude la région parisienne car cette zone est culturellement et socialement diverse, comme le montre par exemple la proportion de musulmans qui est trois fois plus forte que dans le reste du pays (Ifop-Montaigne – 2016). Or, bien que ce ne soit pas la Corrèze ou le fin fond du Poitou, la perspective d’un métissage social et culturel est loin d’y faire l’unanimité.
La variable sociologique qui joue le plus dans le choix du conjoint est le niveau de diplôme
Votre enquête montre un hiatus fréquent entre le discours pro-métissage et les actes. Mais plus que de la xénophobie, la peur des unions mixtes n’exprime-t-elle pas un attachement à certaines normes et valeurs propres à la culture occidentale ?
Bien sûr. Il y a un toujours une logique endogamique dans le choix du conjoint. Cela se traduit, à Paris plus qu’ailleurs, par un besoin d’être avec des gens qui vous ressemblent dans tous les domaines. Le premier critère de choix déclaré (59%) du conjoint à Paris renvoie aux manières et à l’éducation mais cet élément va bien au-delà des bonnes manières ou du respect des règles de politesse. Cette notion inclut le partage d’une vision de la vie et de la société, de la manière d’éduquer ses enfants. Tout cela implique un certain consensus socio-culturel. Pour rappel, la variable sociologique qui joue le plus dans le choix du conjoint est le niveau de diplôme, car celui-ci crée un point commun en termes de hiérarchie sociale, de pratiques culturelles et, au passage, permet d’avoir des choses à se dire…
La distance culturelle est très nette entre culture française et culture maghrébine et subsaharienne
Dans le panel de 2000 Parisiens que vous avez interrogés, 62% des femmes disent refuser de s’unir avec des individus porteurs des valeurs identifiées à la culture subsaharienne, 57% rejettent a priori les hommes assimilés à la culture maghrébine et moyen-orientale. Comment l’expliquez-vous ?
Nous avons identifié plusieurs raisons. D’abord, la distance culturelle est très nette entre culture française et cultures maghrébine et subsaharienne, à la différence des pays d’Amérique du Sud où il peut exister des points communs culturels, notamment liés à la culture judéo-chrétienne, avec des gens d’une couleur, d’une race et d’une ethnie différentes. Cela montre que le poids de la culture et de la religion jouent beaucoup dans le choix du conjoint. De surcroît, l’écart de niveau de vie entre les Parisiens – qui sont parmi les Français les plus riches – et celui associé aux ressortissants des pays d’Afrique ou du Maghreb est très élevé, ce qui peut refroidir les ardeurs des gens très attachés aux questions matérielles.
Les musulmans vivant en France sont dix fois plus nombreux que la moyenne à penser qu’une « femme doit obéir à son mari »
Enfin, pèse sur ces derniers un ensemble de représentations qui en fait les porteurs d’une culture très conservatrice peu respectueuse des principes d’égalité entre les sexes au sein du couple. Il est donc probable que des femmes aussi indépendantes et autonomes que la majorité des Parisiennes puissent avoir des réticences à s’inscrire dans un cadre conjugal avec des personnes perçues comme conservatrices et peu sensibles à la place de la femme dans la société. Or, la misogynie associée à ces cultures n’est pas une vue de l’esprit : les rares données d’enquête fiables sur le sujet (Ifop-Montaigne – 2016) ont pu montrer que les musulmans vivant en France étaient dix fois plus nombreux que la moyenne à penser par exemple qu’une « femme doit obéir à son mari » (56%, contre 5% chez l’ensemble des Français) ou qu’elle « doit rester vierge jusqu’au mariage » (74%, contre 8% chez l’ensemble des Français). On est loin des combats de #MeToo…
Justement, le mouvement #MeToo, assez puissant parmi les élites parisiennes, a-t-il renforcé la tendance à l’entre-soi culturel entre conjoints ?
Honnêtement, je ne dispose pas de données précises mesurant l’impact de #MeToo sur ce phénomène. Mais je me demanderais plutôt qui est touché par #MeToo et par cette plus grande sensibilisation aux questions d’égalité homme/femme lors de la rencontre, de la séduction, etc. A cet égard, le fossé entre les combats portés par les militants occidentaux de la cause #MeToo et les épreuves que subissent d’autres femmes dans le reste du monde me semble évidente. Au Maghreb, en Afrique subsaharienne ou au Moyen-Orient, la lutte pour les droits des femmes n’a rien à voir avec des questions, aussi légitimes soient-elles, telles que l’écriture inclusive, la charge mentale ou l’égalité salariale ! Notre enquête met justement en lumière l’impact que peut avoir l’énorme fossé entre les cultures dans le choix d’un conjoint.
Les hommes asiatiques souffrent d’une moindre désirabilité sur les sites de rencontre
Du point de vue des Parisiennes, la distance culturelle est à double tranchant. Si les hommes afro-maghrébins sont souvent associés à une culture patriarcale, les asiatiques sont plutôt assimilés au stéréotype inverse. Pourtant, 54% des Parisiennes refusent l’union avec un partenaire d’Asie du Sud-Est. Comment expliquer cet ostracisme ?
Cela confirme d’autres enquêtes américaines qui ont montré que les hommes asiatiques souffraient d’une moindre désirabilité sur les sites de rencontre ou les espaces de speed-dating. Force est de constater qu’ils ne correspondent pas au stéréotype de virilité dominant en Occident. Les différentes formes de production culturelle que sont le cinéma, les séries ou les bandes dessinées les présentent trop souvent comme des geeks assez peu virils loin des archétypes de « mâle alpha » sensé plaire à la gente féminine occidentale. Or, ces clichés influent forcément sur leur désirabilité sociale, et donc sur leur valeur sur le marché matrimonial, qui n’est pas sans conséquence sur la construction de leur identité et de leur estime de soi.
Plus axés sur le physique de leur partenaire, les hommes se révèlent plus xénophiles que les femmes.
A contrario, les hommes interrogés semblent plus ouverts à la diversité ethnoculturelle que les femmes. Comment se fait-ce ?
Ce n’est pas étonnant car les hommes attachent généralement moins d’importance aux critères de choix du partenaire, à l’exception du physique et du poids ! Pour le reste, ils sont beaucoup plus tolérants car ils se projettent généralement moins dans une perspective de couple à long terme avec ce que cela implique comme construction conjugale et familiale, à commencer par la nécessité d’avoir des points de vue convergents. L’attirance esthétique n’étant pas liée au fait de partager des points vues socioculturels, les hommes se révèlent plus xénophiles que les femmes. Pour certaines générations, l’absence de réciprocité est peut-être aussi due à des réflexes ethnocentristes qui feraient peser un risque de stigmate plus fort sur une « femme blanche » couchant avec un immigré qu’un homme blanc couchant avec « une immigrée ».
31% des Parisiennes ne se mettraient pas en couple avec un homme correspondant à l’image du 93
Faisons un pas de côté. Un petit banlieusard blanc du 93 est-il plus sexuellement moins bien loti qu’un parisien d’origine africaine ou maghrébine intra muros issu des quartiers aisés de la capitale ?
Sans doute parce que l’intéressé ne projette pas l’image du « Seine-Saint-Denis style » que cite votre étude. Quel signifie ce concept ?
C’est une référence à une chanson du groupe NTM qui portait l’image de ce département dans les années 90.
En gros, le « Seine-Saint-Denis style » concentre les représentations les plus stigmatisantes de l’imaginaire urbain français puisque le 93 cumule les records de pauvreté, de criminalité et de population étrangère ou immigrée. Cela constitue un repoussoir pour une forte proportion de personnes, y compris issues des minorités. Quand on demande aux musulmanes vivant à Paris si elles pourraient se mettre en couple avec un homme originaire du Moyen-Orient ou du Maghreb, environ 40% répondent par la négative. Tout comme les autres Parisiennes, elles ne veulent sans doute pas de conjoint susceptible de leur imposer un couple dominé par une vision conservatrice voire misogyne du rôle de la femme.
Pourtant, la démographe Michèle Tribalat a prouvé la recrudescence de mariages endogames depuis vingt ans, ce qui suppose que les jeunes musulmanes épousent des jeunes musulmans…
Nos travaux ne sont pas forcément contradictoires. Les minorités ethniques qui vivent à Paris n’ont pas forcément le même profil socioprofessionnel (niveau de diplôme…), que le reste de la population d’origine immigrée, notamment en banlieue parisienne. Les musulmans parisiens sont sans doute le symbole d’une réussite sociale ou d’une volonté de se détacher de l’emprise du quartier, de la famille, de la cité et autres pesanteurs traditionnelles. C’est valable pour les jeunes femmes, surtout si elles ne sont pas encore en couple, et les minorités sexuelles qui n’arrivent pas à affirmer leur orientation sexuelle en banlieue. Une de nos précédentes enquêtes montrait qu’il y a beaucoup plus de musulmans homosexuels à Paris que dans le reste du pays.
Dans les couples gays, il y a une prime au capital physique et érotique
Dans un de vos précédents travaux, vous qualifiez Paris de ville « refuge des minorités sexuelles ». Celles-ci, notamment homosexuelles, sont-elles plus ouvertes au métissage que les hétérosexuels parisiens ?
Oui. Dans les couples gays, il y a une prime au capital physique et érotique plus forte que dans le reste des couples. Pour le dire clairement, ils accordent plus d’importance au physique et au sexe. C’est notamment dû au fait qu’ils ne peuvent pas s’inscrire forcément dans une perspective de couple durable ou de construction familiale. Après, dans la mesure où le stigmate de l’homosexualité reste très fort et difficile à assumer, ceux qui l’assument sont sans doute plus disposés à transgresser les normes de race ou de classe dans le choix de leur conjoint d’autant plus facilement que leur isolement relativise la force du contrôle social, ou les craintes d’une mésalliance.
Même depuis la loi Taubira (2013) qui permet le mariage et l’adoption aux couples homosexuels ?
Certes, on a tendance à dire que les nouveaux couples homosexuels sont plus hétéronormés sans forcément pouvoir le prouver. Si leurs membres présentent moins de dissensus que ce qu’on pouvait observer il y a encore vingt ans, les données montrent la persistance d’écarts sociologiques et culturels plus fort que dans les couples hétéros.
La proportion de gays est beaucoup plus forte dans les arrondissements parisiens de gauche
Si on y regarde de près, tous les arrondissements parisiens ne répondent pas de la manière à des questions telles que « Accepteriez-vous un conjoint d’origine subsaharienne ? » Ancré à droite, Ouest (7e, 8e, 16e, 17e) se révèle beaucoup plus réfractaire au métissage que l’Est parisien, très marqué à gauche. Cela correspond-il aux cartes du vote ?
Daoud Boughezala. D’après les conclusions de votre étude sur le choix du conjoint, les Parisiens sont-ils endogames, ethnocentristes ou carrément ethnodifférentialistes ?
François Kraus. Comme dans d’autres domaines, par exemple lorsqu’il s’agit de choisir l’école des enfants ou leur lieu de résidence, les Parisiens cultivent une sociabilité de l’entre-soi en matière conjugale. On observe une forte endogamie géographique qui implique une endogamie sociale ainsi qu’une certaine réticence à la construction de couples interraciaux, notamment lorsqu’il existe entre les intéressés à la fois une distance de « classe » et une distance de « race ».
Dans notre enquête sur la sexualité des Parisiens, nous abordons de front ces problématiques de classe et de race, souvent taboues en sociologie. Nous avons choisi comme terrain d’étude la région parisienne car cette zone est culturellement et socialement diverse, comme le montre par exemple la proportion de musulmans qui est trois fois plus forte que dans le reste du pays (Ifop-Montaigne – 2016). Or, bien que ce ne soit pas la Corrèze ou le fin fond du Poitou, la perspective d’un métissage social et culturel est loin d’y faire l’unanimité.
La variable sociologique qui joue le plus dans le choix du conjoint est le niveau de diplôme
Votre enquête montre un hiatus fréquent entre le discours pro-métissage et les actes. Mais plus que de la xénophobie, la peur des unions mixtes n’exprime-t-elle pas un attachement à certaines normes et valeurs propres à la culture occidentale ?
Bien sûr. Il y a un toujours une logique endogamique dans le choix du conjoint. Cela se traduit, à Paris plus qu’ailleurs, par un besoin d’être avec des gens qui vous ressemblent dans tous les domaines. Le premier critère de choix déclaré (59%) du conjoint à Paris renvoie aux manières et à l’éducation mais cet élément va bien au-delà des bonnes manières ou du respect des règles de politesse. Cette notion inclut le partage d’une vision de la vie et de la société, de la manière d’éduquer ses enfants. Tout cela implique un certain consensus socio-culturel. Pour rappel, la variable sociologique qui joue le plus dans le choix du conjoint est le niveau de diplôme, car celui-ci crée un point commun en termes de hiérarchie sociale, de pratiques culturelles et, au passage, permet d’avoir des choses à se dire…
La distance culturelle est très nette entre culture française et culture maghrébine et subsaharienne
Dans le panel de 2000 Parisiens que vous avez interrogés, 62% des femmes disent refuser de s’unir avec des individus porteurs des valeurs identifiées à la culture subsaharienne, 57% rejettent a priori les hommes assimilés à la culture maghrébine et moyen-orientale. Comment l’expliquez-vous ?
Nous avons identifié plusieurs raisons. D’abord, la distance culturelle est très nette entre culture française et cultures maghrébine et subsaharienne, à la différence des pays d’Amérique du Sud où il peut exister des points communs culturels, notamment liés à la culture judéo-chrétienne, avec des gens d’une couleur, d’une race et d’une ethnie différentes. Cela montre que le poids de la culture et de la religion jouent beaucoup dans le choix du conjoint. De surcroît, l’écart de niveau de vie entre les Parisiens – qui sont parmi les Français les plus riches – et celui associé aux ressortissants des pays d’Afrique ou du Maghreb est très élevé, ce qui peut refroidir les ardeurs des gens très attachés aux questions matérielles.
Les musulmans vivant en France sont dix fois plus nombreux que la moyenne à penser qu’une « femme doit obéir à son mari »
Enfin, pèse sur ces derniers un ensemble de représentations qui en fait les porteurs d’une culture très conservatrice peu respectueuse des principes d’égalité entre les sexes au sein du couple. Il est donc probable que des femmes aussi indépendantes et autonomes que la majorité des Parisiennes puissent avoir des réticences à s’inscrire dans un cadre conjugal avec des personnes perçues comme conservatrices et peu sensibles à la place de la femme dans la société. Or, la misogynie associée à ces cultures n’est pas une vue de l’esprit : les rares données d’enquête fiables sur le sujet (Ifop-Montaigne – 2016) ont pu montrer que les musulmans vivant en France étaient dix fois plus nombreux que la moyenne à penser par exemple qu’une « femme doit obéir à son mari » (56%, contre 5% chez l’ensemble des Français) ou qu’elle « doit rester vierge jusqu’au mariage » (74%, contre 8% chez l’ensemble des Français). On est loin des combats de #MeToo…
Justement, le mouvement #MeToo, assez puissant parmi les élites parisiennes, a-t-il renforcé la tendance à l’entre-soi culturel entre conjoints ?
Honnêtement, je ne dispose pas de données précises mesurant l’impact de #MeToo sur ce phénomène. Mais je me demanderais plutôt qui est touché par #MeToo et par cette plus grande sensibilisation aux questions d’égalité homme/femme lors de la rencontre, de la séduction, etc. A cet égard, le fossé entre les combats portés par les militants occidentaux de la cause #MeToo et les épreuves que subissent d’autres femmes dans le reste du monde me semble évidente. Au Maghreb, en Afrique subsaharienne ou au Moyen-Orient, la lutte pour les droits des femmes n’a rien à voir avec des questions, aussi légitimes soient-elles, telles que l’écriture inclusive, la charge mentale ou l’égalité salariale ! Notre enquête met justement en lumière l’impact que peut avoir l’énorme fossé entre les cultures dans le choix d’un conjoint.
Les hommes asiatiques souffrent d’une moindre désirabilité sur les sites de rencontre
Du point de vue des Parisiennes, la distance culturelle est à double tranchant. Si les hommes afro-maghrébins sont souvent associés à une culture patriarcale, les asiatiques sont plutôt assimilés au stéréotype inverse. Pourtant, 54% des Parisiennes refusent l’union avec un partenaire d’Asie du Sud-Est. Comment expliquer cet ostracisme ?
Cela confirme d’autres enquêtes américaines qui ont montré que les hommes asiatiques souffraient d’une moindre désirabilité sur les sites de rencontre ou les espaces de speed-dating. Force est de constater qu’ils ne correspondent pas au stéréotype de virilité dominant en Occident. Les différentes formes de production culturelle que sont le cinéma, les séries ou les bandes dessinées les présentent trop souvent comme des geeks assez peu virils loin des archétypes de « mâle alpha » sensé plaire à la gente féminine occidentale. Or, ces clichés influent forcément sur leur désirabilité sociale, et donc sur leur valeur sur le marché matrimonial, qui n’est pas sans conséquence sur la construction de leur identité et de leur estime de soi.
Plus axés sur le physique de leur partenaire, les hommes se révèlent plus xénophiles que les femmes.
A contrario, les hommes interrogés semblent plus ouverts à la diversité ethnoculturelle que les femmes. Comment se fait-ce ?
Ce n’est pas étonnant car les hommes attachent généralement moins d’importance aux critères de choix du partenaire, à l’exception du physique et du poids ! Pour le reste, ils sont beaucoup plus tolérants car ils se projettent généralement moins dans une perspective de couple à long terme avec ce que cela implique comme construction conjugale et familiale, à commencer par la nécessité d’avoir des points de vue convergents. L’attirance esthétique n’étant pas liée au fait de partager des points vues socioculturels, les hommes se révèlent plus xénophiles que les femmes. Pour certaines générations, l’absence de réciprocité est peut-être aussi due à des réflexes ethnocentristes qui feraient peser un risque de stigmate plus fort sur une « femme blanche » couchant avec un immigré qu’un homme blanc couchant avec « une immigrée ».
31% des Parisiennes ne se mettraient pas en couple avec un homme correspondant à l’image du 93
Faisons un pas de côté. Un petit banlieusard blanc du 93 est-il plus sexuellement moins bien loti qu’un parisien d’origine africaine ou maghrébine intra muros issu des quartiers aisés de la capitale ?
Il est difficile de répondre très précisément à cette question. Celle que nous avons posée à notre panel de Parisiens est : « Pourriez-vous vous mettre en couple avec quelqu’un qui correspond à l’image que vous vous faites des habitants de Seine-Saint-Denis ? » 31% des Parisiennes répondent non. Si une personne d’origine immigrée ne correspond pas à ce stéréotype, réside à Paris et vient d’un milieu aisé, il est probable qu’elle souffre beaucoup moins de discriminations dans le processus de sélection du conjoint.
IFOP/CAM4 le mag.
Sans doute parce que l’intéressé ne projette pas l’image du « Seine-Saint-Denis style » que cite votre étude. Quel signifie ce concept ?
C’est une référence à une chanson du groupe NTM qui portait l’image de ce département dans les années 90.
En gros, le « Seine-Saint-Denis style » concentre les représentations les plus stigmatisantes de l’imaginaire urbain français puisque le 93 cumule les records de pauvreté, de criminalité et de population étrangère ou immigrée. Cela constitue un repoussoir pour une forte proportion de personnes, y compris issues des minorités. Quand on demande aux musulmanes vivant à Paris si elles pourraient se mettre en couple avec un homme originaire du Moyen-Orient ou du Maghreb, environ 40% répondent par la négative. Tout comme les autres Parisiennes, elles ne veulent sans doute pas de conjoint susceptible de leur imposer un couple dominé par une vision conservatrice voire misogyne du rôle de la femme.
Pourtant, la démographe Michèle Tribalat a prouvé la recrudescence de mariages endogames depuis vingt ans, ce qui suppose que les jeunes musulmanes épousent des jeunes musulmans…
Nos travaux ne sont pas forcément contradictoires. Les minorités ethniques qui vivent à Paris n’ont pas forcément le même profil socioprofessionnel (niveau de diplôme…), que le reste de la population d’origine immigrée, notamment en banlieue parisienne. Les musulmans parisiens sont sans doute le symbole d’une réussite sociale ou d’une volonté de se détacher de l’emprise du quartier, de la famille, de la cité et autres pesanteurs traditionnelles. C’est valable pour les jeunes femmes, surtout si elles ne sont pas encore en couple, et les minorités sexuelles qui n’arrivent pas à affirmer leur orientation sexuelle en banlieue. Une de nos précédentes enquêtes montrait qu’il y a beaucoup plus de musulmans homosexuels à Paris que dans le reste du pays.
Dans les couples gays, il y a une prime au capital physique et érotique
Dans un de vos précédents travaux, vous qualifiez Paris de ville « refuge des minorités sexuelles ». Celles-ci, notamment homosexuelles, sont-elles plus ouvertes au métissage que les hétérosexuels parisiens ?
Oui. Dans les couples gays, il y a une prime au capital physique et érotique plus forte que dans le reste des couples. Pour le dire clairement, ils accordent plus d’importance au physique et au sexe. C’est notamment dû au fait qu’ils ne peuvent pas s’inscrire forcément dans une perspective de couple durable ou de construction familiale. Après, dans la mesure où le stigmate de l’homosexualité reste très fort et difficile à assumer, ceux qui l’assument sont sans doute plus disposés à transgresser les normes de race ou de classe dans le choix de leur conjoint d’autant plus facilement que leur isolement relativise la force du contrôle social, ou les craintes d’une mésalliance.
Même depuis la loi Taubira (2013) qui permet le mariage et l’adoption aux couples homosexuels ?
Certes, on a tendance à dire que les nouveaux couples homosexuels sont plus hétéronormés sans forcément pouvoir le prouver. Si leurs membres présentent moins de dissensus que ce qu’on pouvait observer il y a encore vingt ans, les données montrent la persistance d’écarts sociologiques et culturels plus fort que dans les couples hétéros.
La proportion de gays est beaucoup plus forte dans les arrondissements parisiens de gauche
Si on y regarde de près, tous les arrondissements parisiens ne répondent pas de la manière à des questions telles que « Accepteriez-vous un conjoint d’origine subsaharienne ? » Ancré à droite, Ouest (7e, 8e, 16e, 17e) se révèle beaucoup plus réfractaire au métissage que l’Est parisien, très marqué à gauche. Cela correspond-il aux cartes du vote ?
Absolument. Cela rejoint aussi la carte de la proportion de personnes gays, beaucoup plus forte dans les arrondissements de gauche. Idem pour les barbus, plus présents dans les arrondissements de gauche que dans ceux de droite. On retrouve ce décalage entre les arrondissements populaires ou boboïsés du Nord-Est de Paris (11e, 19e, 20e) et les beaux quartiers du triangle d’or de l’Ouest bourgeois que vous avez cités. Dans le 16e, 8e et le 17e, on accorde plus d’importance au fait que le partenaire doive résider dans Paris intra muros et appartenir au même niveau social.
CAM4 Le mag/ IFOP.
Cette carte politique correspond-elle aussi à la carte de l’immigration parisienne ?
Bien sûr. Et la carte de l’immigration rejoint la carte de l’âge. L’Ouest parisien compte beaucoup moins d’immigration, mais davantage de personnes aisées, notamment âgées comme dans le 16e. Alors que le Nord-Est est un foyer de jeunes couples le plus souvent sans enfant, de célibataires ou de familles d’origine immigrée ou étrangères.
Habiter Paris, cela signifie concrètement pas ou peu côtoyer les classes populaires
Petite surprise, la carte des Parisiens rejetant l’union conjugale avec d’autres Parisiens en raison de leur quartier de résidence ne se cantonne pas à la droite dure…
Sur le refus de se mettre en couple avec quelqu’un en fonction de son lieu de résidence à Paris, on constate quand même un écart du simple au double entre des arrondissements comme le 16e et d’autres comme le 18e ou le 19e. De manière générale, le fait de vivre à Paris constitue une marque de distinction sociale qui tend à gommer les écarts de culture ou de niveau de vie entre arrondissements. Car habiter Paris, cela signifie concrètement pas ou peu côtoyer les classes populaires. Sur ce plan, les électeurs centristes parisiens (LREM/Modem) sont plus proches des électeurs de droite (LR ou RN) malgré leurs niveaux différents de libéralisme culturel.
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