NASA Hubble Space Telescope/ Flickr
L’affaiblissement rapide du champ magnétique terrestre depuis maintenant plus de 200 ans est un sujet d’étude actif pour les géophysiciens. Cette détérioration progressive pourrait inévitablement conduire à l’inversion des pôles magnétiques terrestres. Une anomalie du continent africain attire cependant particulièrement l’attention des scientifiques puisqu’elle représente à elle seule une source importante d’affaiblissement du champ géomagnétique de la Terre.
Le champ magnétique terrestre agit comme un bouclier protecteur planétaire en déviant les vents solaires et les rayons cosmiques. Celui-ci est toutefois en train de rapidement se détériorer au point que son instabilité future provoquera potentiellement l’inversion des pôles magnétiques. Si ce phénomène semble étonnant, il n’est pourtant pas nouveau.
Des inversions du champ magnétique se sont produites à de nombreuses reprises au cours de l’histoire de la Terre, environ 300 fois ces derniers 200 millions d’années selon les paléomagnéticiens. La dernière remontant à 780.000 ans. Lorsque cela se produit, l’inversion se déroule sur plusieurs milliers d’années, entraînant une modification importante de la morphologie du champ géomagnétique terrestre et laissant transitoirement certaines zones totalement exposées aux radiations cosmiques.
Dans le cadre de l’étude des raisons expliquant ce déclin rapide, les géophysiciens se sont récemment focalisés sur une région particulière de l’Afrique du Sud abritant une anomalie magnétique majeure : l’Anomalie Sud Atlantique (ASA). Elle concerne une vaste portion du champ magnétique s’étendant du Chili au Zimbabwe. L’intensité de ce dernier y est si faible que cette zone représente un réel danger pour les satellites, du fait de l’excès de radiations.
« Nous savons depuis un moment que le champ magnétique a fluctué ici, mais nous ne savions pas réellement si c’était inhabituel sur des échelles de temps plus importantes, ou bien si c’était normal » explique Vincent Hare, géophysicien à l’université de Rochester, New York. En effet, la raison pour laquelle les scientifiques ont si peu de connaissances sur cette région est le manque de données archéomagnétiques, c’est-à-dire des indications sur le passé du champ magnétique terrestre, généralement visibles à travers certains objets et reliques d’anciens peuples.
À proximité de la vallée de la rivière Limpopo, bordant le Zimbabwe, l’Afrique du Sud et le Botswana, des régions comprises dans l’ASA, les scientifiques ont pu retrouver d’anciens objets riches en informations. Ces derniers ont été façonnés par le peuple Bantu, disparu depuis environ 1.000 ans. Les Bantu pratiquaient un rituel sacré d’appel de la pluie lors des sécheresses, en brûlant leurs huttes d’argile et leurs bacs à grains. En faisant cela, ils ne se doutaient pas qu’ils fourniraient plus tard, de précieux indices aux chercheurs.
« Lorsque vous brûlez de l’argile à de hautes températures, les minéraux magnétiques se stabilisent, et lorsqu’ils refroidissent, ils constituent à ce moment un enregistrement précis du champ magnétique terrestre » explique John Tarduno, l’un des géophysiciens de l’équipe. « Nous cherchions une récurrence de ces anomalies car nous pensons que c’est ce qu’il se passe aujourd’hui et cause l’Anomalie Sud Atlantique. Nous avons maintenant la preuve que ces anomalies ont également eu lieu dans le passé et cela nous aide à mieux comprendre les changements actuels du champ magnétique terrestre ».
Grâce aux objets découverts, les scientifiques ont établi que l’ASA n’était pas un phénomène isolé dans l’histoire de la Terre. Plusieurs autres fluctuations ont eu lieu entre 400-450 apr. J.-C., 700-750 apr. J.-C. et également entre 1225 et 1250 apr. J.-C. L’établissement d’un tel schéma récurrent indique donc que cette anomalie majeure n’est pas simplement une distorsion ponctuelle. Les résultats de cette découverte ont été publiés dans la revue Geophysical Review Letters.
« Nous recueillons de solides preuves quant à l’existence d’un processus inhabituel affectant la limite noyau-manteau sous le plancher africain et qui pourrait avoir un impact important sur le champ géomagnétique global » précise Tarduno.
L’affaiblissement rapide du champ magnétique terrestre progressant depuis environ 200 ans est réputé être causé par un large et dense réservoir rocheux appelé « African Large Low Shear Velocity Province », situé 2900 km sous le continent africain. « C’est une zone profonde datant de plusieurs dizaines de millions d’années et dont les limites, bien définies, s’étendent sur des milliers de kilomètres » précise les chercheurs.
Ce réservoir rocheux est localisé entre le noyau externe composé de fer liquide à très haute température, et le manteau rigide et froid. Les auteurs suggèrent que cette interposition serait à l’origine d’une perturbation des mouvements convectifs et de l’effet dynamo au sein du fer liquide, induisant une détérioration importante du champ magnétique terrestre.
En général, les modèles d’inversion des pôles magnétiques affirment que de tels phénomènes peuvent débuter à n’importe quel endroit du noyau terrestre. Cependant, cette dernière découverte démontre que l’affaiblissement général du champ géomagnétique est liée à un processus précisément localisé dans certaines zones de la limite noyau-manteau.
Grâce à un rituel vieux de plus de 1.000 ans, les scientifiques ont donc potentiellement résolu une grande partie de l’énigme concernant la dégénérescence actuelle du champ magnétique terrestre. Cependant, ces données ne permettent pas encore de formuler des prédictions fiables sur la situation magnétique future de notre planète.
« Nous savons que ce comportement inhabituel du champ magnétique s’est manifesté plusieurs fois avant les derniers 200 ans et qu’il fait partie d’un plus grand schéma récurrent. Néanmoins, il est bien trop tôt pour affirmer avec certitude que ce comportement conduira à une inversion totale des pôles magnétiques » conclut Hare.
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