09 juillet 2018

Paranoïa raciale

 
Si vous êtes blanc, que vous jouissez d'une certaine présence sur la scène publique - en tant que politicien, professeur ou conseiller politique - et que vous profitez de la tribune qui vous est offerte pour aborder des problématiques sociétales, on vous accusera à coup sûr d'avoir une vision du monde déformée par le biais du privilège blanc. Les leaders noirs et les agitateurs droit-de-l'hommistes emploieront des termes on ne peut plus virulents - en témoigne ce passage croustillant d'un récent débat sur le politiquement correct, où Michael Eric Dyson, n'y allant pas par quatre chemins, traita tout bonnement son adversaire conservateur, Jordan Peterson, d'« homme blanc fou et malveillant ». Même les personnalités de « gauche », comme Hillary Clinton et Bernie Sanders, ne sont pas épargnées par cette accusation. Le privilège est présenté comme une condition qui, une fois acquise, s'avère incurable. Toutefois, il serait hallucinant de suggérer que Dyson et autres figures de proue de la justice sociale sont les seuls à avoir une vision objective du monde dénuée de tout parti-pris. Le bon sens suggère l'existence d'une maladie complémentaire qui affecte ces accusateurs : on pourrait la qualifier de paranoïa raciale.

Si certains ont des œillères en ce qui concerne les injustices qui les entourent, se pourrait-il également que d'autres voient de l'injustice là où il n'y en a pas ? L'arène publique est l'espace privilégié où paranoïa et privilège clashent avec une violence inouïe dès qu'il s'agit d'aborder les problèmes d'inégalité devant la justice. Dans leur argumentation, les avocats de la cause noire citent invariablement les incidents filmés qui font désormais partie intégrante du débat national sur la question raciale : les affaires Eric Garner, Walter Scott et Philando Castile. Tous ces incidents ont donné du grain à moudre à Black Lives Matter et, par la suite, au mouvement de protestation « Take a knee » de la National Football League. Certes, les vidéos peuvent constituer des pièces à conviction spectaculaires dans les affaires de violence extrajudiciaire. Mais ce qu'une vidéo ne peut pas faire, c'est démontrer si l'usage excessif de la force est simplement inapproprié, ou s'il y a une motivation raciste sous-jacente. Pour le déterminer, on doit se tourner vers les faits et les statistiques.

Une étude publiée la semaine dernière laisse entendre que la vision des forces de l'ordre en tant qu'institution où pullule le racisme est hautement empreinte de paranoïa. L'étude, intitulée "Is There Evidence of Racial Disparity in Police Use of Deadly Force?" [Y a-t-il des preuves d'inégalités raciales dans l'usage de la force létale par la police ?] examine les données disponibles en matière d'usage d'armes à feu par la police en 2015 et 2016. Les auteurs observent que les biais sont déterminés par la simple comparaison des probabilités d'être abattu par la police selon qu'on est blanc ou noir, ces probabilités étant mesurées proportionnellement à la population de chaque groupe. » L'image qui en ressort est forcément partielle, affirment les auteurs, en raison de la différence substantielle, au niveau individuel, en matière de criminalité au sein de la communauté noire : « lorsqu'on ajuste les données en matière de criminalité, on ne trouve aucune preuve systématique d'un biais anti-noir dans les fusillades létales, les fusillades létales de citoyens non armés, ou les fusillades létales impliquant une erreur d'identification d'objets inoffensifs. »

Même lorsqu'on procède à ces ajustements, les chiffres bruts parlent d'eux-mêmes. En 2017, les policiens étatsuniens ont tué 19 Noirs non armés. Il y a 30 millions de Noirs âgés de plus de 18 ans sur le sol étatsunien. Ces 19 morts représentent donc un taux de mortalité de 0.00000063333 - soit moins d'un dix-millième d'1%. On ne peut rien inférer d'un échantillon aussi insignifiant. À travers le pays, le bilan des événements aléatoires est bien plus lourd. En 1 an, 84 personnes sont mortes après avoir été attaquées par un « mammifère non canin ». Chaque année, quelque 340 Étatsuniens meurent dans leur propre baignoire. Si pour cette année, il s'avérait que la moitié d'entre eux sont noirs - un chiffre largement supérieur à ce à quoi l'on pourrait s'attendre, compte-tenu de la proportion de Noirs, qui se monte à 13% - on n'ouvrirait pas une enquête pour déterminer si les baignoires ont développé des tendances racistes. Par contre, on pourrait adopter un angle comportemental fondé sur le bon sens, en cherchant à déterminer l'apparition de nouveaux comportements susceptibles d'exposer les Noirs à un risque accru lorsqu'ils prennent un bain. De façon intéressante, un tel raisonnement est considéré comme malvenu lorsqu'il s'agit d'évaluer les interactions entre les Noirs et les forces de l'ordre. Apparemment, on interdit à la société dans son ensemble d'attribuer une cause noire aux malheurs affectant les Noirs.

Quoi qu'il en soit, il est incontestable que la police prend pour cible et harcèle les Noirs bien plus souvent que les Blancs, non ? Pas si vite. Dans le Police-Public Contact Survey (PPCS) - sondage mené de façon plus ou moins régulière par le Bureau of Justice Statistics (BJS) et basé sur un échantillon de quelque 60 000 résidents états-uniens âgés de plus de 16 ans - les sondés décrivent leurs récentes interactions avec la police. Tant les Noirs que les Blancs approuvent à une écrasante majorité le comportement de la police, avec une différence mineure dans les perceptions du bien-fondé de leurs interpellations respectives : un taux d'approbation de 83% pour les Noirs, contre 89% pour les Blancs. Même si les Blancs semblent également bénéficier d'un léger déséquilibre en leur faveur en ce qui concerne l'usage de la force, ce dernier est étonnamment rare dans l'ensemble : en effet, l'usage de la force concerne 3,5% des interactions pour les Noirs, et 1,4% pour les Blancs. Gardez deux choses à l'esprit : premièrement, ce chiffre inclut un pourcentage d'interactions ayant nécessité l'usage de la force pour appréhender un suspect ou mettre fin à un délit. Deuxièmement, pour les besoins de cette analyse, la « force » englobe des pratiques relativement bénignes telles que le fait de « crier, jurer, menacer, pousser ou agripper ». Au final, malgré les inquiétudes concernant la supposée propagation des politiques de « contrôle et palpation » au sein de la socité, on n'observe aucune différence statistique entre les Noirs et les Blancs en matière de fréquence des contrôles de rue - moins d'1% pour les deux groupes.

Et pourtant, on observe une tendance épidermique chez les porte-parole de la communauté noire (et leurs alliés dans les médias) à considérer chaque nouvel incident comme une métaphore, comme la confirmation d'un truisme répandu. Un parfait exemple : la version des événements de Ferguson (Missouri), accablante à l'origine, fut rapidement discréditée (et ultérieurement démystifiée par l'enquête du département de la Justice). Non, un homme noir pacifique n'a pas été abattu sans pitié alors qu'il tentait de se rendre à la police ; en fait, il tentait de s'emparer de l'arme à feu du policier. Néanmoins, l'affaire Michael Brown a mis Black Lives Matter en surrégime, tandis que le slogan « Mains en l'air, ne tirez pas ! » s'est répandu comme une traînée de poudre, jusqu'à être scandé par les journalistes et intervenants sur CNN. (Désormais, on retrouve cette incantation sur des t-shirts arborés dans tout le pays par les activistes droit-de-l'hommistes).

Comment un jeune homme a-t-il pu devenir la figure emblématique d'un malaise inexistant ? On pourrait arguer que trois facteurs sont en jeu. Le premier, sans surprise, sont les mass médias, avec leur couverture sensationnaliste en continu d'incidents de ce genre. Le deuxième est l'impact spectaculaire du prétendu Black Twitter, avec son effet exponentiel. Le troisième (et nouveau) facteur est l'emprise exercée par une série d'auteurs afro-américains qui font montre d'un intérêt pervers pour la marchandisation de la souffrance raciale. Ces auteurs incluent M. Dyson, Charles Blow du New York Times, le chroniqueur Leonard Pitts Jr., Marc Lamont Hill et le très acclamé Ta-Nehisi Coates. Collectivement, ils concoctent à l'intention de leur public affamé une mixture indigeste faite d'esclavage, de Jim Crow, de lynchages du KKK, d'incarcérations de masse, d'émergence de l'« alt-right » et - par-dessus tout - de primauté de la sacro-sainte « expérience vécue ». Songez aux dégâts psychologiques qu'ils infligent à leurs lecteurs en les immergeant ad nauseam dans la « malfaisance blanche ».

Aussi je conclurai cet article par une simple requête à M. Dyson et à tous les pourvoyeurs de cette débauche d'amertume raciale : vérifiez votre niveau de paranoïa.

Steve Salerno est un essayiste populaire et professeur de journalisme. Son ouvrage SHAM: How the Self-Help Movement Made America Helpless (2005) explore l''impact de l'industrie du développement personnel sur la société. On peut le suivre sur Twitter @iwrotesham.

Commentaire : Le discours actuel sur la question raciale a atteint un niveau d'absurdité quasi inouï. Les Social Justice Warriors voient le monde à travers un prisme complètement déformé, où les « faits » ne veulent plus rien dire et existent simplement pour servir leur dessein politique.

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