Les États-Unis continuent de poursuivre l’expansion de leur Système de défense antimissile balistique (Balistic missile defence ou BMD). Cet effort a la faveur et le soutien des deux partis au Congrès ainsi que celle des experts. Bon nombre de ses alliés accordent une grande importance à la coopération avec les États-Unis en matière de défense antimissile balistique. Toutefois, d’amples raisons existent pour s’interroger sur l’efficacité des systèmes étasuniens de défense antimissile (BMDs), et en particulier sur leur capacité de protéger contre des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM).
« Nous avons des missiles qui peuvent détruire un ICBM en vol, dans 97% des cas » déclarait le président Donald Trump dans son interview à Fox News le 11 octobre 2017, ajoutant « et si quelqu’un en lançait deux, il est certain qu’ils seraient abattus ». Il parlait de la menace provenant de la Corée du Nord et de la capacité de la contrer à mi-parcours par des systèmes basés au sol (GMD) en Alaska et en Californie – un projet de $40 milliards géré par l’Agence de défense antimissiles (MDA).
Les militaires étasuniens ont mené leur tout premier essai de défense antimissile, impliquant une attaque simulée par un ICBM, en mai. La cible a été tirée de l’atoll de Kwajalein situé dans les îles Marshall vers les eaux du sud de l’Alaska. La mission consistait à se préparer à contrer un ICBM lancé par la Corée du Nord. L’Agence de défense antimissile (MDA) a qualifié l’essai de « succès incroyable ».
Selon le vice-amiral Jim Syring, directeur de l’agence « ce système est d’une importance vitale pour la défense de notre patrie, et démontre que nous avons une dissuasion efficace et crédible contre une menace très réelle ». L’évaluation semble exagérée du fait que l’essai n’a pas été effectué dans un environnement réel.
Le prochain essai du système basé sur terre (GMD) est prévu pour la fin de 2018 et, pour la première fois, impliquera le lancement de deux missiles intercepteurs contre une cible ICBM. Cela ne corrobore guère l’affirmation du président selon laquelle deux intercepteurs sont suffisants pour abattre un missile nord-coréen, car aucun test de ce type n’a été effectué jusqu’à ce jour.
Les États-Unis déploient actuellement 36 intercepteurs – 32 à Fort Greely, en Alaska, et quatre depuis la base aérienne de Vandenberg, en Californie. D’ici la fin de 2017, il y aura 44 intercepteurs basés au sol (GBI) déployés. La majorité des intercepteurs utilisent la variante CE-I du véhicule de destruction qui n’a obtenu que deux succès lors des quatre essais effectués. Au moins dix intercepteurs doivent être équipés du véhicule CE-II Block I, qui a réussi deux essais d’interception sur trois.
Il est généralement admis qu’il faut au moins quatre ou cinq intercepteurs pour atteindre une cible. Cela signifie que le président Trump s’éloigne de la réalité en disant que la probabilité de faire mouche est de 97%. Avant le test ICBM, le système GMD avait réussi à atteindre sa cible dans seulement dix essais sur dix-huit depuis 1999. Le taux de réussite est d’environ 56% et non pas de 97%. Mais même les 56% sont, presque certainement, une surestimation, étant donné le caractère des essais, loin des conditions réelles.
Le taux de réussite par quatre à cinq intercepteurs par cible pourrait bien être de 97%. Mais la possibilité que chaque intercepteur visant simultanément ait une chance de succès n’est pas indépendante de la précédente à cause des facteurs corrélés tels que les erreurs de conception, conduisant à des défauts qui réduisent les taux de réussite. Néanmoins, le président Trump estime que chaque intercepteur a une probabilité de tir propre (SSPK) pour un intercepteur donné de 97% (plutôt que 56%).
Selon le Washington Post :
« Aucun intercepteur ICBM n’a démontré un taux de réussite de 97%, et il n’y a aucune garantie que l’utilisation de deux intercepteurs aurait un taux de réussite de 100%. De plus, la suggestion de l’armée selon laquelle elle pourrait atteindre un taux de réussite de 97% avec quatre intercepteurs semble fondée sur des hypothèses erronées et des calculs trop enthousiastes. Les probabilités de succès dans les conditions les plus idéales ne dépassent pas au mieux 50-50, comme cela a été démontré dans l’évaluation détaillée du gouvernement. »
Joe Cirincione, le président de Ploughshares Fund et auteur de « Nuclear Nightmares (Cauchemars nucléaires) : Sécuriser le monde avant qu’il ne soit trop tard », a enquêté sur des programmes antimissiles pendant près de dix ans en tant que professionnel auprès des comités des services armés et des opérations gouvernementales. Il croit que « si les gens examinaient de près un seul de ces tests d’intercepteurs, ils concluraient probablement, comme je l’ai fait, que ces tests ne correspondent guère aux conditions du monde réel ».
Si la Corée du Nord lançait un ou plusieurs ICBMs contre les États-Unis, la GMD avec ses intercepteurs au sol (GBI) est le seul système susceptible de tenter de les intercepter et de détruire les ogives à mi-course hors de l’atmosphère. D’autres systèmes de défense antimissile tels THAAD et Aegis ne sont pas en mesure de frapper les ICBM car ils sont conçus pour d’autres classes de cibles.
Avec un seul test contre un ICBM, le MDA n’est même pas près de démontrer que le système fonctionne dans un environnement réel. Les systèmes GMD n’ont pas encore été testés dans les conditions pour lesquelles ils sont censés fonctionner. Aucun test n’a été effectué la nuit ou face à des contre-mesures complexes, telles que des contre-mesures électroniques et des leurres. Les tests sont toujours truqués parce que l’équipe d’interception connaît le moment et la trajectoire du missile entrant. Mais même les tests « attendus » ont souvent échoué. Les essais effectués jusqu’à présent sont insuffisants pour démontrer qu’une capacité opérationnelle de BMD existe réellement.
Les États-Unis n’ont pas effectué d’essais publics pour voir si les radars antimissiles pouvaient distinguer un missile d’un objet quelconque. Même les ballons gonflables bon marché peuvent faire échouer tous les efforts d’interception. Sans résistance à l’air (ou traînée) dans l’espace, un leurre comme un ballon en forme d’ogive nucléaire pourrait voyager de la même façon qu’une véritable ogive, ce qui rendrait difficile pour un missile de distinguer le réel du leurre. Les ballons sont assez légers pour permettre à une attaque sophistiquée de lancer 20 ou 30 ballons leurres pour obscurcir le chemin de l’ogive, submergeant le système de défense avec de faux signaux.
En février et avril 2016, le Government Accountability Office (GAO) a estimé que le MDA n’avait pas « démontré par des essais en vol qu’il pouvait défendre la patrie étasunienne contre la menace de missiles », et qu’il s’appuyait sur « un calendrier hautement optimiste » pour mettre le système à niveau.
Les États-Unis ont abandonné le Traité sur les missiles anti-balistiques (ABM) en 2002, ce qui a grandement entravé le processus de contrôle des armements. Efficace ou non, la capacité BMD actuelle et potentielle des États-Unis est prise en considération pour influencer la planification militaire de la Russie. Elle incite Moscou à prendre des contre-mesures pour répondre aux plans de défense antimissile balistique et a un impact négatif sur les perspectives de futurs accords de contrôle des armements entre la Russie et les États-Unis. Avec les incertitudes soulevées au sujet de l’équilibre des armes strict convenu dans le nouveau START, une réaction en chaîne est déclenchée conduisant à la course aux armements.
Philip Giraldi, un expert très respecté, directeur exécutif du Conseil pour l’intérêt national, estime que le peuple américain est trompé par l’administration, qui essaie de lui faire croire qu’une guerre nucléaire est pensable. Selon lui, « si tel est le message envoyé par la Maison Blanche, cela encouragerait l’aventurisme imprudent de la part de l’État de sécurité nationale ». M. Giraldi a mis le doigt sur la plaie. L’effort sur le GMD crée l’illusion dangereuse qu’une victoire dans un conflit nucléaire est possible et qu’aucun argent ne devrait être épargné pour stimuler la mise en application des plans de MDA. En réalité, l’industrie américaine de la défense en est le seul bénéficiaire, alors que les contribuables jettent de l’argent par la fenêtre. Le résultat est la poursuite de l’érosion du contrôle des armements et la réduction de la sécurité.
Andrei Akulov
Source
Traduit par Alexandre Moumbaris, vérifié par Marie-José Moumbaris relu par Cat pour le Saker Francophone
Traduit par Alexandre Moumbaris, vérifié par Marie-José Moumbaris relu par Cat pour le Saker Francophone
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