02 mars 2017

Frexit


A moins de deux mois des élections présidentielles françaises, les analystes et autres experts politiques nagent en plein dilemme : d’un côté, les sondages montrent que le Front national de Marine Le Pen, avec 20 à 30% des intentions de votes, remportera certainement le premier tour et perdra presque certainement le second, soit contre Fillon soit, plus récemment, contre Macron. D’un autre côté, les mêmes analystes et autres experts se sont fourvoyés dans leurs pronostics sur le Brexit et l’élection de Donald Trump, et se démènent pour éviter de remporter leur tiercé gagnant qui, avec trois pronostics erronés sur trois, signifierait la possibilité de perdre leur emploi.

Simultanément, les marchés encaissent plutôt bien l’ascension de Marine Le Pen dans les sondages, et la marge actuarielle (le « spread » en anglais) entre les taux d’emprunts de la France et ceux de l’Allemagne évolue en parallèle avec la hausse des chances de victoire pour Le Pen [le « spread » est d’autant plus bas qu’un emprunteur est considéré comme solvable, NdT]. En fait, comme nous le soulignions la semaine dernière, la dette de la France est à son plus haut niveau de dangerosité par rapport à la dette allemande, depuis ces quatre dernières années.

De quoi les marchés sont-ils si effrayés?

Selon son manifeste récemment rendu public, Marine Le Pen a promis de faire sortir la France de la zone Euro dans un délai de six mois suivant son élection, et ce, de façon unilatérale, ce qui n’a pas manqué de jeter le doute sur les conséquences d’une telle décision. La réponse est venue du Front national lui-même, qui a soudainement révélé son projet au Financial Times, suggérant que les 1700 milliards d’euros de dette publique seraient re-libellés en francs si le Front national accédait au pouvoir.

Il s’agit du scénario dont rêvait Yanis Varoufakis pour la Grèce.

Comme l’explique le Financial Times, « selon des commentaires qui ne feront qu’amplifier les craintes au sujet de l’impact sur les marchés financiers mondiaux d’une victoire du FN, plusieurs cadres de haut niveau du FN ont déclaré au Financial Times que le parti d’extrême-droite viserait à re-libeller environ 80% des 2100 milliards de dette publique française, à savoir la partie contractée sous droit français, dans une nouvelle monnaie nationale. David Rachline, le directeur de la stratégie du FN, a confirmé que le sujet avait été étudié en profondeur par le FN lorsqu’il a déclaré dans une entrevue que seuls 20% de la dette publique française ‘tombaient sous le coup de la loi internationale [et resteraient libellée en euros] […] mais que pour le reste, nous avons le droit de libeller dans une nouvelle monnaie’.«

Ainsi, si l’on prend en considération la ligne verte du diagramme ci-dessus qui continue de monter, un très probable changement de monnaie, et un « Frexit » sur la table, alliés aux souvenirs d’événements « impossibles » tels le Brexit et l’élection de Donald Trump toujours frais dans les mémoires, il est grand temps pour les médias de sortir l’artillerie alarmiste, à commencer par les agences de notation. Celles-ci ne nous ont évidemment pas déçus, annonçant au FT qu’un événement comme la victoire de Marine Le Pen reviendrait, selon ces agences de notation, au plus gros défaut de paiement sur la dette souveraine jamais enregistré, évalué à presque dix fois celui de la restructuration des 200 milliards de la dette grecque en 2012, menaçant le monde civilisé d’un Armageddon financier, en plus de l’effondrement de la monnaie unique.

Moritz Kraemer, le directeur du département de la notation des dettes publiques pour l’agence Standard & Poor’s, a déclaré dans un communiqué qu’il s’agirait bien d’un défaut de paiement. « Il n’y a ici aucun doute… Si l’émetteur de la dette ne se conforme pas à ses obligations contractuelles vis-à-vis de ses créanciers, et cela inclut le remboursement dans la monnaie stipulée dans le contrat, alors nous devrions l’appeler un défaut de paiement. »

Alistair Wilson, directeur du département de notation des dettes publiques pour l’agence Moody’s, a déclaré qu’il considérerait n’importe quel pays quittant la zone euro comme étant en situation de défaut de paiement s’il changeait la devise de nomination de sa dette et que cela cause une perte financière à ses créanciers, par rapport à ce qu’ils espéraient gagner à l’origine. « Pour nous, le test est celui-ci : considérons-nous que les investisseurs récupèrent la valeur de ce qu’ils ont investi, au moment où ils pensent la récupérer », a-t-il expliqué.

David Rachline a expliqué que la dette française serait re-libellée sur une base de « un franc pour un euro ». Mais il a ajouté que recréer une monnaie nationale dont la valeur diminuerait vis-à-vis des « restes » de l’Euro diminuerait de facto le poids total de la dette souveraine française. « Retrouver notre souveraineté monétaire nous permettra d’avoir recours à la dévaluation compétitive », a-t-il ajouté.

Il s’agit ici aussi du projet que caressait Varoufakis, jusqu’à ce qu’il prenne conscience que la Banque centrale européenne était celle qui actionnait les leviers du système bancaire grec et des dépôts bancaires de la population, libellés en euros : il n’y avait tout simplement pas assez de liquidités en circulation si le peuple grec décidait de retirer ses fonds des banques, ce qui fut la cause de l’échec de la révolution de Varoufakis.

Et nous qui pensions que tout le monde avait compris depuis, ce que signifiait « couverture bancaire partielle »…

Il n’est pas établi si Le Pen ou le FN ont établi une alternative à ce plan : il serait stupide de ne pas en avoir un, moins de deux ans après le fiasco grec de 2015. Et malgré cela, ce procédé est tout à fait possible. De avocats contactés par le Financial Times ont expliqué que re-libeller une émission de dette publique contractée sous la loi française serait en théorie possible, pour la raison que toute nation a le pouvoir de modifier ses lois. Cela signifie que les détenteurs de la dette publique auraient des difficultés à poursuivre l’État français devant les tribunaux, de la même manière qu’ils ont poursuivi l’Argentine après son défaut de paiement de 2001.

Matthew Hartley, un associé du département des marchés de capitaux de la dette chez Allen & Overy, a déclaré : “C’est justement parce que les obligations d’État sont gouvernées par le droit français qu’ils ont simplement à abroger la loi française pour modifier les termes du contrat. »

Dans le même temps, et juste au cas où vous ne trouveriez pas les agences de notation assez convaincantes, des économistes de haut-vol, dont la réputation est à l’évidence largement supérieure à celle des autres économistes, y sont également allés de leur rengaine, expliquant qu’une France qui quitterait la zone euro sèmerait le chaos en Europe. Ainsi Benoît Cœuré, membre exécutif du comité directeur de la Banque centrale européenne, nous a expliqué cette semaine que quitter l’euro mènerait à une paupérisation, à une élévation des taux d’intérêts, à un alourdissement du fardeau de la dette, ainsi qu’à plus de chômage et d’inflation.

Ce banquier central européen a dû s’étrangler en apprenant le projet de Marine Le Pen de faire ce que toute banque centrale du monde développé rêve de faire, mais ne peut faire pour le moment, à savoir « déployer l’hélicoptère monétaire » [créer de la monnaie et la distribuer directement aux citoyens, pour stimuler la demande; alternative à l »assouplissement quantitatif’ ou QE en anglais, NdT]. Le FN a déclaré que, suite à un retour au franc, les lois régissant la relation entre la Banque centrale et l’État seraient modifiées pour autoriser la Banque centrale à financer directement l’État [Soit une abrogation de la loi Pompidou-Giscard sur la Banque de France de 1973, aussi connue sous son nom plus explicite de « Loi Rothschild », qui stipule que « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la banque de France », en clair que l’État ne peut plus emprunter à la Banque de France et doit le faire auprès des banques privées, NdT], par exemple pour payer les traitements de la sécurité sociale et la dette publique.

Quitter la zone Euro n’est qu’un des piliers de la stratégie économique du FN, qui a pour objectif d’augmenter la compétitivité de l’industrie française, suivant fidèlement sur ce sujet la politique économique de Donald Trump. Toutefois la France, qui ne jouit pas du même privilège exorbitant qu’ont les États-Unis de posséder à la fois la monnaie de réserve mondiale et l’armée la plus puissante du monde, se trouve dans l’impossibilité de contraindre ses partenaires commerciaux à son bon vouloir, et espère donc que la dévaluation de sa nouvelle monnaie nationale aura pour effet de relancer ses exportations.

Le second étage du moteur de la politique économique du FN est d’avoir recours à un « protectionnisme intelligent », qui permettrait de protéger et développer les champions industriels nationaux, ce que la France ne peut actuellement pas faire à cause des règles de l’UE, explique le FN.

Un des hauts-gradés du parti explique qu’il s’agit simplement d’un retour aux politiques gaullistes de l’après-guerre, qui maintenaient le contrôle du gouvernement sur l’économie nationale. « Nous ne sommes pas extrémistes, nous sommes gaullistes », tempère ce cadre du FN qui préfère garder l’anonymat.

Toujours selon les caciques du parti, cette stratégie dirigiste verrait le gouvernement imposer des tarifs douaniers sur toute pratique commerciale déloyale de la part d’un État ou d’une société étrangère. Nous verrions également l’établissement d’une nouvelle taxe d’importation de 3% sur les biens étrangers, dont les dividendes seraient reversés sous la forme de déductions fiscales aux plus défavorisés.

Il n’est pas certain à l’heure actuelle que Marine Le Pen remporte ces élections: plus de deux mois nous en séparent encore, et même si on observe sa récente montée dans les sondages contre des adversaires croulant sous des scandales en tous genres, on ne sait pas si elle obtiendra suffisamment de soutiens pour l’emporter. Mais quels que soient les résultats, Mikael Sala, le directeur de « Croissance Bleu Marine », un centre de réflexion qui soutient le FN, a parfaitement résumé la situation lorsqu’il écarte d’un revers de la main toute inquiétude sur le fait que re-libeller la dette en franc serait considéré comme un défaut de paiement par les agences de notation : « Nous serons élus par le peuple français, et ce n’est pas notre fonction que de plaire à Standard & Poor’s. Après la crise financière de 2008, ces agences n’ont de toute façon plus aucune crédibilité. »

Tyler Durden

Traduit par Laurent Schiaparelli, édité par Wayan, relu par nadine pour Le Saker Francophone
 
Commentaire du traducteur 

Le jour suivant la parution de cet article, Les Echos (journal du groupe LVMH) s'est fendu d’un article didactique pour tenter de convaincre son maigre lectorat de l’impossibilité d’un retour au franc, et de l’Armageddon économique que cela signifierait pour la France. En filigrane, la consigne de ne pas voter pour le Front national, qui a fait de la sortie de l’euro un de ses chevaux de bataille. Ce type d’article de propagande grossière n’est pas sans rappeler les campagnes de désinformation précédant le "Brexit" et l’élection de Donald Trump, deux événements qui signalaient la fin du monde civilisé, si l'on en croit le poulailler médiatique occidental. La perte totale de crédibilité qu’ont essuyée les petits commissaires politiques de la presse occidentale à deux reprises en 2016, sur deux événements politiques majeurs, et ce, malgré tous les "outils" à leur disposition (sondages, médias, agences de notation, etc.) ne semble pas les dissuader de tenter leur chance à nouveau, en France cette fois-ci. A longueur d’article, l’”inquiétude des créanciers” sur un éventuel “défaut de paiement” est la seule préoccupation des journalistes (en fait de leurs propriétaires, les journalistes n’étant que leurs porte-paroles), et leurs arguments se réduisent aux épouvantails habituels : la menace d’une dégradation de la note par les agences de notation (qui menacent déjà publiquement la France à deux mois des élections), l’augmentation des taux d’intérêts auxquels emprunterait la France sur les marchés, et une inflation galopante telle que celle qu’a connue l’Argentine au début du millénaire. Ne manquent que les invasions de sauterelles et le choléra. Quant à la solution logique qui voudrait que la France se passe tout simplement des marchés pour se refinancer, et que la loi Rothschild de 1973 soit remise en cause, ce serait du “révisionnisme”, économique. Même le gouverneur de la Banque de France serait contre, en toute indépendance... La dette n’est pas conçue pour être remboursée intégralement (seuls les intérêts le sont, et ce de façon perpétuelle), mais pour garder les pays en état de dépendance vis-à-vis des créanciers apatrides. Sortir de l’euro permettrait aux nations de s’affranchir du carcan de la dette, et de retrouver une souveraineté économique, en attendant une souveraineté politique. Permettre à l’État d'emprunter à la banque centrale, à savoir faire “tourner la planche à billets”, générerait certes de l’inflation, mais c’est un moindre mal dont s’accommodent de nombreux États comme les États-Unis, le Japon et la Chine (cette dernière emprunte à sa banque centrale). Pourquoi les États européens devraient-ils être les seuls à se l’interdire?

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