26 novembre 2016

La Turquie de Recep Erdogan fera-t-elle tomber l'Union européenne ?


Recep Erdogan voit clairement qu’il n’y a que Washington et Moscou qui comptent, et il peut marquer des points chez ces deux puissances en discréditant l'UE, peu pertinente, sur la scène mondiale, considère le journaliste Martin Jay.

Martin Jay est un correspondant basé à Beyrouth qui travaille de manière indépendante pour un certain nombre de journaux britanniques ainsi que pour la chaîne de télévision Deutsche Welle TV.

Nombreux sont ceux qui se demandent quel pays de l'Union européenne organisera son propre Brexit et provoquera l'effondrement de l'union. En ce moment, c'est la Turquie qui menace le projet avec sa «motion de défiance». Erdogan en a assez de l'UE.

Quelle est l'utilité du corps diplomatique de l'Union européenne qui coûte un milliard d'euros et qui est dirigé par l'ex-ministre italienne des Affaires étrangèresm, Federica Mogherini ? Rien que cette semaine, sa crédibilité a été entamée par un coup sérieux, après des mois de défaillances, considérant notamment la façon dont Israël a snobbé les menaces et poursuivi le développement de ses colonies illégales, sans parler de la non-invitation de l'UE aux pourparlers de paix en Syrie, même pas en tant qu'élément de décor.

C'est comme si l'UE était en train de s'effondrer et nous assistions aux premiers tremblements.

La Turquie est maintenant au-delà du corps fragile du Service européen pour l'action extérieure (SEAE), dont le Daily Telegraph a fait savoir plus tôt cette année qu'il gaspillait des centaines de millions d'euros dans des palais djinn destinés à des ambassadeurs absents. La dernière menace proférée contre l'UE par Recep Tayyip Erdogan est double : d’abord, il prend au mot l'UE concernant les réfugiés syriens. L'accord conclu plus tôt cette année, en vertu duquel la Turquie devait prendre en charge des millions d'entre eux à l'intérieur de ses frontières en échange de la supression du régime de visa pour les citoyens Turcs souhaitant se rendre dans le bloc des 27 nations, a échoué.

Recep Tayyip Erdogan se réfère au Brexit comme à un moment de rupture, soutenant sa décision de s'écarter du «radeau de la Méduse» qu'est l'Europe

Ensuite, après l'apparition de la débâcle des réfugiés, libérée de son euro-jargon et des mots fantaisistes que les 200 responsables de presse à Bruxelles peuvent trouver, cet accord fracassé n'a réussi qu'une chose : inciter Ankara à penser que l'Europe n'était plus dans la lignée de sa géopolitique naturelle et que la Turquie devait commencer à se tourver vers l'Est.

Il n’y a rien de nouveau. En effet, dans la très bonne émission Crossfire de Peter Lavelle, un universitaire turc a déclaré il y a quelques temps que le commerce et la prospérité de la Turquie reposaient sur ses relations avec la Chine, la Russie et d'autres pays de la région, y compris l'Iran. Pourquoi la Turquie a-t-elle besoin de l'UE, après tout ?

Ce nouveau mouvement audacieux du président turc aurait dû être préparé pendant quelque temps, étant donné que la Turquie s'est accrochée si longtemps à ce rêve d'adhésion à l'UE. Mais enfin, il est arrivé, ce temps où beaucoup commençaient à se demander : «A quel prix ?»

Recep Tayyip Erdogan se réfère au Brexit comme à un moment de rupture orientant sa décision de s'écarter du «radeau de Méduse» qu'est l'Europe alors que ses dirigeants s'efforcent de sauver la crédibilité de l’Union et tentent de créer une armée commune dans un effort d’améliorer l’image de l’UE sur les écrans de télévision européens. De manière incroyable, l'UE répond à sa propre crise en disant aux Européens qu'ils ont besoin de plus d'UE comme remède et non pas, une version simplifiée, avec des pouvoirs moins étendus ou en abandonnant le traité de Lisbonne qui a donné naissance au SEAE.

Recep Tayyip Erdogan a déclaré qu’à la suite du Brexit, d'autres pays de l'UE hésitaient et que si l'un d'eux quittait l'Union européenne, ou même la zone euro, le projet s'effondrerait comme un château de cartes. Il a peut-être raison.

Les économistes s'inquiètent depuis quelque temps de l’éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro et de l’incidence que cette sortie pourrait avoir sur les marchés. L'Espagne, comme le Royaume-Uni, a une longue histoire du commerce mondial et a également de fortes incitations à revenir à la peseta. En cédant à cette tentation, Madrid pourrait effacer sa dette et réinvestir dans ses marchés traditionnels d'Amérique du Sud.

Et maintenant, la dernière chose dont l'UE a besoin, c'est de quelqu'un qui attire l'attention des médias sur le rejet des projets de l'UE en la qualifiant d’Etat défaillant à part entière.

La diplomatie de l'UE est une bête mythique qui, comme un chat noir dans une pièce noire, n'existe même pas

Mais ce n'est pas vraiment le Brexit qui a monté le leader turc contre l'UE. C'est plutôt l'échec de la diplomatie de l'Union. Le SEAE, un corps diplomatique chaotique, qui n'a tout simplement pas dit les bonnes choses au bon moment au chef de l'Union européenne et lui garantir que cet accord servait ses intérêts.

Et qui a eu l'idée, il y a quelques mois, d'envoyer les deux députés allemands – le président du Parlement européen lui-même et son collègue gueulant – qui ont tous les deux grondé la Turquie et ont gardé le silence après l’échec du coup d’Etat dans ce pays ? En dépit de leur voyage récent, quand ils ont essayé de flatter Ankara, il y a peu de doute qu'ils espéraient tous deux que les comploteurs du coup d'Etat allaient réussir. La visite de Federica Mogherini pour rattrapper la situation rapidement, une semaine plus tard, n’a fait qu'empirer les choses.

La diplomatie de l'UE est une bête mythique qui, comme un chat noir dans une pièce noire, n'existe même pas. Pour deux raisons, principalement. La première : Londres, Paris et Berlin n'ont jamais eu la confiance nécessaire pour remettre à Bruxelles de véritables pouvoirs en politique étrangère. La seconde : Federica Mogherini elle-même n'a pas le charisme pour séduire les dirigeants du Moyen-Orient. C'est vraiment aussi simple que cela.

Mais en réalité, l'élection de Donald Trump a planté le dernier clou dans le cercueil de l’affaire clinquante entre la Turquie et l'UE. Trump défend la mise en cohérence des relations à la fois avec l'UE et l'OTAN, de même que l’amélioration des relations avec la Russie. Il n'a aucune patience pour les rêves humides et les faiblesses des dirigeants de l'UE comme Jean-Claude Juncker. Il a tout simplement réorienté les priorités, non seulement pour la Turquie, mais aussi pour la région et le monde.

La Turquie va maintenant profiter de meilleures relations avec les Etats-Unis et va probablement s'emparer de l’organisateur du coup d’Etat, le clerc Fethullah Gulen (75 ans) qui sera probablement extradé par l’administration Trump. Plus besoin de s'inquiéter du fait que les Américains continuent déstabiliser le Moyen-Orient avec l'idée délirante d’encourager les Kurdes ou avec l'obsession ridicule de changer de régime en Syrie.

Recep Tayyip Erdogan voit clairement maintenant qu’il n’y a que Washington et Moscou qui comptent, et il peut marquer des points chez ces deux puissances en discréditant l'UE, peu pertinente, sur la scène mondiale. Ironiquement, ce sera maintenant la Turquie qui soutiendra la cause du Brexit car la position d'Ankara est de conserver le statut auquel aspire le gouvernement de Theresa May à Londres : un non-membre de l’UE qui bénéficie de la liberté de commercer avec l'UE sans assumer aucune charge financière. Il est important de se rappeler que la plupart des Turcs de classe moyenne obtiennent assez facilement des visas pour se rendre dans l'UE.

Le rôle du SEAE pourrait être remis en question, mais peu de gens plaideront pour sa suppression, bien que la perte de la Turquie soit incontestablement un échec de ce bureau

Au cours des prochaines semaines, il sera intéressant de voir si Recep Tayyip Erdogan met à exécution sa menace d'ouvrir la barrière de la misère humaine et de laisser deux millions de réfugiés syriens goûter au rêve européen. Beaucoup d’entre-eux se dirigeront directement vers l'Allemagne, le pays qui est le plus prospère de l’UE, mais qui cherchera également des scalps lorsque le président turc ouvrira les vannes.

Le rôle du SEAE pourrait bien être remis en question, mais peu de gens, en réalité, plaideront pour sa suppression, bien que la perte de la Turquie soit incontestablement l'un de ses échecs .

Recep Tayyip Erdogan a récemment déclaré que les dirigeants européens n'ont jamais vu la Turquie comme un futur membre.

«De temps en temps, il y a des insultes contre moi, des affirmations qu'il n'y a pas de liberté d'expression en Turquie. En même temps, les terroristes se promènent dans les rues françaises, allemandes et belges. C'est comme cela qu'ils comprennent la liberté», a ajouté le président turc.

Lorsqu'on lui a demandé si rien d'encourageant ne venait de l'Europe, Recep Erdogan a dit : «Il est impossible de les comprendre.» Qu'attendait-il de Bruxelles ? De la clarté et de l’intégrité ?

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