26 novembre 2016

Des couches absorbantes aux étoiles filantes


Cela peut paraître trivial, mais c'est l'un des défis de l'exploration spatiale : résoudre le grand casse-tête du caca dans l'espace (le pipi pose moins de problèmes). Depuis que les missions habitées durent plusieurs jours, voire des mois, les agences spatiales doivent assurer l'hygiène et la santé de leurs astronautes, avec les contraintes qu'impose la vie dans l'espace. Juste après son arrivée à bord de l'ISS, le spationaute Thomas Pesquet a d'ailleurs dû réparer des toilettes en panne.

C'est l'occasion pour franceinfo de vous raconter l'histoire du caca spatial, ponctuée de petits incidents et de grandes avancées technologiques. Mais commencez par oublier toutes vos habitudes de Terriens, pour bien enregistrer qu'en l'absence de gravité, les fluides corporels flottent dans l'air au lieu de tomber, quand ils ne restent pas bêtement collés au corps (c'est pourquoi il est aussi très difficile de pleurer dans l'espace).


Le premier Américain envoyé dans l'espace s'est fait pipi dessus

Le premier homme envoyé dans l'espace, le 12 avril 1961, n'a pas eu à se poser de questions. Avant le lancement, à Baïkonour, le cosmonaute russe Youri Gagarine prend soin d'uriner sur une roue de son bus et sa mission dure moins de deux heures, le temps d'effectuer une orbite autour de la Terre.

Un mois plus tard, Alan Shepard, premier Américain dans l'espace, n'a pas cette chance. Son vol ne dure qu'une quinzaine de minutes, mais le lancement est retardé d'au moins quatre heures et Shepard reste enfermé pendant un long moment dans sa combinaison, dans sa capsule. Sortir et enlever sa tenue pour se soulager retarderaient encore son vol. Le premier Américain envoyé dans l'espace est donc obligé de se faire pipi dessus.

Dans les années suivantes, les missions habitées atteignent des durées de quatre ou cinq jours, imposant non seulement de mettre au point des systèmes pour collecter l'urine, mais aussi pour recueillir les matières fécales. Les astronautes ont beau manger des plats qualifiés de "zéro-résidus", comme un steack accompagné d'un œuf, ce n'est pas suffisant pour leur épargner les conséquences de la digestion.

"Il y a un étron qui flotte dans l'air"

Les astronautes des missions américaines Mercury, Gemini, et Apollo essuient donc les plâtres. Dans leurs minuscules capsules, ils vivent pratiquement dans leur siège. Les astronautes, tous des hommes à l'époque, portent donc sur le pénis une sorte de préservatif, maintenu par une ceinture, et au bout duquel se trouve un sac plastique, explique le magazine Air & Space (en anglais). Pour déféquer, c'est une autre affaire. Il faut d'abord se déshabiller entièrement et "scotcher une sorte de sac en plastique à leurs fesses".

Une petite poche attachée au sac, dans laquelle ils peuvent glisser les doigts (comme un gant) leur permet de détacher tout ce qui ne voudrait pas se détacher (rappelez-vous, la gravité n'est pas là pour faire le boulot), sans se salir les mains. "Une fois terminé, il fallait sceller le sac, puis le malaxer pour mélanger un liquide bactéricide avec le contenu", poursuit le magazine. Cette mission dans la mission peut prendre près d'une heure. Reste ensuite à stocker ces petits sacs dans l'habitacle, jusqu'au retour sur Terre.

Si le dispositif, livré avec des lingettes, est plutôt efficace d'un point de vue technique, l'expérience pour les passagers peut vite devenir traumatisante, ou hilarante. Les astronautes Gene Cernan, Tom Stafford et John Young, de la mission Apollo 10, en 1969, en savent quelque chose. La retranscription (pdf en anglais) de leurs échanges témoigne d'un accident survenu pendant leur retour sur Terre. "Donne-moi une serviette, il y a un étron qui flotte dans l'air", dit Tom Stafford, avant que les trois hommes clament chacun à leur tour qu'il ne leur appartient pas et éclatent de rire.

Neil Armstrong portait une couche

La Nasa développe en parallèle des couches superabsorbantes, baptisées Maximum Absorbency Garment (MAG). D'abord destinées aux sorties spatiales, comme celle de Neil Armstrong et Buzz Aldrin, qui font leurs premiers pas sur la Lune en 1969, elles sont perfectionnées dans les années 1970. Les MAG sont notamment améliorées pour s'adapter aux besoins des femmes, autorisées à devenir astronautes en 1974.

Ces couches, qui peuvent absorber jusqu'à deux litres de fluides, sont toujours utilisées. Elles sont mêmes obligatoires lors des sorties dans l'espace et, surtout, pour les départs dans l'espace et les retours sur Terre. Mais elles posent un problème d'hygiène, et donc de santé, si elles sont portées pendant plus de 24 heures. La Nasa organise donc un concours et offre 30 000 dollars à qui proposera un système "intégré à la combinaison spatiale", qui collecterait l'urine, la matière fécale et les pertes menstruelles pendant au moins six jours.

Revenons dans les années 1970. A cette période également, le Skylab, ancêtre de l'ISS, est lancé en orbite, avec à son bord les premières vraies toilettes de l'espace, dont la chasse d'eau est remplacée par un système d'aspiration, qui entraîne les déchets vers un compartiment de stockage. Le grand luxe.

Mauvaise expérience aujourd'hui : j'ai éternué pendant que j'urinais. Pas terrible sur terre, désastreux iciAlan Bean, astronaute dans son journal de bord du Skylab

Le même type de toilettes équipe ensuite les navettes spatiales américaines, lancées à partir des années 1980. Il faut toutefois un entraînement spécifique pour les utiliser correctement et éviter les accidents. A cause de la microgravité, elles sont équipées d'une ceinture de sécurité, de cale-pieds et de poignées afin que les astronautes ne s'en éloignent pas au moment inopportun.
"Cela ressemble à des étoiles filantes"

Dans la Station spatiale internationale, le système a été amélioré pour séparer les déchets solides des déchets liquides. Au passage, les odeurs sont également aspirées, par ce dispositif performant, mais très bruyant (si "dans l'espace, personne ne vous entend crier", en revanche, tout le monde vous entend pisser). L'astronaute italienne Samantha Cristoforetti explique comment utiliser les toilettes de l'ISS, dans cette vidéo.

L'urine, comme la transpiration, est désormais recyclée pour devenir de l'eau potable, ce qui apporte un début de solution à aux moins deux problèmes : le stockage des déchets dans un espace limité et la rareté de l'eau. Quant aux excréments (avec les menstruations et les éventuels vomis), ils sont compressés et stockés dans des petits containers, qui sont évacués de l'ISS et brûlent dans l'atmosphère. "Cela ressemble à des étoiles filantes", explique la Nasa (en anglais). C'est amusant, mais ce n'est pas satisfaisant.

La Nasa cherche à présent un moyen de tout recycler, en vue des missions habitées de longue durée, avec la planète Mars dans son viseur. Une première piste est envisagée, selon le site The Verge (en anglais). Les excréments humains pourraient être utilisés pour protéger des rayons cosmiques les hommes et les femmes qui voyageront aussi loin. Les étrons composeront peut-être bientôt des boucliers anti-radiations.

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