04 septembre 2015

Royaume-Uni : Qui a peur de Jeremy Corbyn ?


Le candidat à la direction du Parti travailliste cristallise peurs et méfiance. Le dernier à avoir lancé une salve est l'ancien Premier ministre Tony Blair qui n'hésite pas à qualifier la ligne politique de Jeremy Corbyn de «fantasme».

«La politique de Jeremy Corbyn n'est qu'illusion, tout comme dans Alice au pays des merveilles». C'est la thèse défendue par Tony Blair dans une tribune publiée par The Guardian. C'est la deuxième fois que l'ancien Premier ministre prend la plume pour avertir contre la possible accession du candidat Corbyn à la tête du Labor. Déjà mi-août, dans le même journal, il estimait que Jeremy Corbyn n'offrait rien de nouveau et que son élection faisait peser «un danger moral mortel» sur le parti. Rien que ça.

Le Pen, Trump, le parti indépendantiste écossais, Syriza et Corbyn... même combat ?

Dans cette nouvelle diatribe, Tony Blair développe d'autres arguments pour empêcher l'élection de celui que tous les sondages donnent favori à 54% pour l'élection du 10 septembre.

Selon lui, Jeremy Corbyn ne serait ni plus ni moins que la version britannique du candidat-antisystème tel qu'on le retrouve ailleurs. Bref à chacun son Syriza-Varoufakis, son Donald Trump, son Le Pen et son SNP. En effet, cet élu du quartier londonien d'Islington, l'un des plus déshérités d'Angleterre, et qui parle socialisme, nationalisation, politique anti-austérité, fait frémir l'establishment travailliste passé par la cure blairiste du réalisme économique.

Autre argument de Tony Blair : Jeremy Corbyn est inexpérimenté et la route du pouvoir serait jalonnée selon lui «de chutes de pierres, glissements de terrain, virages dangereux, puis d'une chute à pic». Appellant à sa rescousse Gordon Brown qui s'est montré également très circonspect sur le cas Corbyn, Tony Blair fustige «un populisme qui manque de leadership et de sens politique», en estimant qu'il ne modifie pas la «vraie» réalité, mais «fournit un refuge contre elle».

Jeremy Corbyn, «une menace pour la sécurité nationale» ?

Les attaques contre l'outsider que personne n'a vu venir atteignent désormais les rangs du gouvernement conservateur. George Osborne, chancelier de l'Échiquier, estime ainsi que l'élection de Jeremy Corbyn à la tête du parti travailliste et sa possible alliance avec les Ecossais indépendantistes du SNP feraient voler en éclats le consensus en faveur d'une force de dissuasion nucléaire.

Tant Corbyn que le SNP s'opposent en effet au renouvellement du système de missiles Trident lancé par le gouvernement conservateur. Or la seule rupture sur la nécessité d'une dissuasion nucléaire a été dans les années 1980, lorsque le parti travailliste était dominé par son aile gauche.

Plus largement, on aurait pu penser que le phénomène Corbyn allait réjouir le parti conservateur, qui aurait vu d'un bon oeil l'arrivée au pouvoir d'un candidat si atypique pour les Blairistes du New Labour. Pourtant, George Osborne a été catégorique : «Au contraire, je pense que nous devrions prendre de façon très sérieuse cette menace. Les nouveaux unilatéralistes de la politique britannique sont une menace pour l'avenir de notre sécurité nationale et de notre sécurité économique. Nous allons contrer leurs arguments dangereux et les vaincre», a-t-il ainsi expliqué au Sun.

La curée médiatique ou le Corbyn-Bashing

Il n'y a pas que les partis travailliste et conservateur qui s'adonnent aux joies de la détestation de Jeremy Corbyn. Dans la presse britannique, la curée contre lui a été large.

Du vénérable Guardian aux tabloïds sensationnalistes de Rupert Murdoch, ce fut une ruée. Et tout y passe. Corbyn ami du Hamas, de l'Iran et de tous les extrêmistes titre ainsi The Telegraph. Les tabloïds, dont le Sun Nation, toujours très anticommuniste, ont ainsi largement diffusé une photo où il pose avec l'ancien dirigeant vénézuélien Hugo Chavez.

Les tabloïds rappellent également que, député au Parlement, Jeremy Corbyn a voté 533 fois contre son propre parti, et qu'il a même osé demander à Tony Blair d'expulser la reine de Buckingham Palace. Shocking !

Le Guardian a dû ainsi publier une mise au point, signée de son rédacteur en chef Chris Elliott. Analysant l'équilibre de la couverture du quotidien de référence, Chris Elliott a admis que les électeurs avaient pu avoir l'impression d'articles «dédaigneux» sur la candidature Corbyn, avec des désabonnements à l'appui. Le quotidien a dû faire un mea culpa relatif, alléguant d'articles également positifs pour le candidat.

Sa position sur le conflit israélo-palestinien, où il estime que le Hamas devrait «faire partie du débat», lui a valu aussi des accusations à peine voilées d'antisémitisme. L'International Business Time (IBM) estime ainsi que sa candidature peut faire peur aux juifs britanniques.

Autre reproche fait au candidat travailliste, ses multiples apparitions sur la chaîne RT UK, sa volonté de sortir de l'OTAN, et sa remise en question constante de la politique étrangère britannique trop alignée selon lui sur celles des Etats-Unis. Tout cela a fait peser sur lui le soupçon d'accointances trop étroites avec Moscou. L'IBM n'a ainsi pas hésité à la qualifier, comme au temps de la guerre froide, d'«idiot utile des Russes».

Autre crime de lèse-majesté, ses positions sur le 11 septembre. Le Sun sort ainsi la vidéo d'une de ses interviews sur la chaîne iranienne Press TV en titrant «Corbyn qualifie la mort de Oussama Ben Laden de "tragédie"». Pourtant, à y regarder de plus près, ce sont les guerres d'Irak et d'Afghanistan qu'il qualifie de «tragédie» et il estime également que Ben Laden aurait dû être jugé et non éliminé : «des tragédies se sont ajoutées à d'autres tragédies. La guerre contre l'Afghanistan en fut une ; celle contre l'Irak également et des dizaines de milliers de personnes sont mortes».

Jeremy Corbyn a qualifié plusieurs fois ce genre de sortie des tabloïds d'«hystérie et de déformation délibérée».

Mais le corbyn-bashing a aussi son revers positif, la corbyn-mania. Et signe d'une popularité sans précédent, aux pays des paris en tout genre, sa côte actuelle chez le bookmaker Ladbrokes, dont les cotes sont encore plus scrutées que les sondages, on lui donne une chance sur deux de l'emporter. Contre une sur 100 quand il a annoncé sa candidature...

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