La mondialisation accélère la prolifération d'animaux et de plantes qui nuisent à la biodiversité. Les scientifiques prônent le « laisser-faire ».
Monitoring prédictif des zones de contamination, mise en quarantaine des régions sinistrées, éradication de la cicadelle, l'insecte qui la propage… rien n'y fait : la bactérie Xylella fastidiosa, « la Fastidieuse », fond à la vitesse du libeccio sur les oliveraies millénaires des Pouilles sans que les scientifiques qui ont déjà peiné près d'un siècle sur le décryptage de sa mécanique cellulaire n'y comprennent rien. « La diffusion exponentielle de la bactérie se fait d'arbre en arbre par de multiples vecteurs. La maladie peut toucher toutes les plantes. Elle s'étend aujourd'hui jusqu'à Taiwan et menace l'Europe et la Chine. Mais comme elle change radicalement d'un lieu à un autre, on ne comprend pas pourquoi elle se diffuse ou pas, alors que les conditions climatiques sont similaires », se désole le professeur Purcell de l'université de Californie, un des deux cents spécialistes mondiaux de la bactérie réunis il y a quelques semaines à Gallipoli, à l'occasion d'un symposium destiné à partager les connaissances scientifiques sur ce fléau.
Dans le sud de l'Italie, où les enquêtes ont montré que cette « tueuse d'oliviers » avait été introduite en Europe en 2010 par des plants de caféiers du Costa Rica qui ont transité par les Pays-Bas, un olivier sur dix est frappé. Le continent américain connaît bien le problème : Xylella fastidiosa y est apparue en 1882, d'abord dans le sud de la Californie, où elle s'est propagée dans les vignobles. Depuis, les chercheurs ont découvert qu'elle peut emprunter sept insectes autres que la cicadelle comme moyens de transport et anéantir près de 200 végétaux, dont les pêchers, les mimosas, les lauriers-roses et les agrumes. En 2012, plus de 60 % des orangers et 2 millions de citronniers des environs de São Paulo, une des régions les plus touchées de la planète, étaient infectés. Les mandariniers, eux, ont résisté, mais nul ne sait pourquoi.
Le lac Tchad durement touché
Xylella fastidiosa n'est pas la seule bénéficiaire de la mondialisation. Chaque jour, 7.000 espèces changent d'endroit dans le monde, mais rares sont celles qui parviennent à prospérer dans leur nouvel environnement : à peine 2 pour 1.000. Quand elles y réussissent, c'est souvent un cataclysme pour le milieu colonisé. Sur le lac Tchad, de nombreuses maladies ont par exemple accompagné la prolifération de la jacinthe d'eau. En à peine cinq ans, cette plante d'ornement a fini par envahir 80 % des eaux, favorisant le pourrissement végétal, l'infection de l'eau potable et le développement de la bilharziose, une maladie tropicale parasitaire, pathogène pour l'homme, qui s'est répandue avec l'explosion du nombre de mollusques véhiculant son ver hôte. Pire, selon plusieurs études, l'évapotranspiration du lac s'est accrue de 1,8 fois, affaissant d'un dixième le débit des cours d'eau entre le Nil et le lac Victoria, et les barrages hydrauliques sont régulièrement bouchés par d'épaisses nappes végétales, au point que plusieurs projets d'infrastructures sont suspendus.
12 milliards d'euros de dommages
Depuis l'arrivée de Xylella fastidiosa dans les Pouilles, la question des espèces invasives commence à être sérieusement prise en compte sous nos latitudes aussi. Bruxelles a d'abord commencé par recenser la nature du problème : sur 12.000 espèces allochtones en Europe, 11 % sont envahissantes au sens de la Convention sur la diversité biologique, c'est-à-dire que leur propagation constitue « une menace pour la biodiversité et peut avoir des impacts négatifs sur l'économie et/ou la santé ». La Commission européenne chiffre cependant à 12 milliards d'euros les dommages occasionnés par ces indésirables. Rien qu'en Pays de la Loire, l'arrachage de la jussie, une plante aquatique originaire d'Amérique latine aussi dense que la jacinthe d'eau, coûte 360.000 euros à la collectivité. L'ambroisie, une envahissante surveillée de près par plusieurs agences régionales de santé pour les risques allergiques qu'elle présente, cause elle aussi de sérieuses pertes au tournesol, dont la productivité serait réduite de 20 % voire plus dans les zones touchées.
D'ici à l'an prochain, l'Europe doit se doter d'une liste noire de ces végétaux, animaux et micro-organismes indésirables sur son sol, pour permettre aux Etats de prendre les mesures d'interdiction de leur importation, commerce et détention. Une proposition de loi a déjà été déposée en France. Mais pas sûr que cela suffise. « Quelques graines dans un banal courrier suffiront à faire vaciller les mesures les plus draconiennes », prévient-on à l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Ces trente dernières années, le nombre d'introductions d'espèces capables de ravager un écosystème équilibré a augmenté de 76 %. Selon l'UICN, ces invasives sont impliquées dans près de la moitié des risques d'extinction des espèces menacées figurant sur sa liste rouge et en constituent même l'unique facteur dans 20 % des cas.
« Ne diabolisons pas systématiquement ces migrations, défend l'ethnobotaniste François Couplan. Souhaiter conserver quoi que ce soit dans son état d'origine relève de la pure utopie. » Comme quelques autres scientifiques, il met en avant « la prodigieuse dynamique de l'évolution » qui accompagne ces colonisations : « Les écosystèmes transformés par l'introduction de nouvelles espèces peuvent se développer harmonieusement en formant des assemblages impliquant de nouveaux réseaux d'interactions biologiques, explique-t-il. Les plantes qui survivent sont de fait celles qui s'adaptent le mieux. »
Certaines associations sont même enrichissantes. La moule zébrée, qui s'est développée dans les grands lacs américains pollués, a réduit l'eutrophisation. En France, l'invasion d'écrevisses de Louisiane profite aux effectifs de la spatule blanche, un échassier qui a appris à s'en nourrir. A Madagascar, l'acacia invasif sert à produire du charbon de bois et, en Nouvelle-Zélande, le commerce de peaux d'un petit marsupial australien a créé une nouvelle économie. « Les envahisseuses accroissent la biodiversité », va même jusqu'à affirmer l'écologue Jacques Tassin, rappelant que la flore européenne est plus riche aujourd'hui qu'avant les débuts de l'agriculture.
Paul Molga
Des envahisseuses aux noms si doux...
La berce du Caucase. Introduite en Grande-Bretagne pour sa beauté ornementale, cette vivace a gagné tout le continent grâce à 20.000 graines produites en moyenne par pied. Son suc contient des substances toxiques qui peuvent provoquer des brûlures.
La jussie à grandes fleurs. Cette aquatique aux longues tiges et au feuillage dense étouffe tout sur son passage. On ne lui connaît aucun parasite naturel et elle résiste au gel.
Le datura. Cette plante bourrée de puissants alcaloïdes est un poison qui s'insinue dans les récoltes de tournesol et de maïs, où elle se ressème spontanément.
Le miconia. Originaire d'Amérique du Sud, cet arbre très décoratif a été introduit en 1937 dans le jardin botanique de Tahiti. Les oiseaux se sont chargés de le répandre. Il couvre aujourd'hui la moitié du territoire, provoque des affaissements de terrain et menace désormais plusieurs espèces endémiques.
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