02 juillet 2015

Désastre grec vu par un prix Nobel d’économie

La quasi-totalité des fonds avancés par l’Europe à la Grèce a servi au remboursement des créances détenues par les banques privées principalement françaises et allemandes.

Les crises à rebondissements ont l’avantage – car c’est une bonne chose – de faire croire aux hommes politiques qu’ils doivent absolument donner leur avis à chaud devant leurs concitoyens quand bien même ils feraient mieux de ne rien dire. Aux antipodes des interviews longuement préparées, ces interventions intempestives révèlent chez les uns (c’est rare, hélas) un esprit fin, et chez les autres incompétence, cynisme et lâchetés.

Ainsi, au moment où, interrogé sur la crise grecque, François Hollande déclarait sur le perron de l’Élysée « Aujourd’hui l’économie française est robuste, bien plus robuste qu’il y a quatre ans », l’INSEE annonçait un nouveau dérapage de la dette publique française, à 97,6 % du PIB : record battu. Pour mémoire, lors de sa prise de fonction, la dette s’établissait à 86 % du PIB.

Pour ne pas être en reste, le même jour, en visite à Madrid, Nicolas Sarkozy s’en prenait à Aléxis Tsípras en ces termes : « Quel cynisme, quelle démagogie, quelle irresponsabilité ! » Or, moins de vingt-quatre heures plus tôt, la Tunisie était victime d’un carnage terroriste qui n’aurait jamais dû avoir lieu si Nicolas Sarkozy n’avait pas, quatre ans auparavant, déclenché une intervention militaire aussi démagogique qu’irresponsable. Dans un cas (incompétence) comme dans l’autre (cynisme), il y a de quoi avoir la nausée.

Par bonheur, il y aussi des gens compétents et intellectuellement honnêtes qui réfléchissent avant de parler. En témoigne cette tribune publiée par le quotidien de Londres The Guardian dans laquelle, sans langue de bois, l’économiste Joseph Stiglitz (prix Nobel 2001, professeur à l’université de Columbia) met les points sur les i. Il est vrai qu’avec Paul Krugman (prix Nobel 2008, professeur à Princeton), il fait partie de cette poignée d’économistes dont la renommée est telle qu’ils peuvent dire ce qu’ils pensent sans avoir à rendre des comptes. Voici en substance ce qu’il a écrit au lendemain de l’appel d’Aléxis Tsípras à un référendum.

La logique économique derrière le plan conçu par la Troïka il y a cinq ans pour renflouer la Grèce a été dévastatrice. Jamais, dans l’Histoire, un plan délibéré n’a eu des conséquences aussi catastrophiques, et le pire, c’est que ni la Troïka ni les dirigeants de l’Europe n’en ont retenu la moindre leçon. L’exigence d’un excédent primaire de 3,5 % en 2018 (qui figure dans la dernière proposition Juncker) le prouve. Il n’est pas un seul économiste au monde qui n’ait pas taxé cet objectif de totalement irréaliste.

Stiglitz rappelle ensuite ce que j’ai répété à plusieurs reprises ici sur Boulevard Voltaire, à savoir que la quasi-totalité des fonds avancés par l’Europe à la Grèce a servi au remboursement des créances détenues par les banques privées principalement françaises et allemandes et, comme pour souligner que nous sommes aussi redevables à la Grèce, il enfonce un clou par cette formule choc : « La Grèce a payé un prix très lourd pour sauver le système bancaire des États créanciers. »

Enfin, il aborde la question de fond, la démocratie, et voici ce qu’il dit : « Se soucier de la légitimité populaire n’a jamais été l’affaire de l’eurozone qui est un projet bien loin d’être démocratique », avant de conclure : « Sans doute, seize ans après son commencement, ce que nous voyons aujourd’hui est l’antithèse de la démocratie. Bon nombre de leaders européens n’ont d’ailleurs de cesse d’éliminer Aléxis Tsípras, dont le gouvernement de gauche est totalement en opposition avec des méthodes qui ont produit tant d’inégalités, et qui s’affiche comme un rempart contre le pouvoir sans limites de l’argent. »

Christophe Servan
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