Après avoir érigé son village béarnais en "centre du monde", le maire de Laàs veut en faire... une principauté, comme Monaco. Derrière l'idée loufoque, un vrai projet: attirer les touristes et défendre les petites communes.
Il y avait Monaco, il y avait Andorre. A partir de l'année prochaine, la France devrait compter sur son sol une troisième principauté : Laàs-en-Béarn. Vous ne connaissez pas? Justement, c'est le but. Qu'on se le dise : à compter de janvier 2015, les automobilistes en baguenaude sur la petite route départementale n° 27, qui serpente, entre Navarrenx et Sauveterre- de-Béarn, parmi les champs de maïs et les paisibles blondes d'Aquitaine, seront accueillis par une barrière - toujours levée - et une cabane douanières, marquant l'entrée officielle dans un territoire doté de tous les attributs d'un Etat : passeports, timbres, blason, drapeau et monnaie...
Comme tout Etat, ladite principauté disposera aussi de ses ambassadeurs (une quinzaine ont déjà été nommés en Uruguay, en Australie, à Singapour et... à Paris) et de sa Constitution. Article 1 : Laàs-en-Béarn "respecte et promeut les principes de liberté, d'égalité et de fraternité" et applique "la Déclaration universelle des droits de l'homme". Article 2, alinéa b : elle "possède deux langues officielles, le français et le béarnais". Article 2, alinéa c : elle dispose, à la manière d'Andorre, de deux coprinces, "le président de la République française et l'évêque représentant l'église catholique sur le secteur". Précision : la commune de Laàs, selon l'Insee, comprend... 111 habitants.
Il y avait Monaco, il y avait Andorre. A partir de l'année prochaine, la France devrait compter sur son sol une troisième principauté : Laàs-en-Béarn. Vous ne connaissez pas? Justement, c'est le but. Qu'on se le dise : à compter de janvier 2015, les automobilistes en baguenaude sur la petite route départementale n° 27, qui serpente, entre Navarrenx et Sauveterre- de-Béarn, parmi les champs de maïs et les paisibles blondes d'Aquitaine, seront accueillis par une barrière - toujours levée - et une cabane douanières, marquant l'entrée officielle dans un territoire doté de tous les attributs d'un Etat : passeports, timbres, blason, drapeau et monnaie...
Comme tout Etat, ladite principauté disposera aussi de ses ambassadeurs (une quinzaine ont déjà été nommés en Uruguay, en Australie, à Singapour et... à Paris) et de sa Constitution. Article 1 : Laàs-en-Béarn "respecte et promeut les principes de liberté, d'égalité et de fraternité" et applique "la Déclaration universelle des droits de l'homme". Article 2, alinéa b : elle "possède deux langues officielles, le français et le béarnais". Article 2, alinéa c : elle dispose, à la manière d'Andorre, de deux coprinces, "le président de la République française et l'évêque représentant l'église catholique sur le secteur". Précision : la commune de Laàs, selon l'Insee, comprend... 111 habitants.
Braquer les projecteurs sur le village
Évidemment, tout cela paraît burlesque, potache, clownesque, loufoque. Or, non. Ou plutôt, pas seulement. Car l'homme chez qui a germé cette idée apparemment délirante a furieusement l'habitude de mener à bien les projets les plus baroques, et toujours avec un coup d'avance. L'homme s'appelle Jacques Pédehontaà (ce qui signifie "la pierre de la fontaine", en béarnais). Enthousiaste, madré, énergique, ce fils de paysans, technicien agricole de profession, est devenu maire de sa commune dès 1983, à 24 ans, et conseiller général (divers droite) neuf ans plus tard. Il a toujours été réélu depuis.
Le maire de Laàs-en-Béarn Jacques Pédehontaà, devant son équipe (de g. à dr.: Paul Antoine Hillaert, Clarisse Haigneré et Tom Joubard). © J.-P. Guilloteau/L'Express
Son idée, en l'occurrence, est simple. La principauté n'est pour lui qu'un moyen. Son véritable objectif consiste à braquer les projecteurs sur son village pour mieux en enrayer le déclin démographique (il comptait 700 habitants au début du siècle dernier). Il a pour modèle Hutt River, une exploitation agricole australienne qui, sans reconnaissance internationale, s'est déclarée principauté "autonome" en 1971. Depuis, elle est devenue une destination très prisée. Des milliers de visiteurs s'y rendent chaque année : ils y achètent des timbres, des souvenirs, des drapeaux, de (faux) billets de banque. "Si 5% des touristes qui passent chaque année à Biarritz ou à Lourdes font un crochet par Laàs, on fait sauter la banque", suppute Pédehontaà.
Si l'élu béarnais s'inspire de Hutt River, il voit encore plus grand. L'idéal, bien sûr, serait que l'Etat lui permette de vendre de l'essence et du tabac hors taxes. Il y a peu de chances ? Ce n'est pas grave : il suit d'autres pistes. La construction d'un village vacances, la métamorphose de l'église en lieu culturel, la création d'une résidence d'artistes, l'engagement de sa commune dans la transition énergétique...
Mariages princiers sur "Laàs Vegas boulevard"
Sans oublier, évidemment, sa marotte, son dada, son don depuis la naissance : l'événementiel. L'édile rêve d'accueillir à Laàs des couples en quête de mariages "princiers", en profitant notamment du superbe château XVIIe du village. Fiançailles, noces d'or, enterrements de vies de garçon, "non-mariages" pour les simples fêtards, unions d'homos ou d'hétéros : sur l'autel du développement local, Pédehontaà est prêt à mettre un mouchoir sur sa foi catholique. Tout est prévu : ouverture et fermeture des fameuses barrières douanières au passage des tourtereaux, apposition de couronnes, procession dans le village le long de ses principaux points d'intérêt... Le nom est déjà trouvé : ce sera le "Laàs Vegas boulevard" !
Laàs-en-Béarn, 111 habitants. © J.-P. Guilloteau/L'Express
Pédehontaà n'en est pas à son coup d'essai. Il s'est fait connaître voilà trente ans en organisant dans son village "les trois heures de la brouette". "Avec départ des pilotes face à leur machine, commissaires de course, stands de ravitaillement, remise des brouettes d'or, d'argent, de bronze et de bois pour le dernier", énumère-t-il, pince-sans-rire. Comme d'habitude, il a lancé son idée sous les sarcasmes. Seulement voilà : à la surprise de ses concitoyens, plusieurs milliers de personnes ont afflué à chaque édition pour se gondoler devant cette course extravagante et ces véhicules décorés à la manière de chars de carnaval.
Le gaillard a aussi parcouru le Paris-Dakar en tracteur pour le compte de la fondation Daniel Balavoine. Quelques années plus tard, lorsque Brigitte Bardot a annoncé qu'elle voulait quitter Saint-Tropez, il a invité l'actrice à s'installer dans sa commune. "Elle n'est pas venue, mais elle m'écrit tout de même chaque année pour mon anniversaire", raconte Pédehontaà, tout émoustillé. Sur sa lancée, en 2012, il a érigé Laàs en "centre du monde", et fait apposer sur la grand-place du village un panneau indicateur montrant les directions de Santiago du Chili, de Moscou, de Tokyo ou de Washington.
Le maire de Laàs, "un agité du bocal"?
On s'en doute, Pédehontaà ne fait pas l'unanimité. "Il est attaché à sa commune, mais il n'a pas de vision pour l'ensemble du territoire", pointe son rival Jean Baucou, maire UMP de la commune de Navarrenx, qui l'a souvent affronté aux élections. "C'est un agité du bocal", tranche carrément un observateur de la région. Est-ce si sûr ? Car le bougre ne fait pas seulement dans le saugrenu.
À partir de janvier 2015, Laàs-en-Béarn aura "officiellement" tous les attributs d'un Etat: blason et drapeau (ci-dessous), Constitution, timbres, passeports, monnaie... © J.P. Guilloteau/L'Express
Il a ainsi monté à partir de rien un festival de qualité, les Transhumances musicales, en attirant dans son hameau perdu Yannick Noah, Nolwenn Leroy, Juliette Gréco et Maxime Le Forestier. 8 000 personnes sont venues assister à un concert de Manu Chao. "Chaque fois que j'ai voulu faire quelque chose, les gens m'ont dit que c'était impossible. Je l'ai fait quand même", se remémore Pédehontaà, en une sorte de résumé de sa vie.
Ce n'est pas un hasard s'il éprouve de l'affection pour Jean Lassalle, le député MoDem du cru qui, pour défendre "sa" vallée d'Aspe, n'a pas hésité à chanter en béarnais dans l'Hémicycle et à mener une grève de la faim à l'Assemblée nationale. Lequel le lui rend bien : "C'est mon frère !" clame-t-il de sa voix de stentor.
Rendons à Pédehontaà cette justice. S'il est sans doute un brin égocentrique, il se sent investi d'une mission qui dépasse sa propre personne : la défense des "petits" maires. Il est convaincu que le monde rural est menacé par les réformes en cours : disparition des départements, découpage de vastes régions, création de grands cantons et, surtout, montée en puissance des intercommunalités.
Rencontre avec Albert de Monaco
Ah! "L'interco" ! C'est son obsession, son cauchemar, sa hantise. Il a d'ailleurs été le dernier dans le département à y entrer, le 1er janvier 2014. Et encore, il a fallu que le préfet l'y contraigne. "On est en train d'éloigner les centres de décision des citoyens et de marginaliser les maires !" s'alarme-t-il, persuadé que son esprit d'initiative débridé va finir étouffé par ces structures "technocratiques". La principauté est ainsi pour lui l'occasion de prouver ce que peuvent accomplir les édiles prétendument impuissants des microcommunes.
Le château XVIIe de Laàs-en-Béarn, futur écrin de mariages "princiers".
© J.-P. Guilloteau/L'Express
Est-ce sa force de conviction ? Le parfum de l'aventure ? L'envie de sortir des sentiers battus ? Quoi qu'il en soit, Pédehontaà a été rejoint dans son entreprise improbable par de très solides experts - dont un ancien préfet du département ! - et de jeunes professionnels, tous tombés sous son charme. Qui en finances, qui en communication, qui en commerce, les uns et les autres lui apportent - bénévolement, le plus souvent - leur force de travail, leurs compétences et leurs réseaux. Tel Camille Chamard, directeur du très sérieux Institut d'administration des entreprises de Pau- Bayonne. "On a tort de mettre toujours en avant la "taille critique", soutient poliment, mais fermement, ce spécialiste du marketing territorial. Rien ne peut se faire dans des territoires artificiels ou technocratiques, car il n'y a pas de projet innovant sans solidarité ni identité. Laàs est en train de le démontrer."
Soyons lucides. Il est très probable que la principauté de Laàs-en-Béarn ne voie jamais officiellement le jour. "Aux yeux de l'Etat, il s'agit simplement d'une association à but touristique, qui n'aura aucun impact sur les plans juridique et fiscal", tranche le sous-préfet d'Oloron-Sainte- Marie, Samuel Boujou. Mais là n'est pas l'essentiel. "L'essentiel, c'est d'avancer concrètement, souligne Pédehontaà. A partir de janvier prochain, nous allons tout mettre en place : les barrières, les drapeaux, la communication. Quand nous aurons réussi, les institutions suivront."
Qui sait ? Si le président de la République, à qui il a écrit, n'a pas répondu à sa demande, l'évêque de Bayonne - qu'il connaît personnellement - a en revanche accepté de devenir "coprince". Et le maire prépare déjà sa rencontre avec... Albert de Monaco, qu'il a obtenue de haute lutte et compte bien mettre à profit pour faire progresser sa cause.
"Il n'y a point de génie sans un grain de folie", disait Aristote. Il n'est pas impossible que Pédehontaà soit à la fois génial et fou.
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