16 février 2015

BAC de nuit


Après les attentats, L'Express donne la parole à plusieurs policiers. Thomas, 31 ans, délégué syndical (Alliance) et brigadier d'une BAC de nuit dans l'Essonne évoque son quotidien et les incertitudes de l'après-Charlie.

"La police, c'était mon rêve de gosse. Mais, au contact d'une réalité de plus en plus dure, le rêve a pris un coup dans l'aile. La nuit, je l'ai choisie. C'est un monde noir, la nuit. On ne voit que des délinquants et des victimes. A la BAC, on tourne en équipage de trois dans des secteurs sensibles, entre Draveil, Vigneux-sur-Seine, et parfois Evry : si c'est calme, on visite les halls d'immeubles pour déranger un peu les stups, sinon, on court de rixes en bagarres, en se faisant insulter une fois sur deux.


Avec les collègues, on a l'impression d'écoper un bateau sans fond. Les récents attentats ont allumé des projecteurs sur ce qu'on voit et répète depuis dix ans, dans le vide : il y a des armes partout, des jeunes se radicalisent et partent faire le djihad pour s'entraîner à tuer... Souvent, on le voit dans les contrôles : "parti en Afghanistan", ou ailleurs. Des Coulibaly en puissance, il y en a des dizaines, des centaines.

La justice ne suit pas

Les banlieues ont l'air plus calmes, comme ça, mais ce n'est qu'une impression. Le business, monstrueux, est devenu plus souterrain, avec un potentiel de violence qui a augmenté. Des mômes de 9 ans, qui font le "chouf", ont parfois 1 000 euros dans les poches, les plus grands louent des voitures à 500 euros la journée, empilent les écrans de cinéma et les fringues de luxe dans leur appartement... Il y a des jeunes qui gagnent bien plus que moi -2400 euros net, c'est bien payé parce que je suis passé brigadier.

Le drame, c'est aussi que la justice ne suit pas. Les mecs, ils le savent et ils te narguent : "Vas-y, mets-moi en garde à vue, demain, je suis dehors." Ils n'ont plus peur des juges, ni de nous. Dès qu'ils agressent un collègue, ils filment la scène et ils la mettent en ligne sur les réseaux sociaux. On se sent vraiment seuls, du fait du manque d'effectifs. Quand Evry appelle au secours, c'est nous, de Draveil, qui arrivons, en laissant notre zone en plan. Lorsqu'on n'est pas en train de chercher une clef de voiture, parce qu'il n'y a pas assez de véhicules... Récemment, on s'est cotisés pour acheter un bidon d'huile pour le moteur, on rapporte des rames de papier de chez nous pour l'imprimante...

Sentiment d'impuissance


Le pire, c'est ce sentiment d'impuissance qui peut ronger, parfois. Quand on arrive dans les cités, deux types à scooter viennent nous "escorter", sans casque, évidemment. Depuis le "syndrome Villiers-le-Bel", comme on le dit entre nous [NDLR : en 2007, la mort deux adolescents, tués lors d'une collision entre leur moto et une voiture de police, provoque des émeutes], on n'a même plus l'idée de les interpeller.

Il y a une semaine, une dame s'est fait violemment défoncer la porte de son appartement par des cambrioleurs, à Vigneux-sur-Seine. A notre arrivée, ils étaient partis, elle nous a suppliés, en pleurant, de rester une heure, terrorisée à l'idée qu'ils reviennent. On a dû partir, appelés pour d'autres interventions, parce qu'on n'avait qu'un équipage de nuit.

Il y a deux ans, j'ai reçu un pavé en pleine tête. Trauma crânien, écrasement du nerf optique, écran noir. J'ai cru perdre un oeil. Pendant quelques jours, j'ai pensé quitter la voie publique. Je me demandais si le jeu en valait la chandelle. J'ai réalisé, pour la première fois, que j'aurais pu mourir.

Quand j'ai été hospitalisé, ma fille de 7 ans m'a dit : "Pourquoi ils t'ont jeté une pierre, papa ?" Je lui ai expliqué, et elle m'a répondu : "Mais papa, tu es de la police, pourtant ?" C'est franchement usant mais j'ai toujours la foi, parce que je sais encore pourquoi je suis là. Pour me rendre utile."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.