07 février 2014

La crise ukrainienne vue par un Ukrainien

Ukrainien vivant en France depuis 10 ans, je me permets de vous faire partager mon point de vue sur l’actualité brûlante de mon pays d’origine. L’Ukraine est le terrain d’une opposition d’ordre géopolitique, qui aggrave considérablement ses difficultés de cohésion et de probité politique, les deux maux menaçant son existence.

Dans la crise actuelle, il apparaît clairement que l’empire américain et son allié européen vendent aux Ukrainiens le rêve des droits de l’homme dans le seul but d’étendre leur influence et de porter un coup à la Russie, quitte à ruiner le pays.

Il s’agit d’une guerre qui ne dit pas son nom, guerre géostratégique et économique : depuis plus de dix ans, les États Unis cherchent à intégrer l’Ukraine à l’OTAN ; si cela advenait, qu’en serait-il de la base russe de Sébastopol en Crimée ?

L’ingérence occidentale dans la crise actuelle vise aussi à mettre en péril le projet de création d’une union économique entre la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine. L’UE et le FMI proposent à l’Ukraine de développer le libre-échange, en « améliorant le climat d’investissement » ; or le marché ferait alors prévaloir les intérêts étrangers sur les intérêts nationaux [1]. Les multinationales pourraient ainsi racheter certaines industries [2], tout en profitant d’une main-d’œuvre qualifiée et bon marché.

Il est évident que la révolte n’a pu devenir révolution qu’avec l’appui financier de l’Occident ; suite à la Révolution orange, de nombreuses fondations étasuniennes censées faire « progresser la démocratie » s’étaient alors développées, comme la National Endowment for Democracy [3]. Aujourd’hui, l’UE prend le relais, avec la visite de Catherine Ashton, chef de la diplomatie européenne, à Kiev, ou encore le soutien d’Angela Merkel au parti de Vitali Klitschko, par l’intermédiaire de la fondation Adenauer (think tank de la CDU) [4]. Tous les partis de l’opposition sont soutenus, sans distinction : dans la révolution, tout est bon ! Le sénateur Mc Cain nous montre l’exemple, en s’affichant avec Oleg Tiagnyboc, dirigeant du parti national-socialiste Svoboda, et judéophobe caractérisé [5]. Les manifestants identitaires sont d’ailleurs souvent au cœur des violentes échauffourées urbaines qui composent la révolte. Les administrations régionales ont été prises d’assaut et certaines assemblées départementales de l’Ouest (Ivano-Frankivsk, Ternopil) sont allées jusqu’à interdire le parti communiste et le parti présidentiel, trop favorables à la Russie [6].

Le peuple est instrumentalisé, certes, mais sa colère est légitime.

Le premier responsable de cette crise historique est le président, V. Ianoukovitch lui-même. Ce criminel, deux fois condamné – à 17 ans pour braquage et à 20 ans pour coups et blessures volontaires – a été porté au pouvoir par le cartel de Donetsk, ville dont il a été gouverneur. Le président applique tout naturellement les pratiques mafieuses de ses origines à la gestion politique du pays. La population de l’Ouest ressent tout particulièrement cela, car étant en majorité pro-occidentale, elle ne constitue pas un terreau électoral fertile [7].

Qui sait ce que fera Ianoukovitch des quinze milliards prêtés par la Russie ?

Plus d’un quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Mes compatriotes, exaspérés par la misère et la corruption, sont mal informés au sujet de l’Union européenne, qu’ils idéalisent certainement. La situation catastrophique du pays incite à l’espoir. Si en France la corruption est réservée à l’élite au pouvoir, en Ukraine elle touche toutes les strates de la société : de l’infirmier à l’inspecteur de police, mieux vaut passer par-dessous la table, sans quoi le moindre service vous coûtera plusieurs heures en salle d’attente.

Ainsi aucun parti, qu’il soit pro-russe ou de l’opposition, ne semble crédible.

La partition – appelée par Jirinovski, homme politique russe [8], et Harold Hyman, journaliste français spécialiste de géopolitique – apporterait la paix mais briserait une nation millénaire, partagée depuis des siècles et réunifiée en 1939 par le traité Ribbentrop-Molotov.

L’Ukraine a besoin d’un homme charismatique qui pourra réconcilier les ukrainiens et garantir leur indépendance. Il faut au pays un « propriétaire » qui, d’une main ferme et incorruptible, fera le ménage dans toutes les sphères et assurera l’unité nationale. Quant à la question du partenaire économique, c’est au peuple, via référendum, qu’il reviendrait de choisir entre l’Ouest et l’Est.

Notes

[1] http://www.egaliteetreconciliation.fr/Roman-Halauniov-sur-la-crise-ukrainienne-22981.html

[2] Lire à ce sujet l’interview de Jean-Marie Chauvier -journaliste et essayiste politique belge, spécialiste de l’URSS et de la Russie- donnée à SOLIDAIRE, hebdomadaire du Parti du travail de Belgique : http://www.michelcollon.info/La-tres-grande-majorite-des.html?lang=fr

[3] http://www.ned.org/ru/where-we-work/eurasia/ukraine (en anglais)

[4] http://www.spiegel.de/international/europe/eu-grooms-boxer-vitali-klitschko-to-lead-ukraine-opposition-a-938079.html (en anglais)

[5] O. Tiagnyboc évoquait, lors de la célébration d’un héro national en 2004, « la mafia mosco-juive qui dirige l’Ukraine aujourd’hui » ; mais ses propos n’ont provoqué qu’une tiède réaction de la part de l’ambassadeur d’Israël, qui a affirmé que cela n’affecterait pas les relations amicales entre les deux pays. O.Tiagnyboc n’a d’ailleurs pas été condamné. D’autre part le journal Izvestia du 27 janvier 2014 rapporte que Tiagnyboc et son proche sont en 5ème position sur la liste des 10 antisémites les plus virulents de l’année (classement établi par Éphraïm Zouroff, président du centre Simon Wiesenthal de Jérusalem). Ce classement les rend persona non grata aux États Unis.

[6] http://visti-kamenia.com/news/naybilsh-dotaciyni-oblasti-ukra-ni-03222-04

Les pourcentages indiqués sur cette carte représentent les subventions de l’État aux départements. On y voit clairement une inégalité de répartition, d’autant que les taux ne correspondent pas aux densités de population.

[7] Interdiction du Parti des régions et du Parti communiste : http://www.editoweb.eu/nicolas_maury/Ukraine-L-opposition-fait-interdire-le-Parti-des-Regions-et-le-Parti-Communiste_a7313.html

[8] Éléments biographiques extraits de Wikipédia :Vladimir Jirinovski est né sous le nom d’Eidelstein à Alma-Ata (aujourd’hui Almaty) en République socialiste soviétique kazakhe (URSS). En 1964, il change son nom qui indique de manière évidente la judéité de son père pour le nom de sa mère : Jirinovski. Membre de la nomenklatura ayant troqué le communisme pour l’extrême droite (xénophobie (essentiellement anti-caucasienne), expansionnisme militaire, retour à un État fort, politique de répression intensive contre les délinquants).


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.