13 février 2014

Innovation monétaire

Piste n°3 - Séparer les monnaies en fonction de leurs rôles
Fabien Eychenne

Points importants :

La monnaie permet plusieurs choses : faciliter les échanges (vendre avant d’acheter), investir (acheter avant de vendre) ou encore spéculer (ce qui nécessites également d’acheter avant de vendre) ; elle donne également un (ou plusieurs) indicateur(s) de valeur ;

Il est possible de ne faire que faciliter les échanges grâce au mécanisme déjà connu de monnaies fondantes qui découragent la thésaurisation mais rendent difficile l’investissement ;

Il est également possible d’articuler plusieurs monnaies entre elles : certaines permettant d’obtenir un indicateur qui aide à évaluer le risque à investir avec une deuxième monnaie ;

Mieux gérer la spéculation ?

“La spéculation est, en économie, l'action de prévoir les évolutions des marchés et d'y effectuer des opérations d'achat et de vente en conséquence, de façon à retirer des bénéfices du seul fait des évolutions des marchés” (Wikipédia1).

La spéculation s’intéresse donc à la différence entre la valeur d’échange actuelle et la valeur d’échange potentielle d’un bien ou d’un service. Ainsi, entre la production et la vente à l’utilisateur final, un produit peut changer de propriétaire un grand nombre de fois. Le rapport entre les échanges spéculatifs et ceux dédiés au commerce montre que la spéculation est devenue centrale dans l’utilisation de la monnaies conventionnelle. Le domaine le plus important étant la spéculation sur les monnaies elles-mêmes. “Le volume d’opération sur les marchés de changes internationaux a atteint le montant impressionnant de 4000 milliards de dollars par jour en 2010, auxquels s’ajoutent journellement 2100 milliards de produits dérivés monétaires. Plus de 95% de ces échanges sont spéculatifs et moins de 5% sont en fait réellement utilisés pour le commerce international de biens et de services2”.

La spéculation peut jouer un rôle positif en augmentant la liquidité (capacité à acheter et vendre rapidement) et la profondeur (capacité d’absorber un grand nombre d’achats et de ventes d’un montant important sans affecter les prix de manière significative) des marchés. Mais l’excès de spéculation peut avoir au contraire un impact négatif. Pour le chercheur en Sciences Sociales Paul Jorion, “la spéculation ne met pas de l’huile dans les rouages du marché, comme ses tenants le prétendent, mais elle y met le feu3”. Dès 1936, John Maynard Keynes écrivait “il se peut que les spéculateurs ne fassent aucun mal tant qu’ils forment des bulles sur un flot d’affaires stable. Mais la situation devient grave quand les affaires deviennent des bulles dans un tourbillon de spéculation4”. Pour Bernard Lietaer, ce qui est en cause n’est pas tant l’efficience des marchés que leur capacité de résilience. “notre réseau de monnaies monopolistiques nationales a évolué en un système sur-efficient et dangereusement fragile5”. Comment se préserver des excès de spéculation ?

Des monnaies juste pour l’échange

La spéculation consiste à acheter pour vendre plus tard avec comme objectif d’en obtenir un gain du seul fait de l’évolution des marchés. En cela elle se rapproche de l’investissement qui consiste à acheter pour mieux vendre par la suite grâce à une meilleure capacité de production ou une meilleure formation par exemple. Pour spéculer, il faut détenir (normalement) de l’argent disponible afin de pouvoir acheter rapidement lorsque l’on considère que l’on pourra en faire un gain.

L’autre rôle de la monnaie, faciliter les échanges, nécessite au contraire de vendre pour acheter ensuite6. Une première solution pour réduire la spéculation a été, dans le domaine des monnaies complémentaires, d’utiliser des monnaies fondantes, qui perdent un pourcentage de leur valeur régulièrement dans le temps. Ainsi, il est plus intéressant pour les agents d’acheter dès que possible, ce qui facilite la rotation de la monnaie. On parle d’oxydation de la monnaie, un terme proposé par Sylvio Gesell7. Ce type de monnaie est particulièrement adapté à la facilitation des échanges, et moins adaptées à l’investissement… et la spéculation.

Par contre il semble plus compliqué d’imaginer une monnaie qui favorise l’investissement tout en défavorisant la spéculation et/ou les échanges (ce qui voudrait dire qu’une fois avoir investi dans des machines, des graînes ou de la formation, l’argent donné au vendeur ne pourrait servir qu’à ce qu’il investisse lui-même…).
Articuler deux monnaies pour faciliter l’investissement
Pourrait-on imaginer un mécanisme qui facilite l’investissement ? Lors d’un investissement, soit la personne dispose de la monnaie en nombre suffisante (ce qui signifie qu’elle l’a thésaurisé…), soit elle doit l’obtenir ailleurs. Il est possible d’emprunter aux banques qui en attendent le remboursement avec une plus value. Il est également possible d’être financé par un organisme qui en attendra ou non le remboursement mais également la production d’une valeur intéressante pour la collectivité (du développement économique, de l’innovation, des emplois ou encore un investissement durable stratégique8…). Dans ce cas, la question centrale est alors de savoir comment évaluer la capacité à produire suffisamment de valeur à partir de l’investissement initial prévu (pour pouvoir rembourser avec intérêt et/ou pour produire de la valeur collective).

Nous avons vu qu’il était possible de tirer du fonctionnement d’une monnaie des indicateurs multiples qui aillent au-delà du simple indicateur de valeur d’échange9. Une solution consiste à disposer de monnaies différentes suivant les rôles qu’elles doivent jouer10 :

une monnaie pour obtenir un indicateur sur la personne ou l’organisme qui pourrait investir ;

et une autre qui représente la somme à investir dans des travaux, des machines ou une formation ;

Il ne s’agit plus ici de convertir une monnaie dans une autre, mais plutôt d’utiliser le fonctionnement d’une première monnaie pour en tirer un indicateur sur le risque11 qui peut être utilisé pour investir avec l’autre monnaie. Les indicateurs pertinents issus de la première monnaie ne sont pas forcément des indicateurs de stock (combien je détiens de monnaie) mais aussi des indicateurs de flux (comment nous échangeons).

1 La spéculation (wikipédia) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Sp%C3%A9culation

2 Bernard Lietaer, pourquoi les monnaies ocmplémentaires sont nécessaires à la stabilité économique : les preuves scientifiques, in “au-delà de la crise financière” sous la direction de Carine Dartiguepeyrou, L’Harmattan 2012.

3 Paul Jorion, le capitalisme à l’agonie, Fayard 2011 – citation extraite de l’article de Alain Faujas, “le capitalisme à l’agonie de Paul Jorion : le spectre de Karl Marx”, in Le monde du 7 avril 2011

4 John Maynard Keynes, The General Theory of Employment, Interest and Money, Macmillan, Londres 1936

5 Bernard Lietaer, ibid.

6 Voir Innovation monétaire, notions de base

7 Sylvio Gesell, l’ordre économique naturel, éditions Uromant, Bruxelles 1918 - http://www.silvio-gesell.de/html/l__ordre_economique_naturel.html

8 http://fr.wikipedia.org/wiki/Investissement_durable_strat%C3%A9gique

9 Voir Innovation monétaire piste 1 : multiplier les indicateurs

10 Claude Perrigaud propose une monnaie 3D dont chaque axe couvre un besoin différent : une monnaie de flux pour faciliter les échanges, une monnaie pour les investissements dans les biens matériels et une troisième pour les investissements dans les biens immatériels

11 Voir les deux facettes du risque : la sécurité pour réduire le risque et la confiance pour le rendrre acceptable – Innovation monétaire, notions de base, annexe 4 : nouvelles approches de la confiance numérique




Piste n°4 - Annexe 1 - Quelques exemples autour de l’idée de rendre à quelqu’un d’autre (pay it forward)
Fabien Eychenne

Points importants :

l’idée de rembourser une dette non pas à celui qui vous à donné un bien ou un service mais à une autre personne (paiment en avant) a été proposé dès 1841 par Ralph Waldo Emerson et popularisé sous le nom de “pay it forward” par l’écrivain Robert A. Heinlein en 1951

Pay-it forward est également le nom d’un film sorti en 2000 qui propose ainsi une chaine pyramidale (chaque personne qui reçoit de l’aide doit rendre service à trois autres personnes)

Des initiatives sont nées de cette idée tels que projet Heifer “transmettre” ou la carte graîne de Karma
Les débuts du “paiement en avant”
Le terme «Pay It Forward» a été popularisé par Robert A. Heinlein dans son roman de science fiction “Between Planets”1, publié en 1951.

"Le banquier plongea sa main dans les plis de sa robe, et en sorti un billet.

-.Mangez d'abord, un ventre plein améliore le jugement le jugement. Faites-moi l’honneur d'accepter cela comme notre notre cadeau de bienvenue aux nouveaux.

Sa fierté a dit non; son estomac dit OUI! Don le pris et dit:

-.Euh, merci! C'est drôlement gentil de votre part. Je vais le rembourser (pay it back), dès que possible

-.Au contraire, remboursez le (Pay It Forward) à un autre frère qui en aura besoin."
Sa vie durant, Heinlein s’attachera à la fois à promouvoir et mettre en pratique cette philosophie. La Heinlein Society2, une organisation humanitaire fondée en 1988 en son nom, poursuit, aujourd’hui encore, son action.

Le film “un monde meilleur” (pay it forward)

Le film “Un monde meilleur” (titre original : “Pay It Forward”) de Mimi Leder sorti en 2000, raconte l’histoire d’un enfant dont le professeur donne comme devoir dès le premier jour de la rentrée : “trouvez une idée pour rendre le monde meilleur et mettez-là en pratique”.

Il propose alors de rendre un service important à trois personnes. En échange, le jeune élève demande aux personnes aidées de passer le relais : c’est à dire de rendre service à leur tour à trois autres personnes plutôt que de rendre l’appareil à celui qui les a aidés. Il constitue ainsi une chaîne pyramidale de services.

Chaque personne reçoit autant sinon plus de la personne qui lui rend service que ce qu’il donne aux trois autres pour solder sa dette. Cela est possible en s’intéressant aux valeurs d’usages plutôt qu’à la valeur d’échange (le service rendu peut être très important pour celui qui le reçoit sans forcément nécessiter énormément à celui qui le donne). Il suffit que plus de 33% des personnes aidées jouent le jeu pour que la chaîne se développe. Ce faible taux nécessaire de “règlement de la dette” permet de baser ce type “d’échange à plusieurs” sur la confiance plutôt que par des mesures de sécurité3. En effet personne ne contrôle que celui qui a reçu un service “paye en avant” en rendant à son tour service à trois autres personnes.

Des initiatives inspirées du “Pay it forward”

Le projet Heifer : “transmettre le cadeau” ("Passing on the Gift")
Fondée en 1944, l’organisation à but non lucratif Heifer International, s’emploie à favoriser l’autonomisation et l'autosuffisance de personnes touchées par la pauvreté par le biais de dons d’animaux d’élevage, de semences, d’arbres fruitiers ou de formations intensives. S’appuyant sur le concept de "Passing on the Gift”4, Heifer propose de “subventionner” - souvent au nom d’un proche - l’achat de ressources agricoles qui seront par la suite accordées aux membres d’une communauté défavorisée quelque part dans le monde. L’heureux bénéficiaire s’engage à faire don d’une partie de ce qu’il aura retiré de cette ressource (portée d’animaux, semence, compétences) à une autre personne de sa communauté. Il convient de noter que le don d’animaux d’élevage permet de faire vivre des communautés entières, qui peuvent ainsi se nourrir et tirer des revenus substantielles de l’exploitation de ce “livestock” (lait, oeufs, laine, etc.)

The Karma Seed

Lancée en 2010 par Christopher Lo, alors étudiant à la Washington University de St. Louis, la Karma Seed ou "graine de Karma” est une petite carte en plastique identifiée par un numéro unique et où figure l’adresse du site Karmaseed5 qui la commercialise à partir de 2$ pièce.

Modalités de fonctionnement :

●.Vous rendez service à quelqu'un,

Vous lui transmettez une Karma Seed, en l’invitant à se connecter sur karmaseed.org à l’aide de l’identifiant unique se trouvant sur la carte,

La personne alors raconter comment elle a obtenu cette carte,

Puis elle doit rendre un service à une autre personne, qui récupérera alors la carte, et devra accomplir une bonne action au bénéfice de quelqu’un d’autre.

Et ainsi de suite...

Tout destinataire ou donateur d'une “graine de Karma” peut se connecter au site et ainsi découvrir ou suivre l’historique des bonnes actions affilié à la carte. La karmaseed (entreprise à responsabilité limitée) reverse 50% de ces bénéfices à la Fondation Seed Karma qui s’engage à soutenir des projets sociaux dans la zone géographique de l'Université de Washington (St. Louis).

1 Robert A. Heinlein, d’une planète à l’autre, Mame, anticipation, 1958

2 Henlein Society : http://www.heinleinsociety.org/

3 Voir notions de base annexes 4 : nouvelles approches de la confiance numérique

4 Heifer international, passing on the gift : http://www.heifer.org/site/c.edJRKQNiFiG/b.201549/

5 The Karma seed : http://thekarmaseed.org/





Piste n°4 - Rembourser à d’autres
Fabien Eychenne

Points importants :

Régler une dette à une autre personne permet une régulation plus globale que ne permet pas une régulation par la somme des éhcnages deux à deux ;

Cependant, dans un tel système “en avant”, il est plus difficile de vérifier que la dette est bien réglée par la personne qui a bénéficié d’un bien ou d’un service ;

Une solution consiste à créer de la valeur pour compenser le pourcentage de ceux qui ne “joueront pas le jeu” ;

En prenant en compte la valeur d’usage plutôt que la valeur d’échange, il est possible de créer de la valeur (ce que nous donnons peut pêtre moins important pour nous que pour celui qui le reçoit) ;

Régler sa dette… à d’autres
 
Dans son essai intitulé “Compensation” publié en 18411, Ralph Waldo Emerson écrit : "Dans l'état de nature on ne peut que très rarement rendre à ceux qui vous ont donné, pourtant ce que nous recevons se doit d’être rendu à nouveau, ligne par ligne, service par service, centime par centime, à quelqu'un d’autre".

“Un échange est un acte entre deux parties” explique Wikipédia2. Les transactions économiques sont basées sur cette notion.qui implique un contrat entre deux acteurs : un acheteur et un vendeur. Mais peut-on imaginer que le bénéficiaire d’un bien ou d’un service rembourse sa dette non pas à son créancier (la personne qui lui a donné se bien ou un service) mais à une troisième personne ? Dans un tel cas, la “résolution de la dette” ne se fait plus au niveau local (entre les deux parties) mais globalement. Il existe de nombreux exemples mettant en oeuvre de tels systèmes3.

Réguler globalement plutôt que par une somme de micro-régulations peut permettre des choses nouvelles que ne permet pas l’économie “classique”. La philosophe Ayn Rand4 a d’abord cherché à montrer que si chacun poursuit des buts égoïstes, il en résulte finalement les meilleurs conséquences pour tout le monde. Mais le développement de la théorie des jeux à montré que ce n’était pas le cas5. De plus, certains acteurs nécessaires à l’intérêt collectif, sont “externes” à l’économie (comme par exemple la Nature) et se retrouvent de fait désavantagés.

Si un système plus global va au-delà du système économique classique qui régule par la somme des transactions élémentaires entre deux acteurs, il pose également des questions nouvelles.

Comment développer un tel système ?

Dans un échange à deux il est relativement simple de vérifier que la transaction est complète : soit l’acheteur paye immédiatement au vendeur le bien ou le service qu’il vient d’obtenir, soit il est lié par un contrat (éventuellement une facture qui en tient lieu). La justice peut alors intervenir lorsque la dette n’est pas réglée.

Lorsque le bénéficiaire d’un bien ou un service doit régler sa dette à une ou plusieurs autres personnes, il devient plus difficile de contrôler que la dette est bien soldée. Une première approche est que celui qui fournit un bien ou un service contrôle que le bénéficiaire donne à son tour quelque chose à une autre personne.

La créance au profit d’un tiers dans le droit

Il existe cette notion dans le droit des obligations, où certains contrats font naître des créances au profit d'un tiers. Le Code civil parle alors de “stipulation pour autrui”6. L'article 1121 indique ainsi qu’il s’agit d’un contrat par lequel une partie appelée “le stipulant”, obtient d'une autre appelée “le promettant” l'engagement qu'elle donnera ou fera, ou ne fera pas quelque chose au profit d'un tiers appelé “le bénéficiaire”. Ce dernier n'a pas besoin d'exprimer son consentement pour devenir créancier du promettant.

Une autre approche consiste à accepter une part de non résolution de la dette7. Dans ce cas, la propagation est stoppée et le système va en s’appauvrissant. Une solution consiste à créer de la valeur pour compenser la part perdue. En économie, on considère souvent le jeu à somme nul (ce que l’on gagne est équivalent à ce que l’on perd sous une autre forme). Mais il existe une possibilité de créer de la valeur dans le système : s’intéresser à la valeur d’usage plutôt qu’à la valeur d’échange. Dans ce cas, un bien ou un service donné par une personne n’a pas forcément la même valeur pour lui que pour la personne qui le reçoit. Un objet peut représenter très peu d’intérêt pour moi, tout en rendant un très important service à la personne à qui je le donne8.

Ainsi celui qui reçoit quelque chose de très important pour lui peut donner en contre-partie à plusieurs autres des services qui représentent peu pour lui et beaucoup pour ceux qui en bénéficient. Cette idée est illustrée par le film “un monde meilleur”9 ou un enfant propose de faire quelque chose d’important pour trois personnes qui en retour doivent elles-mêmes faire quelque chose d’important pour trois autres personnes. Cela est encore plus facile avec les bien “non rivaux” (ceux que l’on conserve quand on les donne comme par exemple la connaissance ou d’autres biens immatériels) : former une personne par exemple, ne nous fait pas perdre la connaissance que nous tramettons. Cette formation représente un temps limité pour nous tout en faisant gagner un temps qui peut être très conséquent à celui qui en bénéficie.

Grâce à l’augmentation de la valeur d’usage, il devient possible d’avoir un système équilibré pour celui qui reçoit un et donne trois. Ainsi, il suffit que plus d’un tiers des personnes “jouent le jeu” en “payant en avant” leur dette pour que le système s’étende et développe de la valeur pour le plus grand nombre.

1 Ralph Waldo Emerson, essais histoire-compensation-expérience-destin, littérature américaine, Michel Houdiart éditeur, 2005 (réédition en français de 4 des essais de l’auteur)

2 http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89change

3 Voir piste 4 rembourser à d’autres – Annexe 1 : quelques exemples

4 Ayn Rand, La Vertu d'égoïsme, Les Belles Lettres, coll. « Bibliothèque classique de la liberté », 1993

5 Voir en particulier le “dilemme du prisionnier” qui a été formalisé en 1950 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Dilemme_du_prisonnier

6http://fr.wikipedia.org/wiki/Stipulation_pour_autrui

7 Cette approche existe également en économie avec la notion de “pertes et profits” en comptabilité, mais elle est conçue plutôt comme une exception.

8 C’est sur cette base que s’est construite la monnaie des université brésilienne – le gran : Jean-Michel Cornu, de l’innovation monétaire aux monnaies de l’innovation, FYP édition 2010 – “le gran, une monnaie indexée sur ce qui n’a pas de valeur” page 55 - http://www.internetactu.net/2011/01/05/linnovation-monetaire-35-differentes-monnaies-pour-differents-objectifs/

9 Voir piste 4 rembourser à d’autres – Annexe 1 : quelques exemples




Piste n°5 - Annexe 1 - Le concept de la débutance
Fabien Eychenne

Points importants :

La débutance complète le processus de la finance en favorisant la création de valeur par la création d’entreprises ;

Elle regroupe un ensemble d’acteurs locaux qui mettent à disposition des moyens logistiques, relationnels et financiers et lance un appel à contribution sur des thèmes prioritaires d’innovation ;

Les entreprises ne sont crées qu’une fois viables. Les porteurs sont rémunérés entre temps par une avance sur capital et des missions cohérentes avec leur projet confiées par les collectivités territoriales ;

La débutance comme complément à la finance

Etymologiquement, la « finance » désigne la richesse qui reste à la fin d’une opération. La débutance se veut à l’opposé de la finance dans le processus de création de valeur. Elle a été imaginée pour apporter une réponse globale aux difficultés de la création d’entreprises.

La Débutance ne part pas de la recherche d’un projet rentable, mais cherche plutôt à composer un panel de projets entrant dans une stratégie destinée à être rentable (y compris en “recyclant” des projets de startups sur le territoire). Les entreprises ne sont crées qu’à partir du moment où elles sont en état d’engranger du profit.

Une débutance est créée à l’initiative d’un groupement d’intérêt qui peut comprendre des collectivités territoriales, des écoles, un syndicat professionnel, une banque et diverses PME. Ces organisations rassemblent leurs moyens logistiques, relationnels et financiers autour d’un axe d’innovation dont les déclinaisons leur apporteront des synergies et contribueront au développement du tissu économique sur le territoire. L’animation est confiée à une personnalité capable d’accompagner avec bienveillance les entrepreneurs vers la maturation de leurs projets.

Pour commencer, la débutance définit ses pistes d’innovations prioritaires et lance un appel à contribution. Les porteurs de projet se font connaître, ainsi que les contributeurs individuels pensant pouvoir apporter leurs savoir-faire et les personnes morales se sentant concernées.

L’équipe de pilotage de la débutance regroupe par itérations successives les compétences en plusieurs projets plus ou moins concurrents ou complémentaires puis organise la fusion ou la dissolution de certains projets afin de sélectionner les projets capables de s’imposer sur le marché.

Le démarrage d’un projet au sein d’une débutance

Lorsqu’une équipe projet est prête à se lancer, la débutance l’accompagne dans l’analyse prospective détaillée de son projet et le montage de son business plan, aidée de professionnels du secteur et de l’économie locale. Si le projet s’avère prometteur, il passe en phase de prototypage. La débutance prend alors en charge certains frais (prototypage, fonctionnement de l’équipe, consulting, assurance).

Les porteurs du projet sont rémunérés en partie sous forme d’avance sur capital, et en partie par les honoraires de missions cohérentes avec leur projet qui leur sont confiées par les institutions locales. Ces prestations facturées constituant une sorte de chiffre d’affaires avant l’heure.

Les acteurs de la débutance favorisent le recrutement du premier client. L’entreprise est juridiquement créée lorsque l'équipe projet peut justifier d'un business plan crédible, d'un premier client satisfait et d'un carnet de commande prévisionnel.

La constitution du capital regroupe différents acteurs (prêteurs, investisseurs, collectivités) afin de pérenniser l’entreprise grâce à un capital aussi personnalisé que possible. La débutance elle-même entre dans le capital à hauteur de la dette créée par les frais qu’elle a couvert.

La sortie du capital pour la débutance est organisé après 4 ans, une fois la dette des porteurs de projet remboursée (un peu à la manière des prêts d’étudiants aux USA). Durant cette période, elle assiste les jeunes entrepreneurs dans la montée en charge de la gestion administrative et commerciale.

La sortie du capital dégage pour la débutance des liquidités qui sont réinvesties dans de nouveaux programmes.




Piste n°6 - Annexe 1 - Du dilemme du prisionnier aux barbes vertes
Fabien Eychenne

Points importants :

Le don est supérieur à l’échange à condition qu’un nombre suffisant de personnes coopèrent ;

Il est possible d’inciter une personne à coopérer grâces aux stratégies issues du dilemme du prisionnier itératif. La méthode CRP propose par exemple de coopérer puis réagir comme l’autre l’a fait au coup précédent, recommencer à coopérer, etc.

Il est possible d’identifier au mieux ceux qui coopèrent à condition que la vitesse de mutation de la reconnaissance entre personnes qui coopèrent soit suffisante (comme le montre la théorie des barbes vertes) ;

Le don, s’il est pratiqué par le plus grand nombre crée un avantage collectif car il permet de recevoir là où c’est nécessaire et non simplement par un mécanisme d’offre et de demande. En théorie le don est donc supérieur à l’échange… à condition que suffisamment de monde « joue le jeu ». Mais la théorie des jeux montre qu’il est souvent plus intéressant pour un acteur de laisser les autres coopérer tout en ne coopérant pas lui-même.

Le dilemme du prisonnier

Ce point est bien illustré par le dilemme du prisonnier1. Deux personnes sont interrogées séparément. Si elles sont convaincues d’avoir réalisé un méfait elles seront condamnées à une lourde peine. Mais si elles dénoncent l’autre, elles verront leur peine allégée. La personne, ne sachant pas ce que va répondre l’autre a plus intérêt à trahir en dénonçant son compère. En effet si l’autre la dénonce, elle verra sa peine allégée et si l’autre ne la dénonce pas, elle sera de toute façon libre. Ainsi, les attitudes aboutissent à un équilibre (l’équilibre de Nash : les deux se retrouvent avec des peines allégées) moins intéressant que la solution optimale (optimum de Pareto où aucun ne dénonce l’autre et les deux personnes se retrouvent libre).

Mais il peut être intéressant de donner sans attendre de recevoir si nous disposons d’un mécanisme pour inciter à donner et/ou pour identifier ceux qui ont l’habitude de donner.

Le dilemme du prisionnier itératif :
pousser l’autre à coopérer

Dans le cadre du dilemme du prisonnier itératif on s’intéresse à la répétition de la même situation, ce qui correspond à une situation de coopération-trahison classique au sein d’une communauté. Il devient possible de mieux anticiper les réactions de l’autre à partir de ses réactions passées. Si une personne considère que l’autre a une bonne chance de coopérer en fonction de ses attitudes passées, alors il devient intéressant de coopérer soi-même en ne la dénonçant pas afin d’arriver à une solution optimale : la liberté.

La simulation informatique a permis de tester de très nombreuses stratégies (comme par exemple « je coopère mais si l’autre me trahit une fois je le trahirai systématiquement). Même s’il n’existe pas de stratégie permettant d’aboutir à une coopération des acteurs à tous les coups, la simulation a permis d’identifier des stratégies qui ont le plus de chance de faire converger l’autre vers la coopération. C’est le cas par exemple de la stratégie CRP (Coopération, Réciprocité Pardon)2 : au début je coopère, puis au coup suivant, je trahis ou je coopère en fonction de ce l’autre m’a fait au coup précédent (réciprocité) puis je remets les compteurs à zéro et au coup suivant je recommence à coopérer (pardon) et ainsi de suite.

La théorie des barbes vertes : Identifier ceux qui coopèrent en général

Une autre approche consiste à chercher à identifier au sein d’un groupe les personnes qui coopèrent pour mettre en place le système de don avec ces personnes là plutôt qu’avec les autres. Les chercheurs ont réalisé pour cela une expérience de pensée, la « théorie des barbes vertes3 », en imaginant que ceux qui coopèrent subissent une mutation et acquièrent une barbe… verte qui permet de les distinguer des autres. On peut imaginer que les profiteurs (les “passagers clandestins” qui profitent de la coopération des autres sans coopérer eux-mêmes) mutent à leur tour pour acquérir la barbe verte qui leur permettra de profiter de ceux qui coopèrent. Mais rapidement les coopérateurs mutent une nouvelle fois pour obtenir une barbe bleue… les profiteurs acquièrent alors une barbe bleue mais les coopérateurs ont déjà muté pour avoir une barbe rouge…

La simulation informatique montre que si la vitesse de mutation est suffisamment rapide, alors le taux de profiteurs dans le système de don est suffisamment faible pour que la valeur ajoutée du don par rapport à l’échange soit suffisante pour donner un avantage aux coopérateurs4. Ce mécanisme a permis d’expliquer l’altruisme dans le monde animal, par exemple chez les cratéropes, des petits oiseaux qui s’occupent des petits des autres et montent la garde pour les autres, tout en ayant pourtant un avantage dans le cadre de la sélection naturelle.

1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Dilemme_du_prisonnier

2 Jean-Michel Cornu, la coopération nouvelles approches, partie 2.2 “les communautés qui durent convergent vers la coopération” : http://www.cornu.eu.org/news/2-2-les-communautes-qui-durent-convergent-vers-la-cooperation

3 Jean-Michel Cornu, et si nous n’étions pas si individualistes ? http://www.cornu.eu.org/news/et-si-nous-n-etions-pas-si-individualistes

4 Vincent Jansen & Minus Van Baalen. Altruism through beard chromodynamics. Nature, 30 mars 2006 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/839.htm




Piste n°6 - Annexe 2 - Le flow : agir sans attendre de récompense externe
Fabien Eychenne

Points importants :

Le bonheur et la réalisation de soit peuvent être obtenu par l’état de “flow” où nous sommes complètement investi et absorbé dans ce que nous faisons ;

Pour cela les attentes doivent être : spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporellement bornées ;

Pour atteindre l’état de flow il faut favoriser la concentration maximale en simplifiant et découpant les missions complexes ;

Le flow demande un effort pour s’investir complètement et nous préférons parfois le plaisir de courte durée d’une occupation plus passive ;

L’objectif de réalisation personnelle est un moyen d’encourager certains comportements. Mihaly Csikszentmihalyi, une des figures de proue de la "psychologie positive"1, s'est intéressé dès les années 70 aux personnes qui consacraient beaucoup de temps et d'énergie à des activités diverses, pour le simple plaisir de les faire, sans attendre en retour des gratifications sous forme d'argent ou de reconnaissance sociale (joueurs d’échec, alpinistes, danseurs par exemple). Ses observations l’ont amené à conclure que le bonheur, c'est lorsque nous "donnons le meilleur de nous même". Il décrit un principe d’'expérience optimale, un état de "flow", où nous sommes complètement absorbé. Cela peut être une activité très valorisante comme écrire un livre ou gravir une montagne ou une simple activité de la vie quotidienne dans laquelle nous aurons su trouver de l’intérêt pour nous investir pleinement. Cela est vrai y compris pour ce qui est habituellement perçu comme une corvée (vaisselle, repassage…).
Qu’est-ce qu’un état de Flow ?
Grâce aux témoignages recueillis et aux expériences réalisées, Csikszentmihalyi a identifié huit éléments décrivant l’état de Flow (source : Wikipedia2)

Caractéristiques de l’activité propice au flow :

1.Objectif SMART3 : les attentes et les règles régissant l'activité sont perçues correctement et les objectifs fixés sont atteignables avec les compétences de l'acteur ;

2.Adéquation entre la difficulté de l'activité et les compétences de l'acteur : le flow se situe entre l’anxiété (trop difficile) et l’ennui (trop simple), c’est un apprentissage permettant de monter en compétences au fur et à mesure que la difficulté augmente ;

3.L'activité est en soi source de satisfaction : elle poursuit un but et n'est donc pas perçue comme une corvée ;

Conséquence du flow sur l’individu :

4.Haut degré de concentration sur un champ limité de conscience (hyperfocus), absence de distraction ;

5.Une perte du sentiment de conscience de soi, disparition de la distance entre le sujet et l'objet ;

6.Distorsion de la perception du temps ;

7.Rétroaction directe et immédiate. Les réussites et difficultés au cours du processus sont immédiatement repérées et le comportement ajusté en fonction ;


8.Sensation de contrôle de soi et de l'environnement ;
Comment atteindre l’état de Flow ?

Afin d’atteindre un état de Flow, il est nécessaire de favoriser un état de concentration maximale. Pour cela, il faut limiter le niveau d’anxiété et mieux appréhender la difficulté. Cela passe notamment par la simplification des missions complexes :

Découper une tâche complexe en une successions de tâches simples ;

Recueillir l’ensemble des connaissances nécessaires à la réalisation des tâches ;

Exploiter les contraintes ;

Standardiser au bon moment.

Dans la mesure du possible, des systèmes doivent être développés pour limiter la surcharge cognitive, afin d’éviter de briser l’état de concentration.
Le Flow demande un effort…

Il est possible de faire la distinction entre des occupations actives, qui requièrent un véritable investissement personnel (sport, travail passionnant, musique, échec, mais également des tâches ménagères si elles ne sont plus perçues comme routinières…), et des occupations passives (regarder la télévision, tâches routinières, …) ne nécessitant pas un réel effort physique ou cognitif. Les premières sont génératrices de “flow”, procurant une sensation de bonheur intense, tandis que les secondes sont généralement associées à un plaisir de courte durée, voire sont à l’origine d’une certaine frustration.

Les activités génératrices de flow demandent une énergie et investissement important. Par conséquent, nombreuses sont les occasions de ne pas “se faire violence” pour fournir l’effort nécessaire permettant d’atteindre l’état de “Flow”, au profit d’une activité plus passive.

Quelles seraient les conséquences sur la société d’une recherche de réalisation personnelle par les individus ? Comment cela peut-il s’appliquer dans le contexte d’une entreprise, afin d’avoir une meilleure rencontre entre les besoins et les compétences de chacun ?

1 Csikszentmihalyi, Mihaly (1990). Flow: The Psychology of Optimal Experience. New York: Harper and Row. ISBN 0-06-092043-2 – version française – vivre : la psychhologie du bonheur, pocket 2006

2 http://fr.wikipedia.org/wiki/Flow_%28psychologie%29

3 SMART : Spécifique (anglais : Specific), Mesurable (anglais : Measurable), Atteignable (anglais : Achievable), Réaliste (anglais : Realistic), Temporellement défini (anglais : Time-bound)




Piste n°6 - Favoriser le don 
Fabien Eychenne

Points importants :

Le don est plus avantageux que l’échange car il permet de mieux distribuer les richesses là où c’est nécessaire, même si il n’y a pas de biens ou de monnaie en retour ;

Mais pour conserver cet avantage, il faut avoir suffisamment de personnes qui “jouent le jeu” et donnent dans la communauté ;

Contrairement à l’échange, le don s’intéresse à la valeur des personnes plutôt qu’à la valeur des biens et services échangés ;

Un mécanisme pour favoriser le don qui n’attende pas en retour une reconnaissance sociale, devrait comporter un indicateur de la valeur des personnes qui soit personnel et non mesurable ;

Dans un système où “on reçoit puis on donne”, il faut “rembourser à d’autres” pour ne pas retomber dans l’échange ;

Dans un système où on “donne sans compter”, il faut maximiser la coopération dans les sociétés et favoriser la réalisation de soi par le don ;

Quel avantage au don par rapport à l’échange ?

La première fonction de la monnaie est de favoriser l’échange. C’est même la fonction principale des monnaies complémentaires aujourd’hui. Par rapport au troc (l’échange direct), l’échange par l’intermédiaire d’une monnaie présente un avantage : il suffit qu’une seule des deux parties soit intéressée par ce que peut offrir l’autre. La contre-partie ne se fait plus avec un bien ou un service mais avec une monnaie qui a cours dans toute une communauté et permet donc d’accéder à d’autres biens et services.

Il existe un autre mécanisme qui permet le partage entre les hommes, il s’agit du don. Celui-ci dispose d’un avantage par rapport à l’échange : il n’est pas nécessaire de disposer de quoi que ce soit en contre-partie. Le don peut se faire même si celui qui reçoit n’a ni bien et service à offrir en échange, ni de monnaie à donner.

En terme de la valeur globale, ce qui est partagé peut augmenter ou non, suivant comment nous regardons les choses :

Il n’y a pas d’augmentation de “valeur d’échange” dans l’échange ou le don. On parle de “jeu à somme nul” : ce qui est donné ou vendu vaut autant que ce qui est reçu ou acheté ;

Mais la différence entre la valeur d’usage pour celui qui donne et pour celui qui reçoit peut être importante et crée ainsi de la richesse1.

Le don a donc en théorie un avantage par rapport à l’échange car il permet de recevoir là où c’est le plus nécessaire plutôt que là où il y a les moyens de la demande.

Mais la théorie des jeux2 montre qu’il est souvent plus intéressant de laisser coopérer les autres tout en ne coopérant pas soi-même. Il nous faut donc accepter une part plus faible de donneurs dans une communauté. Pour que le don reste plus intéressant que l’échange, il faut que le nombre de personnes qui ne donnent pas reste le plus réduit possible afin que l’avantage supplémentaire généré par le don compense ceux qui “ne jouent pas le jeu3” (alors que dans le cas de la monnaie, on suppose que toutes les dettes ou presque sont réglées). Si nous disposons d’un mécanisme qui favorise suffisamment le don alors celui-ci peut devenir supérieur à l’échange.
De quel don parle-t-on ?
Il existe différents types de don que nous pouvons associer aux différents leviers qui influencent les comportements4 :

Le don en attente d’un “contre don” (qui est alors perçu comme une récompense) ;

Le don contraint (pour éviter une punition, un rejet par la communauté…) ;

Le don pour obtenir de la reconnaissance sociale ou pour confirmer sa position sociale (c’est ce type de don qui s’est développé dans notre société avant le XVIIIème siècle5) ;

Le don sans attente de retour des autres, comme réalisation de soi ;

Les trois premiers types de dons se sont développés dans différentes cultures. Nous nous intéresserons ici au quatrième cas, celui du don comme réalisation de soi. Bien que ce type de don soit présent partout, il n’existe pas aujourd’hui de mécanismes permettant son développement dans une communauté.

Un mécanisme pour favoriser le don sera probablement différent d’un mécanisme monétaire. Il pourrait disposer toujours d’un mécanisme de régulation et d’un indicateur de valeur, mais chacun avec des spécificités propres au don. Il doit également inciter suffisamment au don pour réduire la part de “ceux qui ne jouent pas le jeu” afin que le don soit égal ou supérieur à l’échange.
L’indicateur de valeur : quelle différences entre l’échange et le don

La différence principale entre l’échange et le don est dans la valeur principale à prendre en compte. Il existe plusieurs types de valeurs :

Le don s’intéresse avant tout à la valeur des êtres ;

L’échange s’intéresse plutôt à la valeur des choses ;

Ces différents valeurs ne doivent pas se mélanger, même si le marché à tendance à grignoter tout… Le don ne doit ainsi pas être monétisé mais disposer de son mécanisme propre.

Cela change beaucoup de choses pour le type d’indicateur6 que proposerait un mécanisme qui aurait pour but de favoriser le don :

1.L’indicateur doit concerner la valeur de la personne pour favoriser le don et non plus la valeur des biens et services comme lorsque l’on veut favoriser l’échange ;

2.L’indicateur doit être non-mesurable : la valeur des personnes est par essence non mesurable7. Il faut donc soit supprimer la référence aux nombres, soit utiliser un indicateur “approximatif” tel qu’un simple ordonnancement ;

3.L’indicateur intervient incitation ou comme évaluation du don : le don intervient comme une obligation liée à la grandeur dans certains cas (par exemple dans le cas du don d’un noble à ses vassaux ou encore d’un parent à ses enfants). L’indicateur sur la valeur de la personne peut également se construire à partir de sa capacité à donner ;

Dans le cas d’un don sans attente un retour de l’autre ou de la communauté, il existe deux besoins antagonistes : le don ne doit pas être visible de l’extérieur pour ne pas se transformer en attente de reconnaissance, et il est important de savoir que d’autres donnent pour ne pas avoir le sentiment d’être seul à le faire. Ce double besoin pourrait être se résoudre avec un double indicateur :

un indicateur personnel privé8 : seule la personne connait l’ampleur de tout ce qu’elle a donné. Si ce n’est pas le cas, elle ne donne plus par réalisation de soi mais pour recevoir un contre-don, pour éviter une sanction ou pour obtenir de la reconnaissance sociale ;

Un indicateur global et anonyme : Afin de donner le sentiment que l’on n’est pas seul à donner et que le nombre de donneur est suffisant pour obtenir un équilibre global“donner envie de donner” ;

Plus de travaux seront nécessaires pour définir ce que serait un indicateur de don.

Quels mécanismes pour favoriser le don ?

Tout comme dans le cas des échanges décalés dans le temps grâce à la monnaie, il peut exister deux types de don sans attente de récompense :

Recevoir puis donner ;

Donner sans attendre de recevoir… tout en pouvant recevoir en cas de besoin ;
Recevoir puis donner

La version la plus simple est de recevoir d’abord puis ensuite de choisir d’équilibrer ce que l’on a reçu en donnant à d’autres.

Dans le film “Pay it forward”, il est demandé à toute personne qui reçoit quelque chose de faire pour trois autres personnes quelque chose qui est simple pour elle mais qui est très important pour ceux qui reçoivent. Cette approche a été détaillée dans la piste n°4 “rembourser à d’autres” et dans les exemples qui y sont annexés9 :

Le système crée de la valeur supplémentaire pour compenser les passagers clandestins, en donnant à trois personnes lorsque l’on a reçu une fois (le système tend vers son équilibre grâce à la différence de valeur d’usage de ce qui est donné, pour celui qui donne et pour celui qui reçoit). Si on est sensé donner à trois personnes lorsque l’on a reçu d’une seule, le taux minimal nécessaire de résolution de dette est de 33% ce qui reste raisonnable ;

L’indicateur est sur la personne, approximatif et personnel : seule la personne sait si elle a donné”. Elle peut évaluer sa propre valeur de façon très approximative : en comptant si elle a fait ou non un don à trois personnes ;

Il existe cependant une dette que l’on peut choisir ou non de solder. Cependant, cela se fait non pas en rendant à la personne dont on a reçu mais en donnant à d’autres. Malgré tout, dans ce mécanisme, comme il est possible de “solder sa dette”, la personne peut se sentir affranchie et ne pas chercher à continuer de donner par la suite ;

Donner sans attendre de recevoir

Dans ce cas, il s’agit de ne pas attendre de recevoir pour donner10. Le don permettant de donner là où cela est nécessaire, si le nombre de personnes qui acceptent de donner sans compter est suffisant, la personne qui donne peut espérer ne pas être abandonnée lorsqu’elle sera dans le besoin.

Pour que le nombre de personnes qui donnent sans compter soit suffisant, il est nécessaire de mettre en place des mécanismes facilitateurs du don. Il en existe plusieurs qui se complètent (en plus du double indicateur que nous avons vu plus haut : personnel/privé et collectif/anonyme) ;

Un mécanisme de reconnaissance dynamique entre ceux qui donnent le plus, afin de maximiser le nombre de donneurs dans la communauté. Cette approche a été étudiée en particulier par la théorie des jeux et l’analyse de l’altruisme dans le monde animal11. L’important est de disposer de modes de reconnaissance suffisamment performants et suffisamment changeants pour donner un avantage à ceux qui coopèrent par rapport aux profiteurs. Ce mécanisme rentre en conflit avec le coté “privé” de l’indicateur de don. Cette double contrainte implique probablement des mécanismes de reconnaissance deux-à-deux plutôt que globaux (comme l’appartenance à une communauté). Cela nécessite donc la construction dynamique d’un réseau social de proche en proche (avec ceux que chacun reconnaît à un instant donné comme susceptible de donner) plutôt qu’une communauté statique où les personnes qui y entrent peuvent y rester facilement) ;

Un mécanisme pour favoriser le don y compris pour ceux qui ne donnaient pas. L’orientation de l’action de l’autre a été étudiée dans la théorie des jeux avec le dilemme du prisonnier itératif (et en pareticulier la méthode CRP12) ;

Faire en sorte que le pourcentage minimum nécessaire de personnes qui donne soit le plus bas possible. Le nombre de don doit permettre qu’une personne dans le besoin ait une chance raisonnable de pouvoir recevoir ;

Faire en sorte de se réaliser dans le don sans attendre une récompense extérieure. Cela peut se faire en développant l’estime de soi ou bien la réalisation de soi. Ce deuxième point a été étudiée en particulier par la “psychologie positive” avec la découverte de “l’état de flow”13 : un état de bonheur où nous sommes totalement absorbés dans ce que nous faisons. Cependant, contrairement à l’estime de soi, la réalisation de soi par le flow nécessite un effort pour s’investir. Le flow est donc probablement un moteur intrinsèque très puissant pour agir (y compris pour donner) mais comporte une barrière à l’’entrée qu’il faut franchir ;


Savoir distinguer les besoins des désirs, afin d’aider ceux qui veulent donner de le faire de la façon la plus judicieuse. Ce point nécessite probablement plus de recherches pour trouver dans les divers travaux des références pertinentes ;

1 Il faut prendre ici le terme richesse dans son sens le plus large. Voir, Patrick Viveret, reconsidérer la richesse, secrétariat d’état à l’économie solidaire, 2002

2 Voir Innovation monétaire - piste 6 annexe 1 : du dilemme du prisionnier aux barbes vertes

3 On parle en théorie des jeux de “passager clandestin”

4 Voir les 4 leviers pour favoriser les comportements dans : Innovation monétaire – notions de base annexe 2 : favoriser un comportement

5 Innovation monétaire - notions de base, annexe 10 : Laurent Gille : les différents régimes de la valeur

6 Voir Innovation monétaire - notions de bases : mécanisme de résolution de dette et indicateur de valeur.

7 Voir Innovation monétaire – piste 2 : des indicateurs non mesurables

8 Voir Innovation monétaire – notions de base annexe 2 : favorise un comportement – partie 4 la réalisation personnelle

9 Innovation monétaire – piste 4 annexe 1 : quelques exemples autour de l’idée de rendre à quelqu’un d’autre (pay it forward)

10 Innovation monétaire – notions de base annexe 12 : Patrick Viveret, préparer le jour d’après

11 Innovation monétaire - piste 6 annexe 1 : du dilemme du prisionnier aux barbes vertes

12 Jean-Michel Cornu, la coopération nouvelles approches, partie 2.2 – les communautés qui durent convergent vers la coopération : http://www.cornu.eu.org/news/2-2-les-communautes-qui-durent-convergent-vers-la-cooperation

13 Voir Innovation monétaire - piste 6 annexe 2 : le flow, agir sans attendre de récompense externe


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