Mordechaï Vanunu peut inspirer l'admiration ou le mépris, mais en aucun cas laisser indifférent. Car cet ancien technicien en physique nucléaire israélien, l'homme qui, en 1986, a livré aux Sunday Times les preuves de la fabrication secrète d'armes nucléaires par la centrale israélienne de Dimona, dans le désert du Néguev. C'est lui qui a dévoilé - photos à l'appui - que l'État hébreu détenait 200 bombes atomiques. Selon ses affirmations, Israël maîtrisait la fusion thermonucléaire et possédait déjà un certain nombre de bombes H opérationnelles. Par la suite, Vanunu a été piégé et conduit à Rome, où il a été kidnappé et drogué avant d'être ramené en Israël par des agents des services spéciaux israéliens.
[…] après 18 ans de détention, dont 12 en cellule d'isolement [1], le plus célèbre mouchard de la planète va sortir de prison. […]
Le gouvernement israélien ne sait pas encore quel sort réserver à Vanunu après sa sortie de prison. Il semble envisager de mettre en œuvre « certains moyens de surveillance » et des « mesures appropriées » pour le faire taire. Vers la fin du mois de janvier, le premier ministre Ariel Sharon a rencontré le procureur général d'Israël, Menachem Mazuz, et le ministre de la défense, Shaul Mofaz, pour s'entretenir avec eux de l'opportunité de refuser un passeport à Vanunu - auquel cas ce dernier aurait le droit de se prélasser sur les plages de Tel-Aviv mais ne pourrait pas parcourir le monde pour faire connaître la puissance nucléaire d'Israël. Autre signe de la crainte que la libération de cet homme inspire au gouvernement israélien : Sharon a également consulté l'unité de sécurité du Ministère des Affaires étrangères, dirigé par Yehiel Horev, les services de renseignements intérieurs et extérieurs - le Shin Bet et le Mossad, aussi surestimés l'un que l'autre -, et un représentant du Comité israélien à l'énergie atomique.
On sait aujourd'hui que Yehiel Horev souhaitait aller encore plus loin que Sharon. Il a proposé de rendre une ordonnance de mise en détention à l'encontre de Vanunu - la méthode habituelle utilisée par Israël avec les Palestiniens considérés comme terroristes -, proposition qui a été apparemment rejetée car elle n'aurait fait que renforcer sa réputation de martyr de la paix au niveau international. Cependant, le problème représenté par Vanunu est qu'il rappellera au monde, à un moment critique de l'histoire du Moyen-Orient, qu'Israël est une puissance nucléaire et que les ogives déployées dans le désert du Néguev sont opérationnelles. Il lui rappellera également que, tout en ravageant l'Irak pour éliminer des armes de destruction massive qui n'existent pas, les Américains continuent à apporter un soutien politique, économique et moral à un pays qui a secrètement amassé un arsenal d'armes nucléaires.
Or c'est un débat que Washington comme Tel-Aviv souhaitent étouffer. Aux États-Unis, où toute observation un tant soit peu désobligeante sur les relations bilatérales Israëlo-américaines est systématiquement considérée comme subversive ou antisémite, il est clair que le gouvernement ne souhaite pas voir la puissance nucléaire d'Israël devenir le thème d'émissions télévisées de grande écoute. […]
Il est impossible de mettre en doute les convictions de Vanunu. Né en 1954 dans une famille juive marocaine, il a émigré en Israël à l'âge de neuf ans, a effectué son service militaire vers le milieu des années 70 et a commencé à travailler à Dimona en novembre 1976 tout en poursuivant des études de philosophie et de géographie. Peut-être est-ce au début de 1986, pendant ses voyages en Thaïlande, en Birmanie [devenu le Myanmar aujourd'hui], au Népal et en Australie qu'il s'est senti moralement tenu de révéler l'existence de l'arsenal nucléaire d'Israël. La même année il s'est fait baptiser dans une église anglicane de Sydney.
Vanunu était sans aucun doute profondément attristé par la puissance nucléaire croissante d'Israël quand il a pris contact en septembre 1986 avec la presse britannique pour révéler au monde la vérité sur Dimona. Il a commencé par se rendre au Daily Mirror, le journal de Robert Maxwell, lui a remis des photos de la centrale et a attendu une réponse. À son insu, Maxwell a fait parvenir ses photos à l'ambassade d'Israël à Londres, prétendument pour qu'elle « y jette un coup d’œil », et lui « confirme » l'authenticité des informations. En réalité, il avait, semble-t-il, d'autres raisons de trahir Vanunu que la simple intégrité journalistique. En tout cas après la disparition en mer de Maxwell, en 1991, Israël à organisé les funérailles nationales au cours desquelles Shimon Peres a fait l'éloge des « services » qu'il avait rendus à l'État.
Le 28 septembre 1986, le Daily Mirror fait finalement paraître un article sur Vanunu, intitulé « l'étrange affaire d'Israël et l'escroc du nucléaire ». Quand le Sunday Times publie ses propres révélations, Vanunu a déjà disparu. Piégé par un agent féminin du Mossad, il a été entraîné à Rome et kidnappé. Il semble que son enlèvement et eu lieu à l'aéroport de Fiumicino. Ne pouvant s'adresser aux journalistes, Vanunu écrit « Rome ITL 30-9-86 21h00 – arrivée à Rome par BA504 » sur la paume de sa main et la tient pressée contre la vitre du fourgon cellulaire pendant son transfert au tribunal. Les autorités italiennes étaient elles impliquées dans le kidnapping ? Étaient-elles présentes au moment des faits ? Peut-être Vanunu pourra-t-il répondre à ces questions. […] (1)
(1) NDLR : le procès avait eu lieu en 1987 à huis clos, et le jugement n'avait été rendu public, partiellement, qu'en 1999. La défense de Vanunu avait fait valoir que'il faut distinguer l’information donnée à un journal et l’espionnage au profit d’une puissance étrangère. De surcroît, l’activité militaire nucléaire d’Israël était alors formellement déniée par le gouvernement, de sorte que Mordechai Vanunu aurait dû être traité comme un vulgaire menteur, et relaxé, car le mensonge n’est pas une faute pénale, pas plus en Israël qu’ailleurs. il a donc été condamné pour des faits d' "espionnage" consistant, si on acceptait pour vraie la thèse gouvernementale, à révéler un programme nucléaire qui n'existait pas. (2) NDLR : Une décision de justice a interdit à M. Vanunu d'avoir de quitter Israël après sa libération, et d'avoir des contacts avec journalistes, milieux diplomatiques, etc... En mars 20056, il a été inculpé pour 21 infractions à ces interdictions, pour chacune desquelles il risquait une peine de 2 ans de prison. En juillet 2007, il a été condamné à 6 mois de prison ferme plus 6 mois avec sursis « 6 mois de prison ferme et 6 mois avec sursis pour avoir brisé « sa promesse de silence », c’est-à-dire non pas pour avoir tenu des propos illégaux, mais tout simplement pour s’être exprimé.
(LDL)
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