1. Bonjour. Le titre de cet exposé est un peu long, mais ce que je
veux dire peut se résumer en termes simples : on doit tous se préparer à
une vie sans beaucoup d’argent, où les produits importés sont rares et
où les gens doivent subvenir à leurs propres besoins et ceux de leurs
voisins immédiats. Je prendrai pour point de départ l’évolution de
l’effondrement de l’économie mondiale, et vais discuter de ce qui
pourrait survenir. Cela a commencé avec l’effondrement des marchés
financiers l’an dernier, et il en résulte maintenant une diminution du
volume du commerce international sans précédent. Ces évolutions ont
aussi commencé à affecter la stabilité politique des différents pays à
travers le monde. Quelques gouvernements se sont déjà effondrés,
d’autres suivent peut-être le même chemin, et il ne faudra plus attendre
longtemps avant que nos cartes soient redessinées radicalement.
2. «Développement Durable» - résumé en un mot ?
En un mot, c’est non-durable. Alors qu’est-ce que cela signifie
exactement ? Chris Clugston a récemment publié un résumé de son analyse
de ce qu’il appelle «la société en sur-extension» sur le site The Oil Drum.
Voici un condensé de son résumé, en chiffres ronds. Je ne veux pas
jouer avec son calcul, parce que c’est la culture qui sous-tend les
hypothèses que je trouve intéressantes. L’idée est que si on diminue
notre empreinte écologique d’un ordre de grandeur ou plus, cela rendrait
l’ensemble de l’arrangement durable, une fois de plus. C’est exprimé en
termes financiers : on réduit ici le PIB des États-Unis de, par
exemple, 100 000 $ par habitant et par an, à, par exemple, 10 000 $.
Clugston établit une distinction entre cette réduction volontaire ou
involontaire : on doit se faciliter la vie et y venir doucement, afin
que personne ne soit laissé pour compte. Je trouve l’idée que les
Américains réduisent volontairement leur PIB d’un facteur de 10, plutôt
farfelue. On garde le même système, il suffit de fermer les 9/10 de
celui-ci ? Ne serait-ce pas alors un système totalement différent ? Ce
type de développement durable semble plutôt insupportable pour moi.
3. Mon plan
Je tiens à offrir une alternative plus réaliste. Tout le monde
devrait garder un dollar américain à but purement didactique. De cette
façon, tous les Américains seront en mesure de montrer leur billet de un
dollar à leurs petits-enfants, et leur dire : «Essayez de vous
imaginer, ce vilain bout de papier était autrefois appelé Le Dollar
Tout-Puissant !» Et leurs petits-enfants penseront sans doute qu’ils
sont un peu fous, mais ils le penseraient sans doute de toute façon.
Mais il ne serait pas utile pour eux de disposer de plusieurs boîtes à
chaussures pleines de dollars, car alors leurs petits-enfants
penseraient qu’ils sont tout à fait séniles, car aucune personne sensée
ne stockerait de tels déchets.
4. Une alternative désagréable
Clugston offre une alternative à la grande baisse du PIB : une baisse
proportionnelle de la population. Dans ce scénario, neuf personnes sur
dix meurent pour que les 10% restants puissent continuer à vivre
confortablement avec 100 000 $ par an. J’ai été heureux de constater que
Chris n’a pas fait la distinction entre volontaires ou involontaires
dans cette partie de l’analyse, car je pense que cela aurait été d’un
goût douteux. Je n’ai que trois choses à dire sur ce scénario.
Tout d’abord, l’humain n’est pas un cas particulier pour ce qui est
de subir l’explosion démographique et l’extinction, et l’idée que la
population humaine devrait augmenter régulièrement à l’infini est tout
aussi absurde que l’idée de la croissance économique infinie sur une
planète finie. La croissance exponentielle de la population humaine a
suivi en parallèle la consommation accrue d’énergie fossile, et
j’attends toujours un argument de poids expliquant pourquoi la
population ne diminuerait pas avec ces énergies.
Deuxièmement, même si cela paraît choquant, on peut constater que la
plupart des sociétés peuvent endurer une augmentation soudaine de la
mortalité sans faire trop de bruit. Il y a eu une énorme hausse de la
mortalité en Russie après l’effondrement soviétique, mais on ne le
remarquait pas directement en dehors des morgues et crématoriums. Après
quelques années, ceux qui regardaient une vieille photographie de classe
réalisaient que la moitié des gens étaient morts ! Quand il s’agit de
la mort, la plupart des gens prennent la chose sur eux-mêmes facilement
et tranquillement. Le plus douloureux est de s’apercevoir qu’une telle
chose se produit autour de vous.
Troisièmement, tout cet exercice budgétaire pour calculer combien de
personnes on peut se permettre de laisser en vie est un bon moyen de
montrer combien nous sommes devenus des monstres, avec notre dépendance à
l’égard des statistiques et des abstractions numériques. La rupture
entre les mots et les actions sur la question de la population est
maintenant presque totale. La population est bien au-delà du contrôle de
toute personne, et cette manière d’y penser nous mène dans la mauvaise
voie. Si on ne pouvait pas contrôler à la hausse, pourquoi imaginer
qu’on serait en mesure de contrôler à la baisse ? Si nos projections
paraissent assez choquantes, alors on pourrait s’hypnotiser en pensant
que le maintien de nos systèmes artificiels d’aide à la vie humaine à
tout prix est plus important que l’examen de son effet sur le monde
naturel. La question «Combien vont survivre ?» ne demande tout
simplement pas qu’on y réponde.
5. Que se passe-t-il réellement ?
Revenons à ce qui se passe maintenant. Il semble y avoir un large
éventail d’opinions sur la façon de le qualifier, de la récession à la
dépression à l’effondrement. La presse a récemment propagé quantités
d’histoires de «jeunes pousses», «signes de reprise» et les économistes
discutent de la date exacte de la reprise économique. Le courant
dominant va de «plus tard cette année» à «l’année prochaine.» Aucun
d’entre eux n’ose dire que la croissance économique mondiale pourrait
s’arrêter pour de bon, ou qu’elle le serait dans un «avenir pas trop
lointain» - un terme vague qui semble très en vogue.
Il semble bien qu’il se forme un consensus pour dire que la crise
financière de l’an dernier a été précipitée par la flambée des prix du
pétrole l’été dernier, lorsque le pétrole a brièvement atteint 147$ le
baril. Pourquoi cela s’est produit semble assez évident. Comme la
plupart des choses dans une économie entièrement développée,
industrialisée fonctionne avec du pétrole, son achat n’est pas une
option : pour un niveau donné de l’activité économique, il faut
consommer une certaine quantité de pétrole, et en payer le prix tout
simplement, tant que l’accès au crédit est possible, mais quand le
crédit disparaît c’est soudainement la fin du jeu. François Cellier a
récemment publié une analyse dans laquelle il montre que, à environ 600$
le baril, l’ensemble du PIB serait nécessaire pour payer l’énergie, ce
qui ne laisserait plus d’argent à investir dans toute autre
d’utilisation intéressante. A ce niveau de prix, on ne peut même pas se
permettre d’en prendre livraison. En fait, à ce niveau de prix, on n’a
même pas les moyens de le pomper hors du sol, car les extracteurs,
sondeurs et travailleurs qui font fonctionner le puits de pétrole ne
boivent pas du pétrole, et les budgets seraient vides même pour de la
bière.
Et donc, la limite de prix, au-delà de laquelle aucune activité
économique n’est possible, est certainement beaucoup plus basse, et
l’été dernier, il semble qu’on a déterminé expérimentalement qu’elle se
situe vers 150$ le baril, ce qui correspond à 6% du PIB mondial. On
pourrait ne jamais tomber à court de pétrole, mais on est déjà arrivé à
court d’argent permettant de l’acheter, au moins une fois, et très
probablement cela se produira encore et encore, jusqu’à ce qu’on
apprenne la leçon. On va aussi manquer d’argent pour l’extraire du sol.
Il reste peut-être encore quelques nappes, et il restera un petit peu de
pétrole pour produire des bijoux exotiques en plastique pour riches.
Mais il n’en restera pas assez pour approvisionner la base industrielle,
et ainsi l’ère industrielle prendra fin de fait, sauf pour certains
résidus de panneaux solaires, d’éoliennes et d’installations
hydroélectriques.
Je pense que la leçon à tirer de tout ceci, c’est qu’on doit se
préparer à un avenir non-industriel alors qu’il reste encore des
ressources pour assurer la transition. Si on mobilise les ressources,
stocke les matériaux qui seront les plus utiles, et exploite les
technologies héritées du passé qui peuvent être maintenues sans une base
industrielle, alors on peut prolonger la transition loin dans l’avenir,
en se donnant le temps de s’adapter.
6. Les points clés
Je sais que je cours le risque de surestimer ces points et simplifier
la situation à outrance, mais il est parfois utile de ne pas tenir
compte des complexités pour faire avancer le débat. En gros, je crois
que ces points sont bien réels.
- Le PIB mondial est fonction de la consommation de pétrole. Comme la production de pétrole baisse, ainsi en sera-t-il du PIB mondial. À un certain point, le manque d’investissement dans la production de pétrole va conduire la production bien en deçà de ce qui pourrait être possible si l’épuisement était le seul facteur limitant. L’efficacité, la conservation, les sources d’énergie renouvelables pourraient toutes avoir un certain effet, mais cela ne va pas modifier de façon matérielle cette relation. Moins de pétrole signifie une économie mondiale réduite. Pas de pétrole, une économie mondiale extrêmement réduite, pas digne de ce nom.
- On a eu la chance d’observer que les économies s’effondrent lorsque les dépenses de pétrole approchent les 6% du PIB mondial. Les tentatives de redressement économique vont provoquer des hausses du prix du pétrole qui vont crever ce plafond. Ces hausses seront suivies par de nouveaux krachs financiers et d’autres chutes de l’activité économique. Après chaque krach, le niveau maximal de l’activité économique nécessaire pour déclencher le prochain krach sera inférieur.
- Les actifs financiers ne sont utiles que si on peut les utiliser pour garantir une quantité suffisante de pétrole afin de maintenir l’économie en activité. Ils représentent la capacité de produire un certain travail et, puisque dans une société industrielle le travail est effectué par des machines industrielles qui fonctionnent avec du pétrole, moins de pétrole, c’est moins de travail. Les actifs financiers qui ont pour contrepartie la capacité industrielle exigent que la capacité industrielle soit maintenue en état de fonctionnement. Une fois qu’on ne peut plus satisfaire aux besoins d’entretien de l’infrastructure industrielle, elle se décompose rapidement et devient inutile. Dans une large mesure, la fin du pétrole signifie la fin de l’argent.
Maintenant que la réalité du Pic Pétrolier a commencé à poindre, on
entend couramment que «L’âge du pétrole bon marché est terminé». Mais
cela veut-il dire qu’on arrive à l’âge du pétrole cher ? Pas
nécessairement. On sait maintenant (ou on devrait le savoir à présent),
qu’une fois que les dépenses de pétrole atteignent 6% du PIB mondial,
l’économie industrielle mondiale ralentit, et dès que cela se produit,
le pétrole cesse d’être particulièrement précieux, si bien que le
développement et la maintenance des capacités de production de pétrole
sont limités. La prochaine fois que l’industrie tentera de refaire
surface (si jamais cela se produit) elle heurtera le mur bien plus tôt
et s’arrêtra à nouveau. Je doute qu’il faille plus que quelques cycles
de ces coups de fouet aux marchés pour que tous les participants
réalisent qu’ils ne peuvent pas obtenir suffisamment de pétrole, peu
importe le prix payé, et que personne ne veut de leur argent même en
échange du pétrole restant. Ceux qui en ont encore le considéreront trop
précieux pour l’échanger simplement contre de l’argent. D’autre part,
si les ressources énergétiques nécessaires à l’exploitation d’une
économie industrielle ne sont plus disponibles, le pétrole devient un
déchet toxique. En tout cas, il n’est plus question d’argent, mais
d’accès direct aux ressources.
7. Une série d’objectifs raisonnables
Maintenant, je m’attends à ce que beaucoup de gens trouvent cette
vision trop sombre et se sentent découragés. Mais je pense que c’est
tout à fait compatible avec une vision positive de l’avenir, alors
permettez-moi d’essayer de l’articuler.
Tout d’abord, on a un certain contrôle. Bien qu’on ne doive pas
mettre trop d’espoir dans la civilisation industrielle dans son
ensemble, il y a certainement quelques bribes qu’il convient de sauver.
Les actifs financiers peuvent ne pas tenir longtemps dans ce monde, mais
en attendant, on peut les redéployer à bon escient pour le long terme.
Deuxièmement, on peut prendre des mesures pour se donner le temps de
s’y adapter. En sachant à quoi s’attendre, on peut se préparer à le
surmonter. On peut imaginer quelles options seront fermées en premier,
et créer des alternatives, de sorte qu’on ne tombe pas à court
d’options.
Enfin, on peut se concentrer sur ce qui est important : la
préservation d’une écosphère dynamique qui prend en compte la diversité
de la vie, y compris notre propre descendance. Je ne peux imaginer que
peu d’options à court terme devant l’emporter sur ce point - c’est notre
première priorité.
8. Gestion des risques financiers
Il faudra un certain temps pour comprendre et assimiler tout cela. En
attendant, on déclarera sans aucun doute qu’on a une crise financière
sur le dos. On doit faire quelque chose pour sauver les banques, traiter
les actifs toxiques, soutenir le crédit et ainsi de suite. Certains
diront que tout cela a pour origine une erreur dans la modélisation
financière, et que si on re-réglemente le secteur financier, cette
situation ne se reproduira plus. Donc, pour le bien de l’argument,
jetons un oeil là-dessus.
La gestion financière n’est certainement pas ma spécialité, mais,
d’après ce que je comprends, cela porte surtout sur l’évaluation des
risques. Et pour ce faire, les gestionnaires financiers font certaines
hypothèses sur les phénomènes qu’ils cherchent à modéliser. Une
hypothèse est que l’avenir ressemblera au passé. Une autre est que les
divers événements négatifs sont répartis au hasard. Par exemple, si vous
vendez une assurance-vie, vous avez la certitude que les gens vont
mourir sur base du fait qu’ils sont nés, et vous pouvez être
raisonnablement certains qu’ils ne meurent pas tous à la fois. L'instant
où quelqu’un meurt est imprévisible, le moment où les gens meurent en
général est aléatoire, la plupart du temps. Et voici donc le problème :
le monde est imprévisible, mais on peut considérer les classes de petits
événements comme aléatoires, jusqu’à ce qu’un événement plus grand
survienne. Cela peut sembler un point obscur, je vais tenter d’expliquer
la différence de manière graphique.
9. Ceci est (pseudo) aléatoire
Voici une collection aléatoire de points multicolores. En fait, c’est
pseudo-aléatoire, car c’est généré par un ordinateur, et les
ordinateurs sont des créatures déterministes incapables de vrai hasard.
Une source réellement aléatoire est difficile à trouver. Même de très
bons générateurs de bruit aléatoire peuvent produire des artefacts
d’ordre supérieur. Les petits événements sont fréquents et on peut donc
les considérer comme aléatoire; les grands événements sont moins
fréquents et assez imprévisibles; et certains des plus grands événements
mettent fin à la carrière des statisticiens qui tentent de les
modéliser, et ainsi on ne sait jamais s’ils sont aléatoires ou non. Pour
un profane, c’est assez aléatoire, mais à la longue il n’y a plus de
hasard et on approche du non-aléatoire.
10. Ceci n’est pas aléatoire, mais prévisible
Comme ceci. Maintenant, ce n’est pas aléatoire, même pour un profane.
C’est comme les dépenses de pétrole montant à 6% du PIB mondial. Ce
n’était certainement pas le fruit du hasard. Mais était-ce
imprévisible ? Le prix du pétrole a augmenté de plus en plus les
dernières années, et les prix élevés n’ont pas provoqué beaucoup
d’augmentation de l’offre, en dépit d’une hausse record du taux de
forage, de l’investissement dans l’éthanol, les sables bitumineux, et
ainsi de suite. Quelques bons modèles géologiques prédisent avec
précision le profil de l’épuisement du pétrole pour des zones
distinctes, ainsi que pour l’ensemble, avec une forte probabilité de
réussite. Donc, ce n’est certainement pas le fruit du hasard, et ce
n’est pas du tout imprévisible. Donc, à un niveau plus élevé, quel
modèle mathématique faut-il utiliser pour modéliser avec précision
l’aveuglement et l’incompréhension du monde financier et politique et
des autres dirigeants et commentateurs, encore même à l’heure actuelle ?
A-t-on vraiment besoin de le faire, ou faudrait-il attendre que ce beau
mur de briques le fasse pour nous ? Parce que, vous le savez, les murs
en briques ont beaucoup à enseigner aux gens qui refusent de reconnaître
leur existence, et les murs sont très patients pour répéter la leçon
aux élèves qui ne l’ont toujours pas comprise. Je suis sûr que la leçon
sera apprise à la longue, mais je me demande combien de fois il faudra
heurter ce mur de plein fouet avant que tout le monde ne comprenne.
11. Son modèle fonctionne généralement
Celui qui devrait se heurter au mur de briques est cet homme, Myron
Scholes, le prix Nobel d'économie, co-auteur de la méthode Black-Scholes
de fixation des prix des produits dérivés, l’homme derrière le krach du
Long Term Capital Management. Il est l’inspiration de la plus grande
partie de la débâcle financière actuelle. Récemment, il a dit : «La
plupart du temps, votre gestion des risques fonctionne. Pour un
événement systémique tel que les chocs récents suite à la faillite de
Lehman Brothers, de toute évidence, d’après les faits, le système de
gestion des risques de toute banque s’avère être incomplet.» Maintenant,
imaginez un ingénieur disant quelque chose du genre : «La plupart du
temps, notre analyse structurelle fonctionne, mais s’il y a une forte
rafale de vent, alors, pour toute structure, elle est incomplète.» Ou un
ingénieur nucléaire : «Nos calculs de la puissance de l’enveloppe de
confinement du réacteur nucléaire fonctionne très bien la plupart du
temps. Bien entendu, s’il y a un tremblement de terre, toute enveloppe
de confinement pourrait être détruite.» Dans ces autres disciplines, si
vous ne connaissez pas la réponse, alors cela ne vaut pas la peine de
présenter son travail, car quel serait l’intérêt ?
12. On aime leurs mensonges
L’intérêt ne serait certainement pas de rassurer la population,
promouvoir la confiance du public dans les ponts, les bâtiments et les
réacteurs nucléaires. Mais l’économie et la finance sont différents.
L’économie n’est pas directement mortelle, et les économistes n’ont
jamais été en prison pour négligence criminelle ou incompétence
flagrante, même si leurs théories échouent. La finance porte sur les
promesses qu’on se fait les uns aux autres, et à nous-mêmes. Et si les
promesses se révèlent irréalistes, alors l’économie et la finance se
révèlent être des mensonges qu’on se dit les uns les autres. On veut
continuer à croire ces mensonges, car on perd la face si on ne le fait
pas, et les économistes sont là pour nous aider. On continue à écouter
les économistes, parce qu’on aime leurs mensonges. Oui, bien sûr,
l’économie se rétablira plus tard cette année, peut-être l’année
prochaine. Oui, dès que l’économie redémarre, l’ensemble de ces actifs
toxiques auront à nouveau de la valeur. Oui, il s’agit juste d’un
problème financier, on a juste besoin de renforcer le système financier
en injectant des fonds des contribuables. Ce sont tous des mensonges,
mais qui nous font du bien. Ils mentent, et on boit chaque parole.
13. Les moyens les plus rapides de perdre tout son argent (et ne rien avoir d'utile)
Faisons y face, ces moments sont difficiles pour ceux d’entre nous
qui ont beaucoup d’argent. Que peut-on faire ? On peut le confier à une
institution financière. Cela tend à mal tourner. Beaucoup de gens aux
États-Unis ont confié leur épargne-retraite à des institutions
financières. Et maintenant, on dit qu’ils ne peuvent retirer leur
argent. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est ouvrir une lettre une fois
par mois, voir leur épargne diminuer.
On peut aussi investir dans une partie de l’économie mondiale. Je
connais certaines usines automobiles que vous pouvez acheter. Elles sont
tout à fait abordables pour le moment. Un grand nombre de retraités
travailleurs de l’automobile ont mis toutes leurs économies de retraite
en actions de General Motors. Peut-être savent-ils quelque chose que
nous ne savons pas ? (En fait, cela fait partie d’une fraude perpétrée
par l’administration Obama, pour rembourser leurs amis banquiers avant
les autres créanciers de GM.)
Eh bien, pourquoi pas un joli lingot l’or ou deux ? Un sac de
diamants ? Certaines voitures de collection ? Ensuite, vous pourriez
commencer votre propre musée des transports. Pourquoi pas un yacht de
luxe classique superbement restauré ? Ensuite, vous pouvez utiliser les
lingots d’or comme lest si vous décidez d’en finir en sautant
par-dessus bord.
Voici une autre idée géniale : acheter des produits écologiques.
Quelle que soit le produit vert que le marketing et les annonceurs vous
jettent à la figure, achetez-le, jetez-le, et achetez-en un autre tout
de suite. Répétez jusqu’à ce qu’ils soient à court de produits, vous
êtes à court d’argent, et les décharges sont pleines de déchets verts.
Cela devrait stimuler l’économie. Les études de marché montrent qu’un
grand stock d’éco-culpabilité refoulée peut être exploité par les
commerçants et annonceurs. Les produits industriels qui contribuent à
l’environnement sont un peu un oxymore. C’est un peu comme essayer
d'écoper le Titanic avec une petite cuillère.
Un autre grand débouché du moment sont les marchandises de survie. Il
y a quelques sites qui proposent toutes sortes de fournitures à mettre
dans votre bunker. C’est de la manipulation un peu habile, en fait. Les
utilisateurs se connectent, voient que la bourse est en baisse, le
pétrole en hausse, des fusils de chasse en vente, ainsi que des couteaux
de chasse, et si vous ajoutez à votre panier le livre «Survivre à la
débâcle financière», vous bénéficiez de la livraison gratuite. Oh, et
n’oubliez pas d’y ajouter un gros paquet de haricots secs. La peur est
un grand facteur de motivation, et amener les gens à acheter des biens
de survie est presque un réflexe conditionné du marché, un rêve de
publicitaire.
Si vous voulez aider à sauver l’environnement et vous préparer à une
vie sans accès à des biens de consommation, alors cela ne semble pas une
bonne idée d’acheter des biens de consommation. Mieux vaudrait ne RIEN
ACHETER. Mais vous ne pouvez le faire avec de l’argent. Par contre, il y
a mieux à faire avec l’argent pour le moment, si on se dépêche.
14. Comment perdre tout son argent (mais avoir quelque chose d'utile)
La plupart de la richesse est dans très peu de mains privées à
présent. Les gouvernements et la grande majorité de la population ont
seulement des dettes. Il est important de convaincre les gens qui
contrôlent toute cette richesse qu’ils ont vraiment le choix entre deux
options. Ils peuvent faire confiance à leur conseillers financiers,
gérer leurs portefeuilles, et finalement tout perdre. Ou ils peuvent
utiliser leur richesse pour se réengager avec des gens et de la terre
dans des voies nouvelles, dans ce cas, ils ont une chance de sauver
quelque chose pour eux-mêmes et leurs enfants. Ils peuvent construire et
lancer des canots de sauvetage, recruter l’équipage, et les faire
naviguer.
Ceux qui possèdent un lot d’actifs industriels peuvent céder ces
actifs avant qu’ils ne perdent de la valeur et investir dans le foncier,
dans le but de les préserver, de les améliorer au fil du temps et de
les utiliser de manière durable. Comme il sera difficile d’obtenir ce
que vous désirez tout simplement avec de l’argent, c’est une bonne idée
de prévoir de mettre en place des alternatives, de mettre des
ressources, telles que les terres agricoles, à la disposition de ceux
qui peuvent les mettre à profit, pour leur propre bénéfice ainsi que le
vôtre. Cela a également un sens de mettre en place des stocks de denrées
non périssables, des matériaux qui gardent leur utilité au travers du
temps. Mon exemple préféré sont les clous en bronze. Ils durent plus de
cent ans dans l’eau salée, et ils sont donc parfaits pour la
construction de bateaux. La fabrication de clous en bronze est en fait
un bon usage des combustibles fossiles restants - meilleur que la
plupart des autres usages. Ils sont compacts et faciles à stocker.
Enfin, il semble logique de travailler à orchestrer une démolition
contrôlée de l’économie mondiale. Cela demande de nouvelles compétences
financières : celles d’un conseiller en désinvestissement. La première
étape est une sorte de triage; on peut marquer certaines parties de
l’économie à «ne pas réanimer» et réaffecter les ressources à une
meilleure tâche. Un bon exemple d’une industrie qu‘il ne vaut pas la
peine de ressusciter est l’industrie automobile, on n’a tout simplement
pas besoin de plus de voitures. Celles qu’on a déjà feront très bien
l’affaire pour autant qu’on en ait besoin. Un bon exemple d’un secteur à
sauvegarder et certainement utile est la santé publique, en particulier
la prévention et la lutte contre les maladies infectieuses. Pour toutes
ces mesures, il est important de désinvestir des lieux géographiquement
éloignés et d’investir localement. C’est peut être inefficace du point
de vue financier, mais très efficace du point de vue de
l’auto-protection personnelle et sociale.
15. Au-delà de la finance : Maîtriser d’autres types de risques
Pour revenir un instant sur les pauvres banquiers et économistes, il
semble assez hypocrite pour nous de traiter l’économie et la finance
comme un cas particulier de personnes qui génèrent beaucoup de risques
absolus. Connaît-on des exemples de risques qu’on a bien compris et
contre lesquels on s’est prémuni à temps ? Y a t-il vraiment des
problèmes systémiques sérieux qu’on a été en mesure de résoudre ? ... Le
mieux qu’on semble pouvoir faire, c’est de gagner du temps. En fait, il
semble que ce soit ce pourquoi on excelle - remettre à plus tard
l’inévitable par un travail assidu et acharné. Aucun de nous ne veut
agir précipitamment sur base de notre compréhension de ce qui se
produira finalement, parce que cela peut ne pas se produire encore
pendant un certain temps. Et pourquoi vouloir faire tanguer le navire en
attendant ? Le seul risque qu’on semble incapable d’atténuer est le
risque de ne pas trouver sa place dans le milieu économique, social et
culturel. Et que nous arrive-t-il, si l’ensemble de notre milieu tangue
finalement à l’extrême ? Eh bien, la façon dont nous le planifions est
de ne pas y penser.
16. Le plus grand de tous les risques
Le plus grand de tous les risques, à mon avis, c’est que l’économie
industrielle agonise pendant quelques années encore, peut-être même une
décennie ou plus, en laissant une dévastation environnementale et
sociale sur son passage. Une fois qu’elle rendra enfin l’âme, elle ne
laissera rien derrière elle pour permettre de repartir sur d’autres
voies. Pour atténuer ce risque, nous devons concevoir des alternatives, à
petite échelle, qui ne perpétuent pas ce système et qui peut
fonctionner sans lui.
L’idée de perpétuer le statu quo par d’autres moyens est
omniprésente, parce que beaucoup de personnes au pouvoir et d’autorités
souhaitent préserver leurs positions. Et à peu près toutes les
propositions que nous voyons visent à éviter l’effondrement au lieu de
se concentrer sur ce qui vient après. Un premier exemple est
l’incitation au développement d’énergies alternatives. Beaucoup de ces
solutions ne sont en fait que des amplificateurs de combustibles
fossiles et non des sources d'énergies autonomes, sans matières
premières : il leur faut absolument une source d’énergie fossile. De
plus, beaucoup d’entre elles nécessitent une base industrielle intacte,
qui fonctionne avec des combustibles fossiles. Une rumeur se répand que
ces alternatives ne sont pas déjà opérationnelles pour d’infâmes
raisons : malversations de la part des compagnies pétrolières cupides et
ainsi de suite. La vérité est que ces solutions de rechange ne sont pas
aussi performantes, physiquement ou économiquement, que les
combustibles fossiles. Voilà le vrai point à méditer : Si on n’a plus
les moyens d’acheter du pétrole ou du gaz naturel, pourquoi penser qu’on
peut envisager des alternatives moins puissantes et plus coûteuses ? Et
voici une question : Si on n'a plus les moyens pour investir dans
l’infrastructure nécessaire à l’extraction du reste de pétrole et de gaz
naturel, pourquoi penser qu’on va trouver l’argent pour développer les
alternatives au moins bon rapport coût-performance ?
17. Combien de temps reste-t-il ?
Ce serait excellent si plus de gens réalisaient cela, et commençaient
à organiser mieux leur vie de façon un peu plus durable. Mais l’inertie
sociale est très grande, et le processus d’adaptation prend du temps.
Et la question est, reste-il assez de temps pour qu’un grand nombre de
personnes puissent le réaliser et s’y adapter, ou devra-t-on endurer
beaucoup d’inconfort ?
Je crois que les gens qui commencent le processus maintenant ont une
assez bonne chance de faire la transition à temps. Mais je ne pense pas
qu’il est bien sage d’attendre et d’essayer de prolonger une vie
confortable quelques années de plus. Non seulement ce serait une perte
de temps sur le plan personnel, mais se serait un gaspillage de
ressources dont on a besoin pour faire la transition.
Je concède que le choix est difficile : ou bien on attend que les
circonstances nous forcent à changer, au point qu’il sera trop tard pour
faire quoi que ce soit, ou on s’y prépare à l’avance. Si on pose la
question, combien de personnes sont susceptibles de faire la
transition ? - Alors, on pose une mauvaise question. La question
pertinente est : Va-t-on s’y adapter tout seul ? Et je pense que la
réponse est, probablement pas, car il y a peu de personnes qui pensent
ainsi.
18. C’est toujours personnel
Je pense qu’il est très important de réaliser l’immense force qu’est
l’inertie sociale. J’ai constaté que de nombreuses personnes sont
presque génétiquement prédisposées à ne pas vouloir comprendre ce que
j’ai dit, et beaucoup d’autres le comprennent à un certain niveau, mais
refusent d’agir en conséquence. Quand elles sont touchées par
l’effondrement, elles le prennent personnellement ou le voient comme une
question de malchance. Elles considèrent ceux qui se préparent à
l’effondrement comme des excentriques; certaines peuvent même les
considérer comme de dangereux subversifs. C’est d’autant plus probable
pour ceux en position de pouvoir et d’autorité, car ils ne vont
justement pas encourager la perspective d’un avenir où ils n’ont pas
leur place.
Il y a un certain nombre de personnalités qui sont les plus
susceptibles de survivre à l’effondrement sans dommages physiques ou
psychologiques, et de s’adapter aux nouvelles circonstances. J’ai été en
mesure de repérer certains traits communs dans les rapports de
recherche des survivants d’un naufrage et d’autres calamités. Une
certaine indifférence ou détachement est certainement utile, y compris
l’indifférence à la souffrance. Peut-être la caractéristique la plus
importante d’un survivant, plus importante que les compétences ou la
préparation ou même la chance, c’est la volonté de survivre. Vient
ensuite l’auto-suffisance : l’aptitude à persévérer en dépit du manque
de soutien des autres. La fin de liste est déraisonnable : la simple
incapacité obstinée de capituler face à des circonstances apparemment
insurmontables, aux opinions contraires de ses camarades, ou même à la
force.
Ceux qui ressentent le besoin de regrouper, accueillir, faire des
compromis et rechercher un consensus, ont besoin de comprendre
l’incroyable force d’inertie sociale. Il s’agit d’une masse
inébranlable, écrasante. «Nous devons prendre en compte les intérêts de
la société dans son ensemble». Traduit, cela signifie que «Nous devons
faire en sorte de rester entravés par le refus ou l'incapacité des gens
de faire des changements drastiques mais nécessaires ; de changer leur
nature.» Le faut-il, vraiment ?
Il y a deux composantes à la nature humaine, la sociale et
l’individuelle. L’individuelle est certainement la plus évoluée, et
l’humanité a progressé grâce aux efforts de brillants génies solitaires
et excentriques. Leurs noms sont toujours connus, précisément parce que
la société n’a pas été capable d’éteindre leur éclat ou de contrecarrer
leur initiative. Nos instincts sociaux sont ataviques et provoquent bien
trop souvent la médiocrité et le conformisme. Nous avons évolué pour
vivre en petits groupes de quelques familles, et nos expériences
récentes qui ont été au-delà semblent se fonder sur les instincts
grégaires qui ne sont peut-être pas spécifiquement humains. Face à
l’inconnu, nous avons tendance à la panique et la débandade, et dans ces
cas, les gens sont régulièrement piétinés et écrasés : un sommet de
l’évolution, en effet ! Ainsi, en construisant un avenir viable, où
mettre l’accent : sur les individus et les petits groupes, ou sur de
plus grandes entités - des régions, des nations, l’humanité dans son
ensemble ? Je crois que la réponse est évidente.
19. «Effondrement» ou «Transition» ?
C’est plutôt difficile pour la plupart des gens de prendre des
mesures importantes, même individuellement. C’est encore plus difficile à
faire pour un couple. Je connais beaucoup de cas où une personne
comprend la situation et est prête à apporter des changements majeurs
dans l’organisation de vie, mais le partenaire ou le conjoint n’est pas
réceptif. Si elles ont des enfants, alors cela multiplie les
contraintes, parce que les adaptations qui seraient nécessaires
post-effondrement paraissent une régression des conditions de vie avec
une mentalité pré-effondrement. Par exemple, dans de nombreux endroits
aux États-Unis, éduquer un enfant dans un lieu sans électricité,
chauffage, eau courante peut être assimilé à de la maltraitance envers
les enfants, et les autorités débarquent et soustraient les enfants. Si
il y a des grands-parents concernés, alors les malentendus se
multiplient. On peut mettre quelques espoirs dans des communautés
volontaires : des groupes qui décident de faire le pas en milieu rural.
Quand il s’agit de groupes plus importants : les villes, par exemple,
toute discussion sérieuse sur l’effondrement est hors de portée. Les
sujets de discussion porteront sur la manière de perpétuer le système
actuel par d’autres moyens : énergies renouvelables, agriculture
biologique, inaugurer ou soutenir des entreprises locales, le vélo au
lieu de voitures, etc. Ce ne sont certainement pas de mauvaises choses à
discuter, ou à faire, mais qu’en est-il de la simplification sociale
radicale qui sera nécessaire ? Et y a-t-il une raison de penser qu’il
est possible d’atteindre cet objectif de simplification radicale par une
série de mesures contrôlées ? N’est-ce pas un peu comme demander à une
équipe de démolition de démolir un bâtiment brique par brique au lieu de
la manière habituelle. A savoir, le dynamiter, le faire exploser, le
raser et débarrasser les débris ?
20. Mieux vivre par la bureaucratie
Beaucoup de personnes croient encore en la bonté du système et les
pouvoirs magiques de la politique. Ils croient qu’un plan réellement bon
peut être acceptable pour tous - c’est à dire l’ensemble de la pyramide
de l’organisation internationale complexe et non viable. Ils croient
qu’ils peuvent prendre tous ces bureaucrates internationaux par la main,
les amener au bord de l’abîme qui marque la fin de leur carrière
bureaucratique, et leur demander poliment de sauter dans le vide. Mais
ne vous méprenez pas, je ne cherche pas à les arrêter. Laissez-les
élaborer leurs projets brillants, quels qu’ils soient.
21. Approches plus simples : l’investissement
Il y a des approches beaucoup plus simples qui sont susceptibles
d’être plus efficaces. Comme la plupart des richesses sont entre des
mains privées, c’est en fait aux individus de prendre des décisions très
importantes. Contrairement à la bureaucratie et aux diverses
organisations civiles qui manquent de fonds et sont engluées dans
l’inertie sociale, les gens peuvent agir de manière décisive et de façon
unilatérale. Le problème : que faire avec des actifs financiers avant
qu’ils ne perdent de la valeur ? La réponse : investir dans des choses
qui gardent de la valeur, même après que tous les actifs financiers
soient sans valeur : les terres, les écosystèmes et les relations
personnelles. La terre n’a pas besoin d’être en état naturel ou vierge.
Après une vingtaine d’années, toute parcelle de terre revient à une
nature sauvage et, contrairement à un désert urbain ou industriel, une
région sauvage peut maintenir en vie l’homme et d’autres espèces. Elle
peut nourrir une population de plantes et d’animaux, sauvages et
domestiques, et même quelques humains.
Les relations humaines qui sont les plus propices à la préservation
des écosystèmes sont celles qui ont elles-mêmes un lien direct et
permanent avec la terre. On peut les enregistrer comme locations
permanentes, héréditaires payables en récoltes durables de produits
naturels. On peut également les enregistrer comme servitudes
contractuelles qui fournissent la communauté en chasse traditionnelle,
cueillette et droits de pêche, à condition que les droits de l’homme ne
soient pas autorisés à prévaloir sur ceux des autres espèces. Je pense
que la métaphore du sauvetage est pertinente ici, parce que la conduite
morale qu’elle offre est claire. Que doit-il arriver dans un canot de
sauvetage surchargé quand un orage éclate et qu’il devient nécessaire
d’alléger la charge ? Chacun tire au sort. Ces pratiques ont été
confirmées par les tribunaux, à condition que nul ne soit exempté - ni
le capitaine, ni l’équipage, ni le propriétaire de la compagnie
maritime. Si une personne est exemptée, la charge devient un meurtre. La
durabilité, qui est nécessaire à la survie du groupe, peut avoir son
prix en vie humaine, mais l’humanité a survécu à beaucoup de ces
événements auparavant, sans sombrer dans la barbarie.
22. Le don comme principe organisateur
Beaucoup de gens ont été tellement endoctrinés par la propagande
commerciale qu’ils ont du mal à imaginer que tout peut être mis en
oeuvre sans recourir à l’argent, les marchés, l’appât du gain, et
d’autres moyens capitalistes. Et il semble utile de présenter quelques
exemples de très grands succès obtenus sans recours à aucun de ces
expédients.
En particulier, les logiciels Open Source, qu’on a dénommé par
dérision «logiciel libre» ou «shareware», sont une grande victoire de
l’économie de don sur le commerce. «Logiciel libre» n’est pas une
étiquette précise, pas plus que «les nombres premiers libres» ou «les
encyclopédies libres». Personne ne paie pour ces choses, mais certaines
personnes sont assez stupides pour payer pour des logiciels. Le «libre»
est généralement meilleur, et si vous ne l’aimez pas, vous pouvez le
corriger. Gratuitement.
La recherche scientifique fonctionne sur des principes similaires.
Personne ne tire directement de bénéfices de la formulation d’une
théorie ou du test d’une hypothèse ou de la publication des résultats.
Cela fonctionne en termes de réciprocité et de prestige - comme avec le
logiciel.
D’autre part, lorsque la motivation pécuniaire prend le dessus, le
résultat est médiocre. Et donc on a un logiciel cher qui est constamment
défectueux. (J’ai appris que la marine britannique envisage d’utiliser
un système d’exploitation de Microsoft dans leurs sous-marins
nucléaires, ce qui est une nouvelle effrayante.) Les océans sont
également pleins de déchets en plastique - le développement de tous ces
«produits» flottant dans les océans n’aurait sûrement pas été possible
sans l’appât du gain. Et ainsi de suite.
En tout, la motivation du profit échoue à motiver un comportement
altruiste, parce qu’il n’est pas réciproque. Et c’est un comportement
altruiste qui augmente le capital social de la société. Dans un système
de dons, nous pouvons tous être endettés envers chacun, mais s’endetter
nous rend tous plus riches, et non plus pauvres.
23. Le troc comme principe organisateur
Les dons sont magnifiques, bien sûr, mais parfois nous voudrions
quelque chose de spécifique, et sommes prêts à travailler avec d’autres
pour l’obtenir, sans recours à l’argent, bien sûr. C’est là le principe
de base du troc. En général, vous troquez quelque chose dont vous avez
le moins d’utilité (l’une des nombreuses choses que vous pouvez offrir)
contre quelque chose dont vous avez plus d’utilité (quelque chose que
vous désirez).
Les économistes vous diront que le troc est inefficace, car il exige
la «coïncidence des besoins» : si A veut troquer X contre Y, il ou elle
doit trouver B qui veut troquer Y contre X. En réalité, la plupart de
ceux que j’ai rencontrés ne veulent pas troquer X contre Y, ou Y contre
X. En fait, ils veulent troquer ce qu’ils peuvent offrir contre tout un
ensemble de choses qu’ils désirent.
Dans le système économique actuel, nous sommes obligés de troquer
notre liberté, sous la forme de la semaine de travail obligatoire,
contre quelque chose que nous ne voulons pas particulièrement, à savoir
l’argent. Les choix sont limités pour ce qu’on peut faire avec cet
argent : payer des impôts, les factures, acheter des biens de
consommation de mauvaise qualité, et peut-être, quelques semaines de
«liberté» en tant que touristes. Mais d’autres options existent.
Une option est de s’organiser en communautés pour produire les biens
utiles à l’ensemble de la communauté : la nourriture, les vêtements, le
logement, la sécurité, le divertissement... Tout le monde apporte sa
contribution, en échange du produit final, que chacun va partager. On
peut également s’organiser pour produire des biens qui peuvent être
utilisés dans les échanges avec d’autres communautés : les biens
d’échange qui sont une bien meilleure façon de conserver la richesse que
l’argent, qui n’est, après tout, qu’une substance essentiellement
inutile.
24. Monnaies locales/alternatives
On discute beaucoup sur les moyens de changer la fonctionnement de
l’argent, de sorte qu’il puisse servir les besoins locaux plutôt que
d’être l’un des principaux outils pour l’extraction des richesses de
l’économie locale. Mais on ne discute pas de la raison pour laquelle
l’argent est généralement nécessaire. C’est un à priori. Certaines
communautés n’ont que peu ou pas d’argent. Elles enterrent peut-être un
pot de pièces quelque part dans le jardin, pour les occasions spéciales,
mais n’ont pas d’argent pour l’usage quotidien.
Le manque d’argent rend certaines choses très difficiles. Par exemple
: les jeux d’argent, les prêts usuraires, l’extorsion, la corruption et
la fraude. Il rend également plus difficile d’amasser des richesses, ou
de l’extraire d’une communauté et les transférer ailleurs commodément
sous forme compacte. Lorsqu’on utilise l’argent, on cède le pouvoir à
ceux qui créent de l’argent (par la création de la dette), et qui
détruisent l’argent (par l’annulation de la dette). On renforce
également le pouvoir de la classe des experts dans la manipulation des
règles arbitraires et le calcul des abstractions plutôt que les
personnes en relation directe avec le monde physique. Ce voile de la
métaphore permet de masquer les niveaux de violence effroyable, par la
représentation symbolique d’une simple inscription comptable. Les gens,
les animaux, les écosystèmes deviennent de simples numéros sur un bout
de papier. D’autre part, cette capacité de représenter les différents
objets par des symboles identiques provoque beaucoup de confusion. Par
exemple, j’ai entendu des gens plutôt intelligents déclarer que les
fonds publics, qui ont été alloués à des institutions financières pour
les faire paraître solvables, pourraient être beaucoup mieux dépensés
pour l’alimentation des veuves et des orphelins. C'est une
incompréhension totale que des quantités astronomiques de chiffres créés
ex nihilo et transférés entre deux ordinateurs (un à la banque
centrale, l’autre à une banque privée) ne puissent pas directement
nourrir tout le monde, parce qu’on ne mange pas des chiffres mais de la
nourriture que les banques sont incapables de créer ex nihilo.
25. Croyance en la science et la technologie
Une accusation que j’ai souvent entendu est que je ne comprends pas
le pouvoir de l’innovation technologique et le système de libre marché.
Si je le faisais, je pourrais apparemment avoir plus de foi en un avenir
où la technologie avancée balayerait nos dilemmes actuels, les
remplaçant par une nouvelle vague d’éco-développement durable. Mon
problème est que je ne suis pas un économiste ou un homme d’affaires :
je suis un ingénieur avec une formation scientifique. Le fait que j’ai
travaillé pour plusieurs start-up technologiques n’arrange rien.
Je sais à peu près le temps qu’il faut pour innover : avoir l’idée,
convaincre les gens qu’il vaut la peine d’essayer, essayer, échouer à
plusieurs reprises, éventuellement réussir, et arriver ensuite à la
phase d’utilisation réelle. Il faut des décennies. On ne les a pas. On a
déjà échoué à innover le moyen de s’en sortir.
De plus, à bien des égards, l’innovation technologique nous a fait un
grand tort. Un bon exemple est l’innovation dans l’agriculture. La
soi-disant «révolution verte» a permis d’augmenter les rendements des
cultures en utilisant la pétrochimie, créant des générations
d’agro-toxicomanes ne dépendants que d’une ou deux cultures. En Amérique
du Nord, des échantillons de cheveux ont permis de déterminer que 69%
de tout le carbone provient d’une seule plante : le maïs. Alors, quelle
innovation technologique va-t-on imaginer pour que cette population
dépendante du maïs puisse diversifier ses sources d’alimentation et
apprendre à se nourrir sans utiliser la pétrochimie ?
Croire que la technologie va nous sauver est illusoire. Les efforts
visant à créer des machines intelligentes ont échoué parce que les
ordinateurs sont beaucoup trop difficiles à programmer, mais les humains
se révèlent faciles à programmer pour les ordinateurs. Partout où je
vais, je vois des gens faire appel à leurs unités d’aide mentale.
Beaucoup d’entre eux ne peuvent plus fonctionner sans elles : ils ne
savent où aller, à qui parler, ou même où trouver des repas sans un
petit boîtier électronique qui leur dise quoi faire.
Tout ça sont de grands progrès pour le maïs et pour le iPhone, mais
est-ce pour autant un progrès pour l’humanité ? J’en doute. Avons-nous
vraiment envie de ne manger que du maïs et de ne regarder que des
pixels, ou faut-il accorder plus d’attention à la vie ? Certains croient
en l’émergence du royaume de l’intelligence en réseau - une sorte
d’utopie de l’intelligence artificielle, en réseau - où les machines
deviennent hyperintelligentes et résolvent tous nos problèmes. Et notre
plus grand espoir serait que, en cas de besoin, les machines soient
aimables pour nous et nous montrent la bonté ? Si c’est le cas, quelle
raison auraient-elles de nous respecter ? Pourquoi ne voudraient-elles
pas plutôt nous tuer ? Ou nous asservir. Oh, un instant, peut-être le
font-elles déjà !
26. La nécessité d’évoluer
Maintenant, en supposant que tout aille bien, et que nous subissions
un effondrement rapide et décisif, ce qui surviendrait est la
renaissance tout aussi rapide des communautés et écosystèmes locaux
viables. On pourrait redouter que l’effort manque de personnel qualifié
pour y parvenir.
Il est regrettable que les derniers siècles de vie réglée, et plus
particulièrement du siècle dernier où la vie facile sur la base du
modèle industriel, ont rendus beaucoup de gens trop mous pour endurer
les difficultés et les privations que l’auto-suffisance implique
souvent. Il semble très probable que ces groupes qui sont actuellement
marginalisés s’en sortiraient mieux, surtout s’ils se trouvent dans des
zones économiquement sous-développées et n’ont jamais perdu le contact
avec la nature.
Et je ne serais pas surpris de voir ces groupes marginalisés faire un
come-back. Presque tous les endroits en zone rurale ont une population
capable d’utiliser les ressources locales. Ils sont la composante
humaine des écosystèmes locaux, et, en tant que tels, ils méritent
beaucoup plus de respect que ce qu’on leur accorde. On ne devrait pas
les importuner s’ils ont des manières ou un langage rustre. Ceux qui les
considèrent comme primitifs, ignorants et sans instruction seront
choqués de découvrir à quel point ils peuvent apprendre d’eux.
27. Au-delà de la planification
Alors, que devons-nous faire entre-temps, en attendant
l’effondrement, suivi par de bonnes choses ? Il ne sert à rien de perdre
votre énergie, courir de tous côtés et vieillir prématurément, alors
prenez beaucoup de repos, et essayez de vivre une vie lente et mesurée.
Une des façons dont la société industrielle nous domine est
l’utilisation de la sirène d’usine : peu d’entre nous travaillons dans
des usines, mais nous sommes encore appelés à travailler à heure fixe.
Si vous pouvez éviter cela, vous aurez de l’avance. Conservez votre
liberté de décider ce qu’il faut faire à chaque instant, de sorte que
vous pouvez faire chaque chose au moment le plus opportun. Plus
précisément, essayez de vous donner le plus d’options possibles, de
sorte que si une seule chose ne semble pas fonctionner, vous pouvez
passer à une autre. L’avenir est imprévisible, donc essayez de planifier
de manière à être capable de changer vos plans à tout moment. Apprenez à
ignorer toutes les personnes qui gagnent leur vie en vous racontant des
mensonges. Remercions-les, le monde est plein de très mauvaises idées
qui sont acceptées comme la sagesse conventionnelle, alors restez
attentifs et tirez vos propres conclusions. Enfin, ceux qui n’ont pas le
sens de l’humour vivront des temps très difficiles, et risquent de
peser sur leur entourage. De plus, ils ne sont tout simplement pas si
amusants. Donc, évitez les gens qui ne sont pas drôles, et recherchez
ceux qui peuvent plaisanter quoi qu’il arrive.
Un billet en tous points remarquable auquel je souscrirais volontiers.Je vais relire ce billet à tête reposée et faire des recherches appropriées car ces pensées sont frappées au coin du bon sens. C'est le " Festina lente" cher aux romains , le "hâte-toi lentement".
RépondreSupprimerMerci à vous Paul d'avoir relayé un article très intéressant.
Content que tu ai repris du poil de la bête, sache que ton site est consulter chaque jour par des milliers, même pendant ta petite pause ^^.
RépondreSupprimerNe nous laisse pas orphelin
Et si le pétrole était abiotique ? Et si la finance était nationalisée ? Et si l'on interdisait les multinationales en restructurant les frontières ? Et si on revisitait la médecine ? Et ET SI , ET SI ...... écoutons ce que dit L'U'P'R Mr françois Asselineau S' unir tous sur l'essentiel , car dans les guerres il n'y a que des perdants .............
RépondreSupprimer