16 avril 2013

Les Européens, trop différents pour s’entendre

Beaucoup ont essayé d’unifier l’Europe. Tous s’y sont cassé les dents : Attila, Charlemagne, Napoléon, Hitler. La dernière tentative en date est celle de l’Union européenne. Laquelle ne s’est pas faite flamberge au vent, l’Europe étant devenue, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un continent pacifiste, mais par des moyens inoffensifs tels que la bonne volonté, des institutions communes, des lois et des règlements. L’euro est la dernière, et sans doute la plus audacieuse, de ces initiatives en faveur d’une Europe unifiée.

L’origine du projet européen moderne est politique, même si l’accent a été mis depuis le début sur l’économie. La communauté du charbon et de l’acier visait à sortir les industries nécessaires à la guerre du cadre de l’Etat-nation afin de prévenir de nouveaux conflits. Les économies nationales devaient se retrouver dans un grand marché unique dépourvu de frontières et converger peu à peu les unes vers les autres.

Le projet ne se fondait pas simplement sur la suprématie de l’économie mais aussi sur l’idée que la rationalité économique devait permettre l’émergence d’une communauté de vues dans d’autres domaines dans le but de créer un ensemble qui ressemblerait à des Etats-Unis d’Europe.

La région la plus complexe du monde

L’économie a sans aucun doute joué un rôle décisif lorsqu’il s’est agi de mettre l’Europe à l’abri de la guerre et, en ce sens, la coopération européenne a été un formidable succès après 1945. Mais la coopération économique ne suffit plus pour ce que nous devons construire aujourd’hui ; la crise de l’euro nous apprend que cette coopération a ses limites, lesquelles sont en réalité d’ordre historique et culturel. Car l’Europe est sans doute la région du monde la plus complexe qui soit.

Dans un espace de taille modeste, plus de 300 millions de personnes doivent tenter de former une union alors qu’il n’est pas besoin d’aller bien loin pour ne plus comprendre ce que dit l’autre, pour trouver des gens qui mangent et boivent des choses que nous ne connaissons pas, qui chantent d’autres chansons, qui célèbrent d’autres héros, qui entretiennent un autre rapport au temps mais aussi, d’autres rêves et d’autres démons.

Or ces différences sous-jacentes ne sont jamais, ou rarement, évoquées. Elles sont masquées par un discours dans lequel tous les Européens apparaissent naturellement soudés face au reste du monde, alors qu’un Suédois aura sans doute plus de points communs avec un Canadien ou un Néo-Zélandais qu’avec un Ukrainien ou un Grec. Il est probable que ce soit principalement à cause de nos différences culturelles – et non politiques ou économiques – que l’histoire de l’Europe est émaillée d’hostilités et de violences, à commencer par les deux guerres les plus effroyables que l’humanité ait connues, et qui n’étaient au fond que des guerres civiles européennes.

Pourtant on a l’impression que tout cela est oublié ou refoulé. Voire inconnu. Si bien que le discours européen que l’on nous sert quotidiennement – le drapeau, Beethoven, l’Eurovision… – a peu de chose à voir avec notre réalité européenne ; il relèverait plutôt de la pure propagande pour un projet qui ne veut pas entendre parler de différences culturelles ou mentales, lesquelles sont pourtant nettement plus profondes que nos différences matérielles ou financières.

L’Europe à laquelle nous ne voulons pas croire

En réalité, il a fallu attendre la crise européenne pour ouvrir les yeux sur le fossé qui sépare le discours de la réalité. A notre stupéfaction, la crise nous a fait découvrir des gens qui n’avaient jamais payé d’impôts, qui estimaient que les autres devaient payer leurs dettes à leur place et qui accusaient de despotisme ceux qui leur tendaient la main. Nous ignorions l’existence de tels Européens et nous ne voulons pas y croire. C’est pourtant la réalité, et cela fait longtemps que cela dure.

Qui, en dehors des spécialistes, savait voilà un an ce qu’était le clientélisme ? J’ai une amie croate qui est ministre depuis le début de l’année. Ce n’est pas un ministère de premier plan, mais tout de même. Je lui demande combien de fonctionnaires permanents figurent sur la liste de salariés du ministère. Cinq cents. Cinq cents ? Cela paraît beaucoup pour un pays comme la Croatie. De combien de collaborateurs aurait-elle besoin pour élaborer la politique qu’elle entend mener ?

La réponse résonne comme un coup de tonnerre : trente. “Et tu envisages de congédier les 470 autres ?” La ministre regarde d’un air à la fois empathique et moqueur le nigaud du Nord des Alpes que je suis (sans être blond pour autant). Non. Car elle n’a pas l’intention de jouer avec sa vie. D’autant qu’elle a un fils qui va à l’école à pied tous les jours. Et un accident est si vite arrivé. Même lorsque mon amie aura quitté ses fonctions, près de 500 fonctionnaires continueront chaque jour de se rendre dans des bureaux qui n’existent pas pour faire un travail qui ne les attend pas. Seuls les salaires qu’ils touchent existent dans le monde réel.

Voilà à quoi ressemble notre Europe. Et notez bien que le Nord n’est pas moins étrange que le Sud, que l’Est ne l’est pas moins que l’Ouest, et vice-versa. Tout est question de point de vue. L’Europe n’est ni plus ni moins qu’un rayon de miel extrêmement fragile, composé de particularismes culturels, historiques et mentaux. Aucun Européen ne ressemble vraiment à un autre. Et pourtant, nous préférons voir cette Europe non pas comme un rayon mais comme un pot de miel, prêt à consommer.

Par Richard Swartz, journaliste et écrivain suédois né en 1945. Installé à Vienne depuis 1976.
Traduction : Jean-Baptiste Bor
Source : PressEurop d’après Dagens Nyheter


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6 commentaires:

  1. Je suis tout à fait d'accord avec ces propos.

    Mais en fait, QUI réellement a voulu construire l'Europe ? Je me le demande, car je ne veux pas croire que nos politiciens et économistes soient plus bêtes et moins prévoyants que la majorité des citoyens qui ont dit non à Maastricht.

    Sous un prétexte de "bloc européen", ne seraient-ce pas les banquiers américains qui auraient eu cette "idée de génie", afin de créer un "bloc euro-américain" ?
    On voit où cela nous a amenés.

    Est-il possible de défaire ce qui a été fait ?

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  2. Tout à fait juste Elba puisqu'ils sont en train de signer des accords Euro-atlantiques maintenant qui vont nous placer directement sous la coupe Nord américaine ( passage de relais en quelque sorte) et le processus a certainement été prévu dès le départ ; d'autant qu'on nous parle effectivement des"E.U d'Europe"!
    Sans doute ne pouvons nous plus du tout déjà en tant qu'U.E décider de l'orientation politique et de l'économie au niveau mondial sans en référer aux States?
    C'est si vrai que se sont les financiers américains ou leurs politiques qui viennent donner leur avis ou nous reprendre si nous sortons de leur champ de manoeuvres!!...

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  3. L'Europe s'est construite autour d'intérêts communs. Lors du traité de Rome en 1957, elle a pris le nom de CEE (Communauté ECONOMIQUE Européenne), marché commun donc, allons faire nos emplettes !

    Il est possible que le voeu de paix ait été un moteur, en tout cas apparent, de cette construction. Mais les visées des principaux intéressés : industries, banques étaient celles de leurs intérêts. Elles le sont toujours.

    L'argent, en tant qu'énergie accumulée ou vecteur d'exclusion, ne peut conduire à l'union.

    Ta question Elba :
    L'idée d'une Europe remonte loin dans l'histoire. Nos pays se sont souvent déchirés au cours des guerres, des philosophes, des idéologues en firent mention.
    Victor Hugo, lors du congrès de la paix a parlé des futurs Etats-unis d'Europe.
    Il y eu 14-18 et 39-45, l'Europe était sur les rotules,c'était le moment de concrétiser une idée dite généreuse et pacifiste. Mais les usuriers guettaient..

    La suite de l'épisode : "qui l'emportera des usuriers ou des couillons ?"
    Tapez 1 pour usuriers
    Tapez 2 pour couillons
    Attention se jeu comporte un risque :
    Si vous tapez 1 les usuriers éliminerons les 3/4 des couillons.
    Si vous tapez 2 les couillons risquent de devenirs couillus et adieu les usuriers.

    Bonne chance !
    Edouard

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  4. Un article intéressant sur l'origine de l'idée d'Europe

    http://mapage.noos.fr/huns/religion.html

    Sinon, Cette brillante idée n'est pas pour le bien être des peuples mais pour celui d'une "élite" illuminée de psychopathes. Quand ils parlent d'union Européenne, il faut lire division de la population ou fractionnement comme on peut le voir dans la pratique dans les pays (conseils régionaux), Lands Allemands, Belgique, Suisse, Comtés Anglais, USA.

    Quelqu'un a lu le fléau de Stephen King ? Je l'ai donné mais j'aurai du le garder. Le fléau (beaucoup de Protestants Huguenots d'ailleurs, pas que des Juifs) est allé créer les USA et les démolir et maintenant il revient chez lui en Europe faire la même chose.

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    1. Tout à fait d'accord avec SWARTZ
      L'Europe est une chimère mais cette chimère existe meme à l'intérieur des Etats artificiels comme l'Italie ou la Belgique !!! Qu'y a-t-il de commun entre un Lombard et un Sicilien ; entre un Wallon et un Flamand ; entre un Alsacien et un Marseillais? Peut etre faudrait-il voir du coté de l'Europe des cent drapeaux des autonomistes?

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