"Ne croyez rien de ce que j'affirme, que vous ne l'ayiez vérifié par vous-même."

Brûle tes dogmes !

L'homme est enseigné directement. L'Évangile de Thomas compare le gnostique à un enfant au sein.

Il y a autant de différence entre un gnostique et un bipède ordinaire qu'entre un bébé au sein et un chiard moderne, élevé au lait reconstitué à partir de sous-produits du pétrole. Avec probablement les mêmes inconvénients.

Une partie importante de ma génération a commencé sur les bancs de l'église locale, à ingurgiter un dogme en conserve à mille lieues de ce qui aurait pu ouvrir son coeur.

Une part de cette part n'avait pas d'autre quête que la satisfaction immédiate. Une part importante du reste a déplacé son attention de ce cimetière grisâtre vers les religions orientales mises en images psychédéliques par les Beatles, et autres.

Ils n'ont, tout bien pesé, fait que changer de marque de lait reconstitué. D'un dogme l'autre.

Les mêmes qui haïssaient les curés cathos sont devenus lamas. Du noir à l'orange. Sacré parcours.

Parcours sacré ?

Les dogmes fleurissent.J'en vois partout. Dogme vert, dogme anti-raciste, dogme anti-chrétien, et les autres, les dogmes anti étant légion et formant à eux seuls une famille importante de dogmes.

Leurs adeptes, qui rejettent tout attachement avec hauteur, et se prétendent libres - comptez le nombre de chanteurs angliches qui hurlent ou susurrent : FREEEE, I'M FREEEEEEEEEEE, c'est impressionnant - sont généralement les pires dogmatiques qui soient.

Le mimétisme, le psittacisme trouvent leur apogée avec les media contemporains, qui assènent sans cesse les slogans du jour dans des crânes préparés dès le berceau à ne croire en rien, et à croire en tout. Rien de paradoxal. Ces cervelles molles connaissent la voix de leur maître, et la suivront jusqu'en enfer comme les enfants de Hamelin le joueur de flûte.

Les dogmes alimentaires sont à eux seuls une forêt touffue. Bien malin qui y trouvera le chemin de la santé.

Bien malin, ou simplement simple.

Il suffit d'écouter - d'entendre - ce que dit notre médecin privé. Qui ne lit pas, lui, les revues médicales ni le ouèbe. Il mangera du pain, boira du vin, du fromage et de la viande, si ça nous est nécessaire. Nous fera jeûner s'il le faut. Nous fera acheter au marché les légumes qui nous conviennent aujourd'hui, et d'autres demain.

Une immense partie de l'humanité, qui se croit et se prétend libre, base sa vie sur des injonctions de toutes sortes. Si mes parents avaient à 50 ans trois ou quatre traitements chimiques, les gens d'aujourd'hui - une partie, tout au moins, qui "fait attention à sa santé mais se méfie des labos" - les a remplacés par autant de compléments alimentaires.

Car tel est le dogme en cours.

Pourtant, le Bouddha, bien plus exotique que le Christ pour ma génération, n'a eu cesse de répéter : Ne croyez rien de ce que j'affirme, que vous ne l'ayiez vérifié par vous-même.

Les mêmes qui ont ce principe vivant et vital à la bouche sont souvent ceux qui se goinfrent de pilules hors de prix que leur fourgue d'office le dogme du jour. FREEEEE, I'M FREEEEE...

Je parlais il y a peu du temple d'Esculape, dieu de la médecine, qui, au cours de l'incubation - nuit passée dans son temple, couché sur une peau de mouton - envoyait un rêve thérapeutique.

J'ai eu ce genre de rêve il y a peu. Atteint depuis quelque d'une mycose / candidose à l'aine, provoquant des démangeaisons, des saignements, maladie inesthétique, irritante et handicapante (allez marcher avec la jonction cuisses/couilles en lambeaux), j'allai d'abord voir ma toubib, qui m'ordonna une pommade grasse,laquelle demeura sans effet, sauf pour les comptes de la CQ. Plus tard, un dermatologue pontifiant me dit d'un ton doucereux que ce n'était rien, juste une irritation due au frottement du slip, et que je ferais bien de perdre des kilos. S'il eût été mangeable, il serait pour l'heure dans mon congélateur, l'idiot.

Une nuit que j'étais vraiment malheureux, parce qu'au même moment, j'avais une rage de dents, les lombaires en confiture et cette putain de mycose qui me pourrissait l'existence, je rêvai soudain de ces mots : TEINTURE D'IODE. Je me réveillai soudain avec ces mots en boucle.

Croyez le ou non, je n'ai pas la plus minime connaissance en pharmacie, ni en médecine. Pourquoi ? Je ne suis jamais malade. Une grippe en en dix ans. Rien d'autre, sinon ce dos, ces dents, et cette saloperie de mycose.

Donc, pour moi, teinture d'iode, ça ne signifiait rien. Je demandai à Mme VJ si elle connaissait, elle dit qu'elle en avait au fond d'un placard.

Ni une ni deux, je m'enduisis les parties blessées de ce profond liquide orange. Intérieur des cuisses et scrotum. Comme j'adore avoir chaud, j'accueillis d'abord avec ravissement la sensation cuisante qui suivit, jusqu'au moment où je commençai à m'en inquiéter.

Ouiqui me révéla que sur certaines parties du corps humain, il vaut mieux demander un avis médical avant application. De toutes façons, les couilles vont pas me tomber, me rassuré-je.

Une heure après l'onction, l'orange avait disparu. Bu par la peau. Aimant bien faire les choses à fond, je réitérai le truc, à fond. Pas au coton tige, au coton, à la serpillière. Rechauffe extrême. Et puis encore le lendemain.

Résultat : la peau des couilles est partie en lambeaux, grillée comme au napalm, la peau des cuisses itou. Mais pour donner place à une peau toute neuve, guérie de chez guérie. Ça va faire un mois que je n'ai plus la moindre gêne.

La leçon que je tire de cette expérience, c'est d'abord que le médecin du rêve connaît mieux son boulot que les deux que j'ai consultés.

Ensuite, que ce qui est vrai du médecin intérieur doit logiquement s'appliquer au diététicien intérieur. Que, sauf addiction, mon corps sait bien mieux que les marchands de potions, fussent-ils (les marchands) ou elles (les potions) bio, naturels, ayurvédiques ou quoi que ce soit d'appétissant, ce qu'il lui faut. Mangez ce que vous voulez. Ne croyez pas ce que vous racontent les sirènes.

Et, en étendant encore le cercle : écoutez le maître intérieur. Brûlez vos livres, comme le disaient les alchimistes. Qui, préalablement, insistaient sur la nécessité de lire, relire, prier et travailler, pour trouver la pierre cachée.

Paradoxal ?

Non. Relisons l'adage alchimique : LEGE (lis, au premier niveau : avale tout ce que tu trouves)) LEGE (second niveau : trie, choisis, sélectionne), RELEGE (relie, établis des connexions), ORA (traditionnellement traduit par prie, il s'agit d'une extériorisation venue de l'âme, après ces trois phases d'intériorisation qui l'auront travaillée en profondeur), LABORA (travaille, ou plutôt mets en oeuvre, en pratique les réponses qui seront venues), ET INVENIES OCCULTA LAPIDEM (et tu trouveras la pierre cachée, que je ne commenterai pas ici, d'abord par incompétence).

A quel moment brûler ses livres ? Entre RELEGE et ORA.

C'est le moment d'abandonner les dogmes, qu'ils soient philosophiques, politiques, sociétaux, reilgieux, tous les dogmes.

Orare, c'est parler. Par os, la bouche. Les sots parlent sans discontinuer. Mais parler, c'est aussi écouter. Et d'abord, s'écouter soi-même. Quand j'ouvre la bouche, ce qui en sort m'enseigne. Si c'est une question, elle précise et décrit mon besoin, mon attente. Elle appelle une réponse. Esculape soigne les malades. Qui se reconnaissent souffrants et appellent à l'aide. Pas ceux qui sont ou se croient en bonne santé. Le Christ guérissait les aveugles. Pas les pharisiens qui se croyaient parfaits, et qu'il appelait, Lui, fils du diable, qui ne sont pas entrés, et empêchent les autres d'entrer.

Si vous savez déjà tout, vous n'aurez rien. Si vous savez comment soigner vos plaies, si vous attendez de la médecine extérieure qu'elle vous remette sur pied, vous ne guérirez jamais.

Si vous savez déjà tout sur tout, si votre seau est plein, rien n'y entrera.

Mais si vous brûlez vos livres, dans l'intimité de votre coeur, une voix se mettra à parler, qui vous enseignera. Une voix familière, oubliée.

Socrate l'appelait : Daïmon.

Plus besoin de dogmes. Plus besoin de chanter pour les autres : I'M FREEEEEEE. Parce que la liberté commence à cet instant précis. Pas avant. En aucun cas.

Juste à ce moment où le regard de l'autre ne compte plus, son jugement devient indifférent, le jugement du monde tombe dans les oubliettes, cet instant unique où, livres et vaisseaux brûlés, cette voix si proche et si familière se met à parler, et à tout expliquer, tranquillement, sans hâte.

Vieux Jade