17 juin 2012

Les grecs ont déjà arrêté d’utiliser l’euro pour le TEM.


 « Si le printemps n’arrive pas, invente-le »

Chaque produit ou service offert en troc est compilé dans un fichier central qui lui attribue sa valeur dans la monnaie TEM (un TEM, un euro). L’idée s’est étendue à d’autres villes comme Pieria, Chania, Lesbos, Lerapetra, Rodopi et Heraklion.

Dans la patrie natale du peintre Giorgio De Chirico, l’euro est presque une métaphore depuis longtemps. À presque quatre cents kilomètres d’Athènes, l’euro a cédé peu à peu sa place pour le TEM, une monnaie alternative d’usage courant dans cette ville où se trouve l’un des plus grands ports commerciaux du pays. Yannis Grigoriou occupe une modeste table sur le marché central de Volos. Ce sociologue grec, créateur du TEM est un banquier peu commun : une petite table et un ordinateur où il enregistre les transactions effectuées via le TEM constituent son matériel de travail. « Nous nous sommes rendus compte de que nous n’avons pas autant besoin de l’euro que nous le pensions », dit Yannis Grigoriou. L’idée a surgi l’année dernière et bientôt elle a attiré pas mal de monde ce qui a fini par former un réseau de presque mille personnes. Le TEM fonctionne comme une monnaie d’échange. C’est l’instrument immatériel d’un troc où un euro équivaut à un TEM. Chaque produit ou service offert en troc est répertorié dans un fichier central qui lui attribue sa valeur en TEM. Les membres du réseau s’inscrivent via Internet et ont un compte coté en TEM grâce auquel ils vendent et achètent à travers ce système de troc. En fait, la monnaie n’existe pas. C’est à peine un papier où s’inscrit la valeur pour permettre le troc. « Si le printemps n’arrive pas, invente-le », dit-il le poème de l’écrivain grec Odysseas Elytis (Prix Nobel de Littérature 1979). Une partie de la Grèce a opté pour la réinvention de la réalité.

Des cours de cuisine en échange de classes de l’anglais, des services variés pour des plantes, bijoux, appareils, alimentation, livres, cours de yoga ou de pièces détachées, tout ce qui peut se changer en TEM selon la valeur de l’offre et de son équivalent compensatoire. A un moment où le pays coule dans un abîme visible de pauvreté, de chômage, de cessation de paiements et de fermeture massive de commerces, le TEM est parvenu à représenter plus qu’une monnaie d’échange, un « système d’espoir », comme Yiannis Grigoriou le définit. Les crises génèrent la solitude, et le TEM propose des contacts. L’idée de Yannis s’avère aussi utile qu’ originale parce qu’elle a favorisé une alternative de relations tangibles. « Les gens qui participent au réseau ne font pas seulement un troc mais, surtout, ils entrent dans une relation d’aller et de retour c’est-à-dire donner et recevoir. Le TEM a fonctionné comme un capitalisateur de l’espoir. » Bien qu’il l’appuie, Panos Skotiniotis, le maire de Volos, regarde l’initiative avec une certaine méfiance. « Cela ne va pas remplacer l’euro. Le TEM est une façon de continuer, de démontrer que la vie continue et, à sa manière, d’essayer de sortir de la profonde crise économique et sociale », dit le maire.

Le tribut que la Grèce a payé pour sa maintenir dans la zone Euro (formée par 17 pays des 27 de l’Union Européenne) est si haut que, pour plusieurs habitants de Volos, la monnaie unique européenne est tout à coup un peu ce « qui appartient au passé. Il a avalé le pays. Nous devons laisser l’euro derrière nous et inventer une autre façon d’exister », assure Jritos, un acheteur en TEM. Le système créé à Volos s’est étendu à d’autres villes, avec un plus au moins de réussite. Pieria, Chania, Lesbos, Lerapetra, Rodopi et Heraklion se sont ajoutés à la liste de cette initiative citoyenne en des temps défavorables. En fait, le TEM reprend une idée qui était déjà en cours dès 2009 dans la ville de Patras, au nord de la péninsule du Péloponnèse. Il s’agit de l’Ovolos, un réseau de troc dont le nom reprend la dénomination d’une ancienne monnaie grecque qui fonctionnait à partir d’un échange de services. Athènes et sa région ont aussi essayé mettre en pratique une sorte de SEL (système d’échange local) appelé ATI. La plate-forme d’échange communautaire autorise l’usage de l’euro, mais aussi son équivalent en ATI (le même que le TEM).

Jritos dit que « TEM n’est pas une alternative à l’euro mais à la vie elle-même ». Pour ce quinquagénaire bien soigné, ingénieur sans salaire depuis cinq mois, le TEM « est venu nous démontrer que tous valons plus que l’argent que nous avons à la banque, que tous avons quelque chose de valeur à donner ». À la différence de la monnaie émise par les banques, cette unité de troc met les gens dans une relation beaucoup plus étroite. La crise a activé en Grèce un paquet d’initiatives citoyennes. Les grecs qui s’activent derrière ces initiatives citent souvent l’Argentine de 2001 comme exemple de production de monnaies locales et d’autres idées nouvelles qui rompent avec le schéma libéral. En mars dernier, un groupe d’activistes de la ville du nord, Katerini, ont a ce qui est connu aujourd’hui comme la « révolution de la pomme de terre ». Une idée simple mais efficace : vendre des pommes de terre et d’autres produits agricoles sans passer par les intermédiaires, c’est-à-dire les supermarchés, et ainsi baisser le prix pour le consommateur, au moment où l’agriculteur augmente son propre gain. Les commandes sont faites par téléphone ou par Internet. Ensuite, acheteurs et vendeurs conviennent d’un rendez-vous, en général dans un parking, et la transaction est effectuée sans aucun intermédiaire. Le manque de moyens a poussé le développement de ce type de commerce direct où Internet est, presque toujours, le point d’articulation. Le portail Gine Agrotis facilite la rencontre entre producteurs et consommateurs sans passer par les intermédiaires classiques qui augmentent le prix final du produit.

Mais ces initiatives communautaires ne cachent pas la jungle qu’a favorisée la crise. Dans Plaka et Monastiraki, les deux quartiers d’Athènes qui suscitent la passion universelle des touristes, il y a plusieurs vies en une. Le jour, entre musique et distractions pour attirer les touristes, des bibelots et sandwiches ressort une sorte d’allégresse, qui contraste avec la réalité du pays. Mais c’est un spectacle pour touristes. À peine tombe la nuit, l’Athènes réelle émerge avec son chagrin. Quelques rues plus haut, apparaissent les silhouettes de ceux qui n’ont pas même où dormir et s’installent sur des cartons là où il y a un coin libre. Vie indigeste. « Une marche d’ombre au bord de la Chimère », dit un autre poème d’Odysseas Elytis. Un spectacle de la chute sans médiations. La Grèce s’obstine à suivre la route tracée par un graffiti peint dans les rues du centre : « Regarde plus vite que la désintégration ». Mais la jungle avance sur la ville. Les rues avec des gens au bord du chemin sont la réalité d’une ville qui compte plus de 20 000 personnes sans domicile fixe. Les murs toujours couverts de graffitis et de protestations sont le récit continu de l’âme meurtrie par le coup de poignard d’une classe dirigeante qui a dépensé ce qu’elle n’avait pas, et d’un système international qui cherche de se rembourser la dette que lui même a provoquée.

Página 12. Depuis Volos et Athènes, le 15 juin 2012.
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
El Correo Paris, le 15 juin 2012.

2 commentaires:

  1. "...nous [démontrer que tous] valons plus que l’argent que nous avons à la banque, que tous avons quelque chose de valeur à donner..."

    Si seulement tout le monde pouvait penser cela !

    Bravo à tous ces gens qui relèvent la tête malgré les difficultés. Cela ne règle pas le problème, cependant. Nous sommes tous habitués aux échanges internationaux. Alors, comment faire pour que ces échanges puissent continuer ? Cela ne peut pas se produire avec une monnaie locale.
    Nous faudra t'il abandonner ce système et tenter de vivre en autarcie ? Peut-être bien. Mais cela va changer notre vie, c'est certain. Et il va nous falloir nous adapter au changement.

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  2. Si j'ai bien compris le TEM est une devise virtuelle qui sert de référence comme unité de valeur à l'échange . Alors là chapeau, c'est exactement ce que cherchent à faire les N.O.Mistes. Supprimer l'argent sous forme de liquidité . Ainsi tout tient au coeur des réseaux informatiques avec leur fiabilité et inviolabilité légendaire . Ben voyons .
    "Yannis Grigoriou occupe une modeste table sur le marché central de Volos. Ce sociologue grec, créateur du TEM est un banquier peu commun : une petite table et un ordinateur où il enregistre les transactions effectuées via le TEM constituent son matériel de travail. " Et lorsqu'on lui aura piqué son PC à ce brave homme ou piraté ou simplement s'il bug ?
    Le système d'échange monétaire n'est tout simplement pas remplaçable dans un système socio-économique comme celui que la planète connait en ce moment. Au mieux la seule solution envisageable en cas de crack général est une isolation monétaire au cours de laquelle un pays décide unilatéralement de ne plus tenir compte de la valeur boursière de sa monnaie .Cela permettrait de maintenir encore quelques temps les échanges au niveau local voir national sans tomber dans la panique d'un effondrement des valeurs et une inflation galopante . cette mesure n'étant valable que pour les stocks en cours et les productions locales dans un système autarcique c'est évident , vu que toutes les importations seraient soumises à l'inflation mondiale .Dans ce cas tout notre système serait gelé à l'instant T zéro pour redémarrer progressivement en tenant compte des possibilités d'évolution . Cela obligerait à rapidement remettre en route de unités de production de proximité, ce qui créerait de plus des emplois . Mais tant que nos politicards ne s'occupent que de leur nombrils et continuent à jouer les larbins des banquiers et autres crevures , je crains qu'une telle mesure ne soit jamais à l'ordre du jour . A moins que nous décidions de prendre notre destin en main à grands coups de guillotine .

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