Il est 4 h 30 du matin, le jour commence à se lever. Des centaines de
Versaillais et de Parisiens s'agglutinent depuis la veille au soir
devant la prison Saint-Pierre de Versailles, pour ne rien rater du
spectacle : la mise à mort du ténébreux Eugène Weidmann.
La foule, en
majorité composée de femmes, se bouscule autour de la guillotine pour
apercevoir une dernière fois le beau mâle. À 2 h 50, elle a pu déguster
l'installation de la guillotine, mais c'est la tête de Weidmann qu'elle
veut voir sauter comme un bouchon de champagne ! Même les journalistes,
pourtant pourchassés par la police depuis des heures, ont réussi à se
trouver des places de choix dans les arbres ou dans les immeubles avec
vue plongeante sur la "Veuve".
Il y a du retard. Weidmann
devait être exécuté voilà déjà plus de trois quarts d'heure ! Enfin, la
lourde porte de la prison s'ouvre, le jeune condamné allemand de 31 ans
apparaît, il a vraiment une belle tête, c'est presque dommage qu'il
faille la lui couper. Le simili Clark Gable
porte une chemise bien échancrée, d'un blanc immaculé qui ne va pas le
rester. Il est soutenu par deux assistants de l'exécuteur en chef,
Jules-Henri Desfourneaux. La foule retient son souffle, les aides
installent le condamné sur la plate-forme de la guillotine sous l'oeil
de "Monsieur de Paris", ainsi qu'on surnomme le bourreau, puis le
poussent légèrement pour mettre la tête en position. Et en moins de
temps qu'il ne faut pour se couper un ongle, l'exécuteur lâche la lame
de 7 kilos. Un son lourd et sec retentit. La tête tombe. Le sang gicle.
Le corps étêté roule dans la grande corbeille en osier destinée à
l'accueillir.
Tremper dans le sang
Il est 4 h
32. Emballé, c'est pesé. Tout s'est déroulé en un éclair. Les assistants
rangent le matos sous les gémissements de femmes. Certaines, paraît-il,
trempent leur mouchoir dans le sang du supplicié au pied de l'échafaud
pour conserver un sympathique souvenir mortuaire. Mais
ressaisissez-vous, mesdames, ça n'est que Weidmann, pas Louis XVI
! Pendant ce temps, d'autres badauds sablent le champagne, le service
d'ordre, lui, est complètement débordé. Une vraie fête à neuneus, cette
exécution. Que tout le monde en profite, c'est la dernière ! Quand le
président du Conseil Édouard Daladier va voir les photos de tout ce
chambard demain dans la presse, il fera interdire les exécutions
capitales en public, et fissa.
Délinquant médiocre dans sa jeunesse, enchaînant quelques peines de prison au Canada et en Allemagne, Weidmann arrive en France
en avril 1937. Avec un ancien codétenu, Roger Million, il s'invente un
nouveau commerce : enlever des individus nantis et les séquestrer dans
une maison louée à La Celle-Saint-Cloud, en banlieue parisienne, la
villa Voulzie, le temps que leurs proches livrent les rançons. Weidmann
est grand, bel homme, cite Goethe à tout bout de champ, et surtout, c'est un charmeur hors pair. Un clin d'oeil lui suffit à exciter les dames.
Charme et strangulation
C'est
ainsi qu'il attire sa première victime à la Voulzie, une danseuse
américaine, Jean de Koven, venue à Paris en touriste. Elle tombe sous le
charme instantanément, il est si doux, chaleureux, courtois, attentif,
et surtout si prévenant. Prévenant, c'est le moins qu'on puisse dire,
car le 21 juillet 1937, au lieu de garder la danseuse prisonnière comme
prévu, il ne peut pas se retenir de lui serrer le cou entre ses deux
mains et de la tuer. Le contenu de son sac à main était bien trop
tentant. Dès lors et durant les deux mois suivants, Weidmann se met à
tuer comme il respire. Après la danseuse, il rectifie cinq autres
personnes choisies presque au hasard. Un chauffeur de taxi, une
gouvernante, un impresario, un petit escroc et un agent immobilier. Les
sommes qu'il leur dérobe sont tellement dérisoires qu'on a peine à
croire que sa motivation principale est l'argent. Serait-il poussé par
un instinct meurtrier ?
En décembre, Weidmann finit par être
arrêté, suspecté de deux meurtres. Sans trop insister, pourtant, les
policiers lui en font avouer six en tout ! Après un procès
particulièrement sensationnel et médiatisé, Weidmann est jugé coupable
de ces effroyables crimes et condamné à la peine capitale le 31 mars
1939, tout comme Million, qui l'a bien aidé. Tueur ou pas tueur, le
dandy allemand continue de fasciner les femmes. Jour après jour depuis
son arrestation, elles sont de plus en plus nombreuses à lui déclarer
leur flamme. À la prison, chaque matin, c'est le même cinéma, des
montagnes de lettres d'amour arrivent, dans lesquelles les demandes en
mariage sont récurrentes. On lui fait aussi livrer des fleurs pour
décorer sa cellule et même des chats pour lui tenir compagnie ! On croit
rêver. Elles sont folles, il le dit lui-même, aussi folles que l'une de
ses avocates, Renée Jardin, qui succombe à son tour à son charme.
Hystérie
Pas
étonnant qu'on frise l'hystérie ce 17 juin 1939 à l'aube, devant la
prison de Versailles, au moment où sa tête tombe. La veille, tout était
pourtant parfaitement calme à la prison. Eugène Weidmann venait
d'apprendre que son pourvoi en grâce avait été rejeté par le président
Albert Lebrun, alors qu'il l'avait accordé à ce salaud de Million. Le
bourreau de ces dames reste néanmoins serein, caresse ses chats et relit
L'Imitation de Jésus-Christ. Il est prêt à mourir. À 3 h 50, il
s'étonne même qu'on ne soit pas déjà venu le chercher, il devrait déjà
être mort. C'est que Henri Desfourneaux, l'exécuteur en chef, s'est
disputé avec le procureur de Versailles au sujet de l'heure de la mise à
mort, ils ne sont pas d'accord entre l'heure légale et l'heure solaire.
Moralité, tout a pris du retard.
Les photographes s'en
réjouissent : grâce à ce désaccord, le soleil est déjà assez haut dans
le ciel quand Weidmann entre en scène. Ils peuvent shooter et même
filmer ! Jamais auparavant on n'avait eu une série de photos aussi
claire, aussi nette, ni aussi terrible d'une exécution. Jamais on
n'avait eu un si beau film ! Édouard Daladier, alors président du
Conseil, est furieux ! La France frémit d'horreur en voyant ces images
étalées dans la presse. Elles font même le tour du monde en ternissant
l'image du pays à seulement quelques mois de la guerre.
Quelques
jours plus tard, le 24 juin, Daladier promulgue illico un décret-loi
pour que les exécutions se passent à l'abri des regards, dans les cours
intérieures des prisons. Voilà comment un privilège vieux de 150 ans de
faire la fête autour d'une guillotine est aboli. La récréation est
terminée, fini les exécutions-spectacles. Tout ça à cause d'un idiot
d'Allemand. Quelle idée aussi de venir flinguer sur le territoire
français en 1937 ! S'il avait attendu juste un peu, son sport favori ne
lui aurait pas valu la guillotine.
"faire la fête autour d'une guillotine..." Il faut vraiment être dérangé pour ça.
RépondreSupprimerMerci, Paul. J'ai appris aujourd'hui que c'est Daladier qui avait mis fin aux exécutions publiques (ainsi que l'année où a été promulguée cette loi.)
Ah, Paulot, c'était le "bon temps", pas vrai ! spectacle sanglant gratuit le 17 Juin 1939 pour les foules (on fait encore ça en Arabie Saoudite, on décapite je crois au sabre) et les "fans" pouvaient tremper leur mouchoir dans le "sang du condamné". Un peu de satanisme dans l'excitation du sang versé, d'un coupable il est vrai.
RépondreSupprimerAh oui, que la France était belle et grande ! d'ailleurs 1 an et 1 jour après exactement, le 18 Juin 1940 donc, c'était l'appel du Général de Gaulle pour redonner un peu d'espoir à une France décapitée, vaincue, humiliée, en déroute, sans gouvernement, écrasée par les nazis.
D'ailleurs, les Nazis sont toujours là, regardez aux E-U et dans l'Union Européenne, et dans la RFA Merkelienne...jamais le peuple n'a été autant bafoué et méprisé par des oligarques qui veulent nous réduire à l'esclavage et à l'extermination par le guerre, comme on le constata le 18 Juin 1940.
L'ami Pierrot
Oui bon, cette fascination morbide pour les executions n'est pas nouvelle.
RépondreSupprimerAu moyen-âge c'étaient la roue, le gibet,la décapitation, etc qui attiraient les foules. ET ça devait être autrement plus sanglant.
Et dans d'autres pays, les executions sont carrément faite dans des stades devant des milliers de spectateurs.
A l'époque de la guerre Iran/Irak je me souviens avoir vu à la télé le film d'un pauvre Irakien qui était écartelé vivant entre 2 voitures dans une foule frénétique.
Tout ça pour dire que la délectation devant la mort n'est pas l'apanage des Français! (si c'était le but de l'article)
vous auriez fait mieux peut etre a cette epoque??...
RépondreSupprimergrande question sans reponse.
la critique est universelle par le fait qu'elle nous permet d'evacuer certaines peur, et ce en reprochant aux autres ce qu'on pense ne pas etre 'bien'... meme si on le fait nous meme...
"celui la a fait ca, c'est mal! moi non, je suis donc mieux que lui. je suis rassure..."
facile a dire, pas facile a appliquer me direz vous. et vous avez raison. on est tous concerne!
???
SupprimerVous ne me connaissez pas, vous pouvez donc garder votre commentaire provocateur au vestiaire. Et si l'envie de recommencer vous titille, ayez au moins la décence de signer votre com autrement que par un vulgaire "anonyme".
Votre explication de la critique est ridicule!
La preuve: je critique votre commentaire et je n'ai pas peur de vous! hi hi.