Paul Jorion est devenu célèbre avec la crise des subprimes de 2007 qu’il avait été un des seuls à voir venir : il travaillait aux USA dans le milieu bancaire après avoir été trader en France.
Depuis, il ne cesse de mener la controverse sur son blog et par ses livres. Le 12 janvier, il sera l’invité à Lyon de la Villa Gillet, avec l’essayiste Nicolas Baverez et l’historienne Sophie Wahnich, sur le thème de la révolte. En avant-première l’entretien qu’il nous accordé
Extrait :
>> Quelles seraient les mesures à prendre, selon vous ?
La plus importante serait, au lieu de prendre des mesures qui impactent négativement les salaires, d’augmenter le pouvoir d’achat pour reconstruire une demande sur le marché…
>> En clair, surtout pas la rigueur ?
La rigueur est la pire des choses. Elle ne se justifie que par rapport au pacte financier européen, mis en forme sous le nom de « règle d’or », et qui est fondé sur une erreur de logique économique élémentaire.
>> Pourtant, la plupart des experts, à commencer par Nicolas Baverez avec qui vous débattrez à la Villa Gillet, estiment que nous avons vécu trop longtemps au-dessus de nos moyens, qu’il faut maintenant payer la facture…
C’est complètement faux. Ce qui s’est passé depuis les années 70, c’est une prédation accélérée des investisseurs financiers et des dirigeants sur les entreprises. Les salaires ont de fait stagné, alors qu’on vivait une période d’explosion de la productivité, grâce en particulier à l’introduction des ordinateurs. Il faudrait donc plutôt dire : les dirigeants des grosses entreprises et les actionnaires ont vécu au-dessus des moyens des salariés.
>> Même diagnostic sur l’Etat-providence, que ces experts veulent démanteler ?
Mais si la France, et l’Europe en général, n’ont pas encaissé le coup de la crise des subprimes aussi durement que les Etats-Unis, c’est justement grâce au bouclier que représente la protection sociale. C’est le dernier mécanisme de défense contre l’effondrement du système capitaliste, la dernière chose qu’il faudrait attaquer... Mais la crise est utilisée comme prétexte pour démanteler la protection sociale, non parce qu’elle coûterait trop cher, mais parce qu’on continue d’appliquer ce programme ultralibéral qui a pourtant été complètement contredit par les faits depuis 2008.
>> Dans le discours de Toulon que vous évoquiez, Nicolas Sarkozy annonçait vouloir réformer le capitalisme, le moraliser. Mais vous, vous écrivez que « Le capitalisme est à l’agonie » (Editions Fayard, 2011)…
Oui, le capitalisme est à l’agonie parce qu’on n’a rien fait.
>> Il était donc sauvable ?
Oui, le capitalisme était sauvable. Et la responsabilité de la disparition du capitalisme sera entièrement à la charge des politiques et des responsables de banque centrale qui pouvaient sauver le capitalisme en 2009, mais ne l’ont pas fait.
>> Et pourquoi ?... Pourquoi Nicolas Sarkozy, dont vous semblez saluer la lucidité en septembre 2008, n’aurait ensuite pas agi ?
Il y a la tentation très humaine de vouloir croire que les choses pourraient s’arranger d’elles-mêmes, ce qui diminue la pression pour imposer de vraies mesures. Et puis il y a eu un rapport de force perdu entre Monsieur Sarkozy ses partenaires, par exemple une rencontre avec Monsieur Obama, qui a fermé la porte à toutes les mesures qu’il proposait.
>> Vous écrivez, dans « La guerre civile numérique » (Editions Textuel, 2011)), que nous sommes dans une « situation prérévolutionnaire ». N’est-ce pas exagéré ?
Non, le parallèle peut être fait avec 1788 : tout le monde a bien analysé la situation, mais la classe dirigeante reste « assise sur ses mains », comme on dit en anglais, elle espère que les choses vont s’arranger d’elles-mêmes. C’est criminel.
>> Vous pensez donc que les gens vont se révolter ?
Oui… Les mouvements d’indignés sont des protestations qui restent assez domestiquées. Dans certains pays, les gens réagissent en fonction de leur degré de souffrance : ils manifestent un peu quand ils souffrent un peu, et davantage s’ils souffrent plus... Mais en France, on n’a pas cette tradition. On encaisse jusqu’à un certain seuil, et puis ça explose.
>> Et vous pensez que nous y sommes ?
Oui, on arrive à un seuil. Cela se manifeste de manière indirecte, dans le nombre de gens qui se disent prêts à voter pour le Front national. Je discutais l’autre jour avec un chauffeur de taxi : il m’a fait une analyse de la situation qu’on dirait d’extrême gauche, et à la fin il m’a expliqué qu’il allait voter pour Marine Le Pen… Cela n’avait pas de sens au niveau politique, mais c’était sa manière à lui d’exprimer son indignation.
>> La campagne présidentielle peut-elle permettre de mieux débattre et d’avancer vers des solutions ?
Les candidats « éligibles », Messieurs Sarkozy et Hollande, resteront dans le cadre défini par la Banque centrale européenne et le FMI, c’est-à-dire l’absence de mesures véritable, comme depuis 2010. Les gens manifesteront leur désaccord par des votes de protestation, par les votes blancs et nuls, et par l’abstention. Les gens vont voter contre des candidats, pas pour des programmes.
> Jeudi 12 janvier, 20h30, Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon : « Quand le peuple agit : révoltes, révolutions, réformes », débat entre Paul Jorion (www.pauljorion.com/blog), Nicolas Baverez et Sophie Wahnich. Renseignements : 04.72.07.49.49 et www.croix-rousse.com.
Recueilli par Francis Brochet
Source
Vu sur Au bout de la route
Depuis, il ne cesse de mener la controverse sur son blog et par ses livres. Le 12 janvier, il sera l’invité à Lyon de la Villa Gillet, avec l’essayiste Nicolas Baverez et l’historienne Sophie Wahnich, sur le thème de la révolte. En avant-première l’entretien qu’il nous accordé
Extrait :
>> Quelles seraient les mesures à prendre, selon vous ?
La plus importante serait, au lieu de prendre des mesures qui impactent négativement les salaires, d’augmenter le pouvoir d’achat pour reconstruire une demande sur le marché…
>> En clair, surtout pas la rigueur ?
La rigueur est la pire des choses. Elle ne se justifie que par rapport au pacte financier européen, mis en forme sous le nom de « règle d’or », et qui est fondé sur une erreur de logique économique élémentaire.
>> Pourtant, la plupart des experts, à commencer par Nicolas Baverez avec qui vous débattrez à la Villa Gillet, estiment que nous avons vécu trop longtemps au-dessus de nos moyens, qu’il faut maintenant payer la facture…
C’est complètement faux. Ce qui s’est passé depuis les années 70, c’est une prédation accélérée des investisseurs financiers et des dirigeants sur les entreprises. Les salaires ont de fait stagné, alors qu’on vivait une période d’explosion de la productivité, grâce en particulier à l’introduction des ordinateurs. Il faudrait donc plutôt dire : les dirigeants des grosses entreprises et les actionnaires ont vécu au-dessus des moyens des salariés.
>> Même diagnostic sur l’Etat-providence, que ces experts veulent démanteler ?
Mais si la France, et l’Europe en général, n’ont pas encaissé le coup de la crise des subprimes aussi durement que les Etats-Unis, c’est justement grâce au bouclier que représente la protection sociale. C’est le dernier mécanisme de défense contre l’effondrement du système capitaliste, la dernière chose qu’il faudrait attaquer... Mais la crise est utilisée comme prétexte pour démanteler la protection sociale, non parce qu’elle coûterait trop cher, mais parce qu’on continue d’appliquer ce programme ultralibéral qui a pourtant été complètement contredit par les faits depuis 2008.
>> Dans le discours de Toulon que vous évoquiez, Nicolas Sarkozy annonçait vouloir réformer le capitalisme, le moraliser. Mais vous, vous écrivez que « Le capitalisme est à l’agonie » (Editions Fayard, 2011)…
Oui, le capitalisme est à l’agonie parce qu’on n’a rien fait.
>> Il était donc sauvable ?
Oui, le capitalisme était sauvable. Et la responsabilité de la disparition du capitalisme sera entièrement à la charge des politiques et des responsables de banque centrale qui pouvaient sauver le capitalisme en 2009, mais ne l’ont pas fait.
>> Et pourquoi ?... Pourquoi Nicolas Sarkozy, dont vous semblez saluer la lucidité en septembre 2008, n’aurait ensuite pas agi ?
Il y a la tentation très humaine de vouloir croire que les choses pourraient s’arranger d’elles-mêmes, ce qui diminue la pression pour imposer de vraies mesures. Et puis il y a eu un rapport de force perdu entre Monsieur Sarkozy ses partenaires, par exemple une rencontre avec Monsieur Obama, qui a fermé la porte à toutes les mesures qu’il proposait.
>> Vous écrivez, dans « La guerre civile numérique » (Editions Textuel, 2011)), que nous sommes dans une « situation prérévolutionnaire ». N’est-ce pas exagéré ?
Non, le parallèle peut être fait avec 1788 : tout le monde a bien analysé la situation, mais la classe dirigeante reste « assise sur ses mains », comme on dit en anglais, elle espère que les choses vont s’arranger d’elles-mêmes. C’est criminel.
>> Vous pensez donc que les gens vont se révolter ?
Oui… Les mouvements d’indignés sont des protestations qui restent assez domestiquées. Dans certains pays, les gens réagissent en fonction de leur degré de souffrance : ils manifestent un peu quand ils souffrent un peu, et davantage s’ils souffrent plus... Mais en France, on n’a pas cette tradition. On encaisse jusqu’à un certain seuil, et puis ça explose.
>> Et vous pensez que nous y sommes ?
Oui, on arrive à un seuil. Cela se manifeste de manière indirecte, dans le nombre de gens qui se disent prêts à voter pour le Front national. Je discutais l’autre jour avec un chauffeur de taxi : il m’a fait une analyse de la situation qu’on dirait d’extrême gauche, et à la fin il m’a expliqué qu’il allait voter pour Marine Le Pen… Cela n’avait pas de sens au niveau politique, mais c’était sa manière à lui d’exprimer son indignation.
>> La campagne présidentielle peut-elle permettre de mieux débattre et d’avancer vers des solutions ?
Les candidats « éligibles », Messieurs Sarkozy et Hollande, resteront dans le cadre défini par la Banque centrale européenne et le FMI, c’est-à-dire l’absence de mesures véritable, comme depuis 2010. Les gens manifesteront leur désaccord par des votes de protestation, par les votes blancs et nuls, et par l’abstention. Les gens vont voter contre des candidats, pas pour des programmes.
> Jeudi 12 janvier, 20h30, Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon : « Quand le peuple agit : révoltes, révolutions, réformes », débat entre Paul Jorion (www.pauljorion.com/blog), Nicolas Baverez et Sophie Wahnich. Renseignements : 04.72.07.49.49 et www.croix-rousse.com.
Recueilli par Francis Brochet
Source
Vu sur Au bout de la route
Jorion a peut-être fait de bonne prédictions, mais où d'après-moi il se met le doigt dans l’œil, si ce n'est pas le pied au complet, et ce à l'instar de toute personne vivant ou ayant vécu à un moment donné de l'argent facile et magique des transactions financières de notre beau système consumériste...
RépondreSupprimerC'est de croire que celui-ci aurait pu être sauvé ou viable!
Allo? Vivons-nous sur la même planète ou la moitié de la population de la Terre vit avec plus ou moins 2% de la richesse TOTALE de celle-ci?
Aussi, a t-il sorti un peu de son bureau feutré pour constater combien notre terre-mère, n'en peut plus de supporter encore de cette consommation effrénée idiote et pathétique pour l'environnement?
Pour ma part, la croissance illimitée et sans conséquence pour les plus démunis, les générations futures et la Terre elle-même, ça relève de ce que j'appelle La pensée magique!
Vivement une nouvelle économie basée sur les Ressources, plutôt que sur l'argent!
Bravo Dann.
RépondreSupprimerVoilà la force du cœur qui manque à tous ces gens, et qui seule peut reconstruire notre monde.
Certains passages sont pertinents, comme celui-ci :
RépondreSupprimer"[certains experts] estiment que nous avons vécu trop longtemps au-dessus de nos moyens, qu’il faut maintenant payer la facture…
C’est complètement faux. Ce qui s’est passé depuis les années 70, c’est une prédation accélérée des investisseurs financiers et des dirigeants sur les entreprises. Les salaires ont de fait stagné, alors qu’on vivait une période d’explosion de la productivité, grâce en particulier à l’introduction des ordinateurs. Il faudrait donc plutôt dire : les dirigeants des grosses entreprises et les actionnaires ont vécu au-dessus des moyens des salariés."
En résumé, le capitalisme financier, axé non plus sur le profit pérenne et partagé (associant dans la réussite de l'entreprise, ses salariés) est devenu uniquement focalisé sur la profitabilité financière à court terme et les fameux "ratios" , taux de rendement des capitaux investis, EBITDA, effet de levier des emprunts etc.
La culture des chiffres est, par essence, abstraite et déshumanisée, et signe la prise de pouvoir généralisée des Elites psychopathes. Leur credo n'est pas la foi en l'homme (et encore moins en Dieu) mais la religion des chiffres, et des "espèces monétaires" sous forme de digits d'ordinateurs et de numéros de compte (en Suisse...).
Le sommet suprême de la pyramide revient par nature, aux plus grands professionnels des chiffres, les banquiers internationaux.
L'ami Pierrot