04 janvier 2012

Migrations climatiques

Le réchauffement, cause croissante de migrations
Les migrations liées à une cause environnementale ne sont plus un phénomène à venir, mais déjà une réalité : elles sont devenues plus importantes que les migrations liées aux conflits, indique Shahidul Haque, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), dans le premier "Etat de la migration environnementale 2010" (State of Environmental Migration 2010) que vient de publier cette organisation avec l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

Si, en 2008, on comptait 4,6 millions de personnes déplacées dans leur pays du fait d'un conflit violent, il y en avait 20 millions qui avaient dû quitter leur lieu de résidence à la suite d'une catastrophe naturelle. Les "migrants environnementaux" ont été 15 millions en 2009, 38 millions en 2010. "L'année 2011 devrait voir un chiffre de même ampleur, explique François Gemenne, chercheur à l'IDDRI et coordonnateur de l'ouvrage. Le tsunami et l'accident de Fukushima, les inondations en Thaïlande, en Chine et aux Philippines ont provoqué des déplacements massifs."

Le rapport rassemble une série d'études de cas qui montrent la diversité des situations et la complexité du phénomène. Réalisées par des étudiants de Sciences Po-Paris sous la supervision de spécialistes, elles analysent précisément la gestion des crises qui se sont produites en 2010 au Pakistan (inondations), en Russie (feux de forêts), en Haïti ou au Chili (séismes), en France (tempête Xinthia).

Mais l'un des principaux apports de la recherche est de montrer que des événements soudains et brutaux ne sont pas seuls à provoquer ce type de migrations. Une dégradation lente de l'environnement peut aussi conduire à des déplacements involontaires. Par exemple, la fonte des glaciers himalayens au Népal se traduit à la longue par des inondations dues au déversement des excédents des lacs glaciaires.

Des sécheresses durables peuvent aussi induire des migrations sur la longue durée, comme au Darfour (Soudan) ou dans le Nordeste brésilien. Le cas de l'Amazonie brésilienne est un autre exemple : la déforestation entraîne une occupation des terres puis, rapidement, les sols ainsi mis à nu s'épuisant, les populations finissent par migrer.

D'autres caractères des migrations environnementales apparaissent nettement. D'une part, la très grande majorité des cas analysés sont des migrations internes aux pays, sans franchissement de frontières. Les pays sont seuls face au problème qu'ils endurent, alors que, lorsque celui-ci découle du changement climatique, ils n'en sont souvent pas responsables.

D'autre part, les migrants environnementaux subissent leur situation et aspirent fortement à revenir chez eux - à la différence des migrations économiques, où l'on espère trouver ailleurs un meilleur sort que chez soi.

Un troisième élément original de l'étude est de montrer, à travers le cas français de la tempête Xinthia, que les pays du Sud ne sont pas seuls à être confrontés au phénomène de la migration environnementale. Plusieurs milliers de personnes durent aller vivre ailleurs, soit du fait de la tempête elle-même, soit en raison de la décision prise par la suite d'évacuer les habitations situées en zone vulnérable. La tempête "a montré des failles significatives dans le système français de contrôle des inondations et de protection des populations sur les zones côtières", observe sobrement le rapport.

De fait, le cas français - comme les autres - souligne l'importance des politiques publiques adoptées : un leitmotiv du rapport est d'indiquer que les conséquences des catastrophes naturelles sont tout aussi liées à la préparation et à la gestion des pouvoirs publics qu'à l'ampleur même de l'événement.

Les migrations environnementales commencent à pénétrer l'agenda international. Il est certain qu'elles vont s'amplifier : la base de données EM-DAT, gérée par le Centre de recherche sur l'épidémiologie des désastres (CRED), à l'Université catholique de Louvain, montre une augmentation constante du nombre de désastres depuis 1970. Par ailleurs, les événements météorologiques extrêmes devraient se multiplier, selon le résumé du rapport spécial publié en novembre par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

Le droit international reste à construire. La convention de Genève sur les réfugiés (1951) n'est pas adaptée à la migration environnementale, notamment parce qu'elle implique rarement un franchissement de frontières.

Le problème consiste à trouver chez les pays responsables du changement climatique les fonds pour aider les pays qui en sont le plus victimes à y faire face. La décision de la conférence des Nations unies sur le climat à Cancun, en décembre 2010, a ouvert la voie : son article 14-F cite les migrations et déplacements liés au changement climatique parmi les mesures qui pourraient être financées par le "Fonds vert". Ce fonds est pour l'instant une coquille vide. Les pays riches ont promis de le doter de 100 milliards de dollars (77,3 milliards d'euros) par an à partir de 2020.

Mais, selon François Gemenne, il faut voir encore plus loin : "Il faut déjà réfléchir à un scénario de fort réchauffement, qui impliquerait une nouvelle distribution des populations à la surface du globe. Certaines zones ne seront plus vivables, et leurs habitants devront migrer. Il vaudrait mieux y penser aujourd'hui, plutôt qu'avoir à décider dans l'urgence."
Hervé Kempf

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