11 avril 2011

La vérité, pour quoi faire ?

Faut-il déranger les gens paisibles avec des questions qui les dépassent tellement qu'ils ne sauront que faire des réponses ?

Ils classeront l'affaire avant de s'intéresser à un autre problème aussi insoluble dont les explications ne pourront de toute façon rien changer à leur vie.
Pourquoi alerter les gens paisibles - et qui veulent le rester - avec des révélations qu'ils découvrent, assis dans leur salon, comme un film d'aventures vite oublié?
À quoi bon révéler les obscurs secrets de notre civilisation, si personne ne bondit en poussant un hurlement cosmique ?
À quoi cela sert-il de révéler les manigances du diable et de ses serviteurs si l'on n'a aucun moyen de faire justice, autrement qu'en votant pour porter au pouvoir le filou patenté le moins abject à nos yeux ?
Qu'est-ce qu'un être, identifié au genre humain peut comprendre de ce qui est au-delà de l'humain ?
D'ailleurs les gens ne croient plus aux démons depuis qu'on les a privés des dieux. Si l'on regarde sous le vernis de spiritualité de nos contemporains, on découvre la désolation du désert de la foi, décoré par les oasis en plastique du Nouvel Age.
Il faut rappeler cette évidence : la vérité n'est pas bonne à dire. Jamais. Mais c'est pour cela qu'on l'aime, et que certains, très rares au demeurant, sont prêts à mourir pour sa quête.
La vérité est toujours de trop, car dès qu'elle s'échappe de sa retraite éternelle, elle occasionne des troubles et des ennuis. Dans n'importe quel domaine, notre société repousse la vérité perturbatrice, et comme nous aimons la sécurité par-dessus tout, nous vivons dans des conventions mensongères. Dès lors, saisis d'un vague désir de justice et de vérité, nous sommes parfois intéressés pour en savoir plus, mais jamais au-delà d'une limite raisonnable. Dès lors, que faut-il dire et que faut-il retenir ? Jusqu'où peut-on aller sans risquer d'effrayer nos contemporains timorés ?

C'est une question morale que je me pose depuis des années. Quoi dire et à qui ?
Il y a des gens qui voudraient sincèrement comprendre les mécanismes ultimes de notre civilisation mais, parmi eux, il y en a beaucoup qui ne peuvent assumer une vérité trop crue.
Les marchands de conspiration de supermarché n'éprouvent pas ce genre d'état d'âme car il leur est facile de déballer des manipulations politico-militaro-scientifiques et les dessous des scandales médiatiques. Il n'est pas difficile de protester contre les manipulations génétiques et Cie, sachant qu'on ne peut rien changer et, qu'au mieux, les protestataires seront canalisés pour signer de naïves pétitions. Pétitionner ou protester, c'est reconnaître la légitimité de l'autorité à laquelle on adresse sa supplique. C'est abdiquer devant l'ordre établi. S'adresser aux autorités, c'est comme supplier le diable d'être un peu plus gentil !
Je le sais d'expérience, les marchands de conspiration de foire, les éternels défonceurs de portes ouvertes, ne veulent pas comprendre les causes ultimes de la décadence et de l'oppression car cela pourrait les entraîner vers une prise de conscience métaphysique. Alors, ils amusent la galerie avec de grotesques reptiliens et des illuminati virtuels, sans fournir à leur clientèle les clés d'une compréhension qui serait néfaste à leur fond de commerce. Car la recherche de la vérité n'a jamais enrichi personne, et l'on doit s'estimer chanceux lorsqu'elle ne vous fait pas tomber dans la misère et la honte sociale.
Celui qui dit la vérité doit être exécuté. C'est une règle fixée depuis toujours. Elle est belle.
En matière de révélation, la vérité ne nourrit pas son prophète, et d'ailleurs nul n'est prophète chez les siens, comme cela est attesté. Le prophète qui serait reconnu dans son milieu social, culturel et familial ne serait qu'un faux prophète n'ayant pas de vrai message à annoncer.
Interrogé sur le but de son grand déballage, un bateleur spécialisé dans le genre conspirationniste répondit : « la conspiration, ça sert à vendre des produits conspirationnistes ». Il faut donc se rendre à l'évidence : le petit million de révélations sulfureuses qui surnagent sur Internet, dans les ouvrages top-secret ou les revues du genre Nexus - pour n'incriminer personne à titre individuel - ne servent qu'à entretenir un fond de commerce, ou de manière plus pernicieuse, à donner l'impression que la vérité s'exprime librement.
Dans ces milieux je n'ai pas rencontré de motivation sérieuse, d'abord pour mener des investigations hors du cadre matériel conventionnel, ni surtout, pour imaginer de nouvelles voies d'action, hormis les bons sentiments idéalistes dont l'enfer moderne est pavé.
Protester ou s'ériger contre les turpitudes apparentes du monde est le signe d'une grande candeur. C'est un constat d'impuissance, une absence totale de lucidité.
Car au final, c'est sur notre conscience que repose la responsabilité du mensonge, non que nous soyons masochistes en nous culpabilisant, mais parce que nous avons été dressés à croire tout ce que nous croyons sur la vie du monde.
Le mensonge est notre seconde nature, celle que nos maîtres faussaires ont façonnée. Nous sommes faussés.
Alors, pour découvrir un peu de vérité, à condition de ne plus nous contenter de notre rôle de consommateurs de révélations, il faut remettre en question notre conditionnement.