28 novembre 2024

Et maintenant, facturons les factures !

Ah, la facturation électronique ! Le projet est connu, il est acté depuis un moment et comme c’est un projet informatique mené par l’État, il subit déjà d’importantes déconvenues. Tout se déroule donc comme prévu, c’est-à-dire mal et même, de plus en plus mal.

Un précédent billet paru en 2023 avait déjà évoqué la question et notait que les retards s’accumulant, la mise en application officielle de ce projet qui avait débuté fin 2022 et qui devait avoir lieu en juillet dernier avait dû être repoussée précipitamment. Pour le moment, le projet doit entrer en force le premier septembre 2026, si tout se passe bien pas trop mal.

Comme d’habitude avec les usines à pets chauds de l’État, l’idée de base est aussi intrusive que simple : imposer à toutes les entreprises, petites et grandes, de saisir l’intégralité de leurs factures (reçues et émises) sur une plateforme informatique officielle, un de ces hippopogiciels administratifs mal foutus qui empilent bugs de comportement et interfaces ridicules pour le plus grand désarroi des assujettis. Le but est toujours le même : fliquer aussi précisément que possible l’ensemble des transactions menées par les entreprises, les fraudes à la facturation constituant une perte notoire de taxation pour l’État.

Pour vendre cette nouvelle intrusion de l’administration dans la sphère privée, l’État assurait (promis, juré, craché) que l’opération serait aussi simple qu’économique et permettrait même des gain évidents de productivité. Cependant, à mesure que l’implémentation concrète de cette abomination informatique ne progressait guère, les pouvoirs publics ont été contraints de revoir leur calendrier de mise en place pour tenir compte des impondérables habituels.

Spécifications mal fichues, cas limites pléthoriques et pas prévus, complexité intraitable des lois dont il faudrait tenir compte dans l’hippopogiciel, gabegies dans les prestataires de services attachés à son développement et incompétence de la hiérarchie administrative en charge du désastre, tous les ingrédients étaient clairement réunis pour une réussite équivalente à Louvois, les cartes grises ou d’autres (ces colonnes font régulièrement mention des ratages épiques de l’informatique d’État, la liste est maintenant trop longue pour revenir dessus).

C’est donc avec une surprise toute relative qu’on apprend à présent que les développements de cette plateforme publique vont « pivoter » vers l’usage de plateformes privées pour obtenir le même résultat. Eh oui, afin de tenir les délais d’entrée en vigueur – et déjà reportés – et en présentant bien sûr la manœuvre comme une « simplification », l’administration a donc décidé sans la moindre concertation d’abandonner l’idée d’une plateforme gratuite « clé en main » pour tout simplement imposer (puisque la dématérialisation est obligatoire) de passer par des plateformes privées.

Bien évidemment, ces plateformes privées supporteront les coûts induits par ces traitements, coûts qui seront… reportés sur les clients, à savoir les entreprises recevant et émettant des factures (globalement, cela veut donc dire toutes les entreprises).

La situation est donc la suivante : l’État impose une facturation électronique sous des prétextes fallacieux en vantant une simplification du procédé, se plante, ne parvient pas à fournir la plateforme gratuite et publique promise, rejette donc la tâche sur des entreprises privées qui se retrouvent en positions de fournisseurs d’un service public obligatoire.

Si l’opération semble être un très bon plan pour les plateformes privées (rien de tel que facturer un service devenu obligatoire, et ce ne sont pas – par exemple – les centres de contrôle technique automobile qui diront le contraire), cela ressemble malgré tout à un nouveau boulet à la patte des entreprises française, voire européenne puisque l’idée générale de facturation électronique provient du niveau européen.

Magie des réglementations délirantes qui caractérisent maintenant l’administration française et la superstructure européenne : la création de ces nouveaux intermédiaires obligatoires entre l’administration (fiscale ici) et les entreprises revient à facturer les facturations. Est-il utile de préciser que ce coût sera de toute façon répercuté sur le client final d’une façon ou d’une autre ? Certains auront beau jeu de prétendre que l’opération de numérisation intégrale permet des gains suffisants pour couvrir ces frais supplémentaires, mais l’expérience passée des interactions administratives obligatoires avec les entreprises n’autorise qu’un optimisme extrêmement modéré.

De plus, l’opération qui se voulait, outre gratuite, destinée à simplifier les traitements déclaratifs auprès des autorités fiscales, va ajouter un nouveau niveau de complexité pour toutes les entreprises françaises (et européennes) au moment où le reste du monde commence à comprendre que la suradministration galopante constitue un énorme boulet improductif.

Autrement dit, pendant que les États-Unis, l’Amérique du Sud font le ménage dans leurs administrations délirantes et que l’Asie décide de conquérir commercialement le monde, la France et l’Europe se mettent en ordre de bataille pour transformer les torrents de paperasseries bureaucratiques encombrantes en déluges de procédures informatiques complexes. Bien joué.

Les énarques, décideurs et politiciens, ne comprenant toujours rien à rien de l’économie réelle, croient sincèrement que passer sous format électronique de lourdes procédures administratives plus ou moins inutiles tenues jusqu’à présent sous format papier constitue un changement radical et une simplification administrative.

Pire : se bananant avec le brio qu’on leur connaît, ils se retrouvent à déléguer cette transformation à des cabinets extrêmement coûteux (et pas meilleurs qu’eux), puis à des entreprises privées dont les coûts viendront s’ajouter aux taxations particulièrement handicapantes des entreprises françaises.

Et à la fin, non seulement, on n’a rien simplifié, mais les coûts de fonctionnement et la bureaucratie imposée aux entreprises ont encore augmenté.

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