08 mai 2024

Sans se retourner

Z.W. m’a envoyé une vidéo d’une jeune Russe qui dit expressément que Poutine marche pour l’ordre mondial, et me demande ce que j'en pense. En ce qui concerne une partie de ce qu’elle raconte, il y a matière à se poser des questions, je m'en suis posée, je m'en pose. Je ne peux avoir qu'un avis personnel, basé sur mon intuition et mon observation de ce qui nous est accessible, de ce que j'ai vu, entendu ou lu. Cependant, elle me semble, par moments, exagérer et même biaiser, ce qui n’est pas bon signe, ce qui jette, à mes yeux, une ombre sur tout le reste de son discours. Ce qui est sûr, c’est que comprendre ce qui se passe vraiment ici n’est pas simple et qu’on ne peut se bercer de l’illusion que Poutine est le sauveur du monde, d’ailleurs, à part Jésus Christ sur un plan spirituel, personne n'est en mesure de jouer ce rôle. « Ne mettez pas votre confiance dans les princes et les fils des hommes, en eux il n’est point de salut ».

Elle remarque qu’il y a un grand contraste entre ce que dit Poutine et ce qu’il fait, et c’est exact, en tous cas à l’intérieur du pays. Retour aux traditions, mais les ministères de la culture successifs ne semblent exister que pour permettre encore plus de destruction du patrimoine et financer des spectacles dégradants à l’occidentale, au détriment de la qualité et de la production nationale. Récemment, j’ai appris par Dany qu’un adolescent qui voulait changer de sexe a été retiré à sa mère qui s’y opposait par les autorités, alors qu’il existe, si j’ai bien compris, une loi interdisant les interventions médicales en ce sens. Comment se fait-il ? De même, on va lutter contre l’immigration, mais on construit à Moscou encore une mosquée géante. Poutine, dit la jeune femme, laisse péricliter les villages russes faute d’infrastructures minimales, mais installe trente villages modernes pour des Africains;  « c’est comme en France », commente la journaliste. Cependant là, je soupçonne qu’il s’agit de villages établis à l’intention des Afrikanders, qui sont massacrés en Afrique du sud, facilement assimilables en Russie, travailleurs et entreprenants. Ce n’est pas la première fois que j’entends parler de cela, et, renseignements pris, il s’agit des Afrikanders, pour qui c’est pratiquement une question de vie ou de mort, et qui ne représentent pas un afflux de population colossal. Il n’en reste pas moins qu’on ne soutient pas vraiment la paysannerie, bien que le retour à la terre ne soit pas empêché non plus, si l’on ne demande rien à personne et qu’on va s’installer au fin fond du nord dans un village perdu, alors qu’en France, ce n’est pas garanti. Un retour aux traditions et à la souveraineté impliquerait la propagande du retour à la terre et des encouragements à ceux qui l’opèrent, ainsi qu’une mise en valeur de la culture paysanne. Il y a une complaisance judiciaire envers les criminels asiates ou caucasiens quand ils agressent des Russes, cela me semble le fait de la corruption des juges par des bandits de ces nationalités, et non forcément celui du gouvernement lui-même, mais il est bien connu que les ramifications de la pègre et de la mafia s’insinuent partout, ici comme ailleurs. La différence avec la France est que les Russes, souvent, ne se laissent pas faire, là encore, la résistance locale joue sûrement son rôle.

Autre point inquiétant, la soumission au covidocircus, aux mesures, au vaccin, beaucoup moins tyanniques et prolongées qu’en occident, cependant. La jeune femme attribue ce fait à la résistance du peuple russe, et elle n’a sans doute pas tort, je l’ai aussi pensé. Le peuple russe n’a pas bien passé le test d’obéissance que les Français ont remporté haut la main, dénonçant leurs voisins et traquant les contrevenants dans l’espace public. Des gens ont été acculés à se faire vacciner, sous peine de perdre leur travail, dans le meilleur des cas, ils ont quand même développé des covids, parfois à répétition, pour les autres conséquences, mystère. On en parle peu. La thèse d’un ami poutiniste français, c’est que le gouvernement russe ne voulait pas prendre le risque d’une opposition prématurée et déclarée au système mondialiste. Peut-être. N’empêche que c’est la principale raison que j’aurais de douter.

La numérisation. Oui, c’est vrai, cependant, il faut tenir compte du fait que les gouvernements, quels qu’ils soient, sont obligés de s’aligner sur les avancées technologiques qu’adoptent leurs concurrents, ennemis ou ennemis potentiels. Pour l’instant, cela ne prend pas le caractère coercitif et inhumain que cela prend ailleurs, mais cela peut venir, peut-être est-ce encore la résistance passive du peuple russe qui joue son rôle.

Le démolissage du service public, commencé sous Eltsine et poursuivi sous Poutine. Elle considère que les années quatre-vingt-dix n’étaient pas si horribles que cela, et que si l’on doit prendre un point de comparaison, il faudrait choisir les années soixante-dix quand tout allait super bien. Mon impression personnelle est que d’une, les années quatre-vingt-dix étaient vraiment un désastre qui laisse un très mauvais souvenir à beaucoup. Le comptable du café, qui a la cinquantaine, me disait qu’on commençait à vivre mieux et qu’on ne voulait pas tout foutre en l’air pour les petits libéraux de Moscou. Mon voisin à la radio considère qu’on n’a « jamais mieux vécu ». Et d’autre part, les deux voyages que j’ai faits en URSS dans les années soixante-dix, qui plus est à Moscou, et pas en province ou dans les campagnes, ne m’ont vraiment pas laissé une impression de prospérité merveilleuse et de joie de vivre en dépit de tout ce que me racontent les Russes maintenant. Je n’envisageais absolument pas de quitter nos années soixante-dix pour les leurs. La fille du père Valentin, partie à Paris à la fin des années quatre-vingt-dix, disait à sa mère communiste : «Le communisme, c’est les Français qui l’ont réalisé, la médecine et l’éducation sont gratuites, tout le monde reçoit des allocations, et la vie y est plus douce que chez nous ». Quand au quotidien des campagnes, il ne semblait pas non plus très riant, je me souviens de ces files grises de paysans mal fagotés qui venaient acheter à Moscou ce qu’ils ne trouvaient pas chez eux. Ce que j’ai vu ne correspond pas au mythe...

Enfin elle évoque l’alcoolisme comme un véritable fléau, et j’observe que les choses ont beaucoup changé sur ce plan. Dans les années quatre-vingt-dix, tous mes copains étaient des alcoolos finis, ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, on ne voit plus d’ivrognes écroulés partout, son affirmation est de l’exagération épique. Déjà, en 18, un ami, à Férapontovo, me disait qu’on ne voyait plus d’ivrognes et que les routes étaient meilleures. Pour les routes, à Pereslavl-Zalesski, on ne peut pas dire cela, mais disons que les routes fédérales sont en bon état.

La pauvreté, dont elle trace un tableau épouvantable, et c’est pareil, je ne dis pas que tout le monde est riche, mais je pense qu’il faut nuancer. Elle le fait en indiquant que les Russes sont souvent propriétaires de leur appartement, et ne paient pas de loyer. Et les impôts qu’ils payent dessus sont dérisoires, les charges, même si elles ont sensiblement augmenté, n’atteignent pas les sommets fantasmagoriques des charges en France, en relation avec les salaires respectifs. Il y a de très petits salaires, cependant, mon électricien m’a dit que chez mosenergo, il touchait 150 000 roubles, soit 1500 euros, il a acheté une maison à crédit. Et j’ai vu une affiche de recutement pour des chauffeurs routiers avec une proposition de salaire de 100 000 roubles. A côté de cela, les postiers d’ici touchent 12 000 roubles, les employés du supermarché sont recrutés à 25 ou 30 000 roubles, ce qui est loin d’être royal. Mais je ne suis pas une spécialiste des chiffres et de l’économie. Personne ici, à ma connaissance, ne meurt de faim. Les magasins sont pleins, et l'histoire des appartements gelés, à moins que cela ne se produise et que je ne sois pas au courant, c'était dans les années 90.

La dépopulation. Eh bien là, je ne la crois pas beaucoup. Elle parle de quatre-vingt milions de Russes au lieu de 140 millions, et ne semble pas trop sûre elle-même de cette différence fantastique entre les chiffres réels et les chiffres officiels. Ce que j’observe, c’est que la natalité est réellement encouragée par l’attribution d’un « capital maternel » de 10 000 euros qui permet parfois d’acquérir une maison ou un appartement, avec un complément personnel, l’attribution d’appartements communaux à des familles nombreuses, comme ce fut le cas pour un de mes amis, d’aide alimentaire, aussi, la fille du père Valentin a droit à de nombreux produits gratuits. Je n’ai pas le sentiment que le gouvernement planifie l’extermination, ou disons la disparition de sa population. Il est, me semble-t-il, plutôt économe de la vie des soldats et des civils en Ukraine, Marioupol est reconstruite en un temps record. C’est vrai que la justice juvénale retire parfois les enfants aux familles nombreuses pauvres, ce qui est un scandale, la justice juvénale a été instaurée sous pression occidentale, chez nous, on les retire aux familles dissidentes, c’est probablement le but occulte de cette institution.

La démolition de l’armée. Là non plus, à priori, et sans être spécialiste, au feeling, je ne pense pas que le gouvernement actuel soit à incriminer, car l’essentiel du travail avait été fait sous Eltsine, et j’ai même entendu dire que si Poutine n’était pas intervenu plus tôt, c’est qu’il était occupé à réarmer discrètement, en tous cas, on voit aujourd’hui qu’il ne fait pas la guerre avec des moteurs de machine à laver. Depuis le début de l’affaire du Donbass, et même bien avant, je savais que l’occident ferait tout pour déclencher une guerre avec la Russie, et Poutine a reculé huit ans devant l’obstacle. Pour réarmer ? Quand l’intervention a commencé, j’ai pensé qu’il avait fait profil bas le temps de le faire et qu’il avait été drôlement astucieux... 

A ce propos, elle ne parle pas de ce qui s’est passé au Donbass dès 2014, elle prétend que les Russes et les Ukrainiens étaient bien copains, qu’ils étaient des frères, et que les gouvernements occidentaux et russe ont organisé cette guerre, sans aucune motivation de part et d’autre, faisant peur aux uns avec le désir de conquête imaginaire de la Russie, aux autres avec les dangers imaginaires de l’OTAN, et c’est là que je tique vraiment. Parce que moi, depuis des années et des années, j’ai observé l’atitude agressive et fourbe de l’OTAN envers la Russie, ses provocations permanentes, la réticence des autorités russes à entrer dans la danse et même à considérer les occidentaux comme des ennemis, et la tolérance envers les intellectuels libéraux qui soutenaient la propagande occidentale. Elle définit l’armée russe comme complètement détruite, avec des armes rouillées, des types peu mobilisés, on dirait les discours de Van der Layen au parlement européen. Je sais qu’il y a des disfonctionnements dans l’armée russe, que les soldats sont obligés de payer des pièces de leur équipement, mais quand même, question armements, les Russes ne semblent pas à court, ni fonctionner avec des bouts de fil de fer. Je crois que le danger otanesque est bien réel et que la plupart des Russes le comprennent bien, et tout le monde a vu comment cela se passait en Serbie. La population du Donbass, quand elle s’est mise à résister, prenait des bombes sur la gueule, et subissait des exactions affreuses. La propagande antirusse menée en Ukraine depuis la chute de l’URSS n’était pas le fait de Poutine. Et je me souviens avec horreur des commentaires ukrainiens sur les « doryphores » grillés dans la maison des syndicats à Odessa, des gâteaux en forme de bébés russes mangés dans les discothèques, des manifestants criméens accueillis à Kiev à coups de barre de fer, et autres amabilités des « frères » contre lesquels la jeunesse russe avertie qui fuyait en Géorgie ou ailleurs ne voulait pas se battre. C’était un concentré de méchanceté stupide, dans le genre de la télé française ou de certains intellectuels ou même orthodoxes de chez nous.

Elle parle du démembrement de la Russie, objectif du projet Harvard de Kissinger, et oui, c’est clair, ce projet existe, et il est ouvertement soutenu depuis longtemps par des libéraux russes, Echo Moskvy etc... En effet, si Poutine est souverainiste, comment tolère-t-il par exemple le centre Eltsine, centre de propagande pro occidentale et antirusse situé à l’épicentre du projet, la ville d’Ekaterinbourg ? Comment l’a-t-il laissé construire, comment le laisse-t-il ouvert, en temps de guerre ? Mikhalkov, qui est un chaud partisan de Poutine, a consacré toute une émission à cet abcès purulent. D’après la jeune femme, tout ceci est le fait d’une « secte juive » (à ne pas confondre avec les juifs normaux et gentils, bien entendu) qui, depuis New-York, organise tout cela, et Poutine en est membre.  A moins que le métropolite Tikhon, qu’on dit son père spirituel, et le patriarche Cyrille n’en soient complices, on se demande comment il concilie tout cela avec une foi orthodoxe affichée, si on en est là, alors cela craint vraiment, tout le monde aux catacombes... Que des juifs, disons qu’une mafia juive, qu’une secte, chez nous, on dit les straussiens, soit impliquée dans la destruction de la Russie par l’Ukraine, et réciproquement, je n’en doute pas tellement, cela remonte à 1917, et même avant, et la preuve en est à mes yeux la haine écumante de la compagnie BHL, Glucksmann, Ackerman, Nuland, et autres néocons situés dans divers pays, qui elle non plus ne date pas d’hier et à propos de laquelle aucune accusation de racisme, pourtant largement justifiée,  n’a jamais été proférée. Et puis la mafia juive n’est pas la seule en cause, il y a d’autres mafias, les intérêts de la famille Biden, par exemple, Blackrock, Monsanto...  Maintenant que toute l’affaire soit une symphonie à laquelle Poutine participe avec enthousiasme... Mais peut-être ont-ils des moyens de pression. Je ne saurais le dire. Disons que je sais pour qui se battent les Ukrainiens, qu’ils le sachent ou non : pour eux. Les Russes se battent pour la Russie et le savent, même si l’on admet que ce n’est pas forcément tout à fait le cas de leur gouvernement.

Est-ce ou n’est-ce pas le cas ? Moi, à l’intuition, je dirais que la guerre est réelle entre le gouvernement russe et les gouvernements occidentaux. Le gouvernement russe défend-il sa terre et son peuple ou bien son fief mafieux ? Peut-être les deux. Peut-être son cul d’abord et le peuple ensuite. Et puis parfois, les affaires n’empêchent pas les sentiments... En tous cas, si la moitié de ce que déclare cette jeune femme est vrai, Poutine est bien meilleur comédien que Macron. La jeune femme dit que 30% des Russes soutiennent Poutine, en réalité. Peut-être que s’il laissait émerger des opposants sérieux, ses scores ne seraient pas les mêmes, mais je pense qu’il bénéficie d’un soutien populaire suffisemment large, surtout en ce moment, évidemment.

Pour ce qui est de la médecine, je ne la contredirai pas, c’est plutôt la cata. « En Union Soviétique, tout était gratuit ». Oui, mais j’ai entendu raconter aussi des horreurs sur la médecine soviétique, et du reste, j’ai été soignée gratuitement, à Pereslavl-Zalesski, je ne faisais pas une confiance aveugle au personnel, mais c’était gratuit. Que ce soit ici ou chez nous, en effet, la privatisation de la santé publique démolit complètement la qualité des soins, mais il y a du blé à faire, et des requins à l’oeuvre, pas besoin d'inviter une secte juive à la curée.

Auparavant, j’ai écouté l’interview du père Tkatchev où il recommande aux orthodoxes ukrainiens de fuir Sodome sans se retourner. Il dit que l’ethnos n’a plus le même sens qu’avant, parce que tous les ethnos ont été cassés. On avait fait l’expérience de créer l’inimitié entre deux peuples frères, les Ukrainiens et les Russes, qui appartiennent absolument au même ethnos, beaucoup plus qu’un breton et un basque ou un provençal, par exemple, avec la même culture, la même histoire et la même foi, et qu’on y était arrivé. Le peuple russe avait une grande homogénéité, il s'apparentait à une espèce de famille mystique, d'où le désarroi de Napoléon qu'on sent si bien dans Guerre et Paix, devant ce phénomène incompréhensible, le peuple qu'il pensait délivrer de la tyrannie et qui se levait contre lui comme un seul homme, et cela, un siècle seulement avant la révolution d'octobre et la guerre civile. On arrive à tout avec une rééducation qui joue sur les mauvais sentiments, comme on l’a déjà vu au XX° siècle. C’est très triste, dit-il, mais c’est comme ça. Et la Laure de Kiev ? Ses reliques profanées, ses objets saints dispersés à l’encan dans une Europe apostate et sacrilège? Eh bien tant pis pour la Laure de Kiev, son sort démontre d’autant plus la nécessité de partir sans se retourner. Je me suis fait la même réflexion, quand je suis partie moi-même, au fond. Sans se retourner, c’est le plus difficile...  Autant pour la Laure de Kiev que pour Notre-Dame, la France de mon enfance ou le monastère de Solan. Mais quand j’ai vu que Macron avait reçu Bartholomée à l'Elysée, ce fut comme la revendication du crime qui s’affichait avec insolence, sa signature affichée: en effet, il fallait partir, je n'en doute pas. Et il ne faut plus se retourner. Que la thèse de la jeune Russe soit ou non exacte. Je fais confiance au père Tkatchev. Il a vu ce qui se passait là bas, il en vient. Il est parfois un peu raide, mais au moment du covidocircus, il n’avait pas peur d'exprimer la vérité. Il dit qu’un noir orthodoxe lui est plus proche qu’un Russe renégat, et que les gens vont désormais se regrouper par affinités spirituelles, morales, intellectuelles, éthiques. C'est ce que je ressens quand j'écoute Youssef Hindi, par exemple, et je le ressentais à Solan, où les gens sont d'origine très diverse. Et c’est probablement ce qui s’esquisse dans le mouvement des étrangers occidentaux vers la Russie et son orthodoxie. Le père Tkatchev évoque la responsabilité collective de Dostoievski, qui nous fait assumer à tous le péché d'un seul, et qui fait du salut d'un seul le salut de tous, cette révélation qui m'a fait découvrir le christianisme, à l'âge de quinze ans. C'est de cela qu'il faut se souvenir, devant ce qui nous arrive.

Si j'étais plus jeune, je songerais à l'issue de mon roman Epitaphe. Pas pour des raisons de survivalisme, mais pour vivre debout encore quelques temps.


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