Originaire d’Aurillac, Paul Doumer est issu d’un milieu extrêmement modeste. Ce fils d’employé au chemin de fer qui gagnait deux francs par jour (Jean DOUMER) et d’une mère sans emploi (Victorine DAVID), commence à travailler dès l’âge de douze ans, comme coursier, ouvrier d’usine puis graveur après que sa famille soit montée à Paris.
Un envoyé spécial du journal Le Matin a visité, à Aurillac, l’humble logis où naquit le président et dira dans un article du samedi 13 janvier 1906 :
Crédit photo : Journal « Le Matin », 13 janvier 1906, avec l’article « Au pays natal de M. Doumer ».« Je suis allé à Aurillac, où j’ai taché à me pencher sur un passé auquel peu de mémoires sont fidèles… Il naquit à Aurillac. Ce fut, si je puis dire, par accident, car ses parents ne firent que passer dans cette ville. M. Doumer n’a point de clocher. Il n’a pas connu la douceur amollissante du refuge où se fanent les objets que des mains mortes ont aimés, où de vieux parents s’affaiblissent lentement parmi des choses anciennes, monotones et très connues. M. Doumer naquit donc de la souche la plus humble et dans le décor le plus désolé. J’ai visité la maison où il ouvrit pour la première fois les yeux. C’est dans la rue des Tanneurs [NDLR : aujourd’hui c’est au 34 rue Paul Doumer], une des rues les plus méprisées par la « société » d’Aurillac, qu’elle dresse son architecture lamentable et branlante. »
« Un escalier en bois prenant sur la rue conduit à une sorte de balcon sur lequel s’ouvre la porte de tristes logements. Il règne là, venant de la ruelle empuantie par l’odeur des peaux tannées, de l’eau croupie et des demeures misérables, une odeur offensante. Au bout du balcon, une porte s’ouvre sur un lieu inquiétant. C’est ici que M. Doumer, vit le jour. Un couloir et une chambre. Quel couloir et quelle chambre ! »
Mais loin de se laisser enfermer dans cette condition, il se bat pour gravir les échelons et réussir. Il commence à donner des cours particuliers à domicile tout en poursuivant ses études à la faculté, où il obtient une licence de mathématiques en 1878. Entre 1877 et 1880, il enseigne les mathématiques, puis se tourne vers le journalisme jusqu’en 1888. Gouverneur général de l’Indochine, ministre des Finances à trois reprises, président de la Chambre des députés puis du Sénat. Paul Doumer incarne parfaitement la méritocratie républicaine. C’est un homme qui ne fume pas, ne boit pas et mange peu. Il se lève tous les jours à 5 heures du matin et travaille 16 heures par jour.
Jacques Chauvin écrira dans son livre « Paul Doumer, le président assassiné » :
« Mais, en plus de sa carrière politique exceptionnelle qu’il avait entreprise, jeune, et poursuivie jusqu’à un âge avancé, se déroulant sans discontinuité sur près de cinquante ans, l’homme est encore intéressant à un double point de vue. Il l’est, d’abord, par son attitude devant l’adversité, faisant face avec stoïcisme aux pires drames qui l’atteignent dans ses affections les plus chères. Il l’est, ensuite, parce qu’il représente un type d’homme politique modèle : sévère pour les autres, mais sévère aussi pour lui-même, rigoureux, intègre, pudique jusqu’à l’excès. »
Dans son livre « Paul Doumer : La République audacieuse », le docteur en histoire de l’Institut d’études politiques de Paris, Amaury Lorin, écrira :
« L’élection de Doumer le 13 mai 1931 à la présidence de la République consacre la méritocratie comme un fondement cardinal, parmi d’autres, d’une IIIe République pratiquant la mobilité ascendante et donc la justice sociale. Doumer incarne ce fondement en le validant par l’exemple probant de son propre parcours, d’un misérable taudis sur les bords de la Jordanne à Aurillac au début du Second Empire à l’éclat des plafonds dorés du palais de l’Élysée au début des années 1930. »
Sa carrière politique débute véritablement en 1888, lorsqu’il est élu député de la Seine. Cet homme modeste et cordial, bien que légèrement austère, occupe ensuite de nombreux postes ministériels, notamment celui de ministre des Finances, où il se distingue par sa rigueur et son efficacité, et Président du Sénat.
Le 13 juin 1931, il est élu président de la République française et à cette époque, le Président était élu par les membres du Sénat et de la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale, conformément à la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Le suffrage universel direct pour l’élection du Président de la République ne sera instauré qu’en 1962, sous la Ve République. Dans le cas de Paul Doumer, les 504 voix obtenues lui ont permis de devenir Président de la République française pour sept ans.
Mais son mandat est écourté par son assassinat. En effet, le 6 mai 1932 vers 15 heures, le chef d’État est en visite à un salon des écrivains anciens combattants à l’hôtel Salomon de Rothschild, 11 rue Berryer au cœur du 8e arrondissement de la capitale, lorsqu’il reçoit deux balles dans le corps, dont une à la base du crâne. Il est immédiatement transporté à l’hôpital Beaujon, mais victime d’une hémorragie, il décèdera vers 4h30 le lendemain matin. Le tireur, Paul Gorgulov, est un Russe ancien chef d’une organisation fasciste. Il déclarera avoir assassiné le président pour se venger de la France, car elle n’a pas voulu intervenir en Russie contre les bolcheviks.
André Maginot, Ministre de la Guerre sous la présidence de Paul Doumer, est décédé le 7 janvier 1932.
Aristide Briand, Ministre des Affaires étrangères sous la présidence de Paul Doumer, est décédé le 7 mars 1932.
Paul Doumer, Président de la République, a été assassiné le 7 mai 1932.
Alexandre Varenne, homme politique, journaliste et fondateur du journal La Montagne. écrira :
« Criminels ou déments, cet homme est une bête féroce et son acte soulèvera la réprobation indignée de tous les honnêtes gens. »
Gorgulov est guillotiné par Anatole Deibler le 14 septembre à la prison de la Santé, malgré les protestations de la Ligue des droits de l’homme.
Paul Gorgulov (ou « Gorguloff », 1895-1932), assassin du président Paul Doumer, dans le box des accusés devant la cour d’Assises de la Seine à Paris, en juillet 1932 – Source Bibliothèque nationale de France – public domainAvec un parcours politique hors norme par sa longévité, il est l’unique président de la République française assassiné au XXe siècle. Mais Paul Doumer n’était pas le premier Président de la République française à être victime d’un assassinat. Avant lui, Sadi Carnot avait été assassiné à Lyon le 24 juin 1894 par un autre déséquilibré, cette fois d’origine italienne, nommé Caserio. Cet événement tragique met fin à la vie d’un homme qui a consacré sa vie à servir son pays.
Mais ce qui m’a particulièrement touché dans l’histoire de Paul Doumer, c’est son attitude pendant la Première Guerre mondiale. Alors que de nombreux hommes politiques utilisent leur influence pour éviter à leurs proches de partir au front, Paul Doumer — pourtant membre de la franc-maçonnerie — refuse de le faire. Il ne se distingue pas du peuple, sachant pertinemment d’où il vient. De fait, il n’échappera pas à la tragédie vécue par les millions de Français, quatre de ses cinq fils mourront au combat, et sa fille Lucile Jane décédera de chagrin après la perte de ses frères. Faisant de lui, un symbole patriotique vivant. Les Français l’appellent affectueusement « Gastounet » !
Il est important de noter que Paul Doumer était membre de la franc-maçonnerie. Cependant, en 1905, dans le cadre de l’affaire des fiches, il s’est montré très critique envers son obédience et le gouvernement, qui ont participé au fichage de militaires afin de « républicaniser » l’armée. Il écrira : « Quand j’entrai dans la franc-maçonnerie, je savais m’affilier à des partisans d’une politique de progrès et de liberté. Peu après, une transformation pernicieuse s’opéra. La franc-maçonnerie est devenue une coterie d’où partit la délation, le bas régime du mouchardage, du favoritisme, de l’internationalisme. » Il a été exclu de la loge La Libre Pensée, écarté du Grand Orient de France, et a fait face à l’hostilité des francs-maçons lors de l’élection présidentielle de 1906.
Paul Doumer avec ses cinq fils, dont quatre mourront pour la France (Nadar, 1905).
Cette tragédie personnelle inspire à Paul Doumer l’ouvrage « Livre de mes fils », dans lequel il écrit :
« Je souhaite qu’ils se forment une idée élevée de l’homme du vingtième siècle, du bon Français, du citoyen de notre République, et que, les yeux fixés sur ce modèle, ils s’attachent à l’imiter, à réaliser en eux-mêmes les qualités et les vertus qu’ils auront mise en lui. […] Il faut aimer la patrie jusqu’à lui tout sacrifier, ses biens, sa vie, ses enfants, mais aussi jusqu’à puiser dans cet amour d’elle la force et le courage. »
Incroyable mais vrai, ce n’est qu’en 2013 qu’une biographie à compte d’éditeur a finalement été consacrée à ce père quadruplement endeuillé Paul Doumer, ancien président français (Amaury Lorin, Une ascension en République : Paul Doumer (1857-1932), d’Aurillac à l’Élysée, Dalloz, lauréat du premier prix de thèse du Sénat en 2012) !
Les Aurillacois doivent être conscients que le monument situé à l’extrémité de la « Rue de la Gare » commémore Paul Doumer, un fils d’ouvrier né dans leur ville qui est devenu chef de l’État. Beaucoup d’entre eux ignorent peut-être l’importance historique de ce monument et la vie remarquable de l’homme qu’il honore. C’est pourtant l’histoire d’un homme parti de rien, qui a gravi les échelons de la société avec détermination et courage, pour finalement atteindre les plus hautes sphères du pouvoir.
Pour en savoir plus avec Franck Ferrand :
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