09 janvier 2024

Vers un bouleversement rapide du système des paiements internationaux

Tout d’abord tous les vœux du « grand-père national », comme certains lecteurs m’appellent. Voilà un surnom qui me plait beaucoup. Ce n’est pas parce que l’état français est géré par des cuistres qu’il faut vous désintéresser de vos affaires personnelles.

Fait : D’après les analystes pétroliers que je suis, aujourd’hui 20 % du pétrole mondial se vend et s’achète en utilisant une monnaie autre que le dollar US, contre quasiment zéro au début du siècle. Ce changement doit amener chaque investisseur à se poser de nombreuses questions. Il s’agit-là d’un bouleversement inouï de la scène financière mondiale.

Depuis 1945, tout pays qui avait besoin d’importer de l’énergie devait régler la facture en dollar américain. De même, tout pays exportateur d’énergie devait facturer ses exportations en dollar US.

L’analyse que je fais depuis plusieurs années a été que ce « privilège impérial » (Rueff) allait être battu en brèche pour nombre de raisons que j’ai longuement développé dans ces billets mais dont la plus importante fût l’extra territorialisation du droit américain sur toute transaction en dollar en dehors des USA. Le gouvernement américain se donnait ainsi le droit de vérifier l’utilisation que des pays souverains faisaient de leurs réserves de change et de les punir en les interdisant de dollar (et donc d’énergie) s’ils contrevenaient aux desiderata de la loi américaine. Dans toute transaction entre deux parties, il y avait donc une troisième partie qui s’introduisait manu militari, et c’était la CIA (Voir l’affaire BNP- Soudan). Voilà qui était complètement inacceptable pour tout pays souverain et, je ne parle pas de la France ici, mais de pays indépendants tels la Chine, la Russie ou l’Inde.

Inutile de préciser que le chiffre de 20 % ne va cesser d’augmenter et que d’ici 10 ans, il n’y aura plus que 20 % de ces achats et ventes de pétrole qui seront libellés en dollar.

Et ceci va avoir un impact gigantesque sur l’économie mondiale, que je vais expliquer dans les remarques suivantes.

Remarque numéro un

Que vont devenir les dollars mis en réserve dans le passé par les pays importateurs pour régler leurs factures énergétiques ? D’après les chiffres officiels, nous parlons de 7.400 milliards de dollars, ce qui est gigantesque.

La réponse est simple : ces dollars ne pourront servir qu’à :

  • Soit acheter des biens et des services produits aux USA, ce qui veut dire que la balance commerciale des USA monstrueusement déficitaire devra devenir excédentaire, ce qui implique un effondrement du cours du dollar. Détenir du cash ou des obligations aux USA est donc totalement idiot.
  • Soit acheter des actifs aux USA (actions, immobilier, terres agricoles), en espérant que le gouvernement US respectera votre droit de propriété, ce qui n’a été le cas ni pour les actifs Russes ni pour les actifs Iraniens ou Vénézuéliens. Voilà qui explique sans doute les cours élevés atteints par les actions US.
  • Soit enfin vendre ces dollars à des tiers contre votre propre monnaie, ce qui fera monter le taux de change de votre monnaie (le lecteur devrait acheter les monnaies des pays asiatiques, Japon compris, où se trouve la quasi-totalité des réserves de change excédentaires), soit refiler la patate chaude à quelqu’un dans le système qui aurait besoin de dollars, mais, à part l’Argentine, je ne vois pas très bien qui d’autre.

Conséquence : la fonction d’étalon de valeur a déjà disparu, la fonction  de réserve de valeur du dollar  va disparaître. Pour ceux qui le peuvent, il faut donc emprunter des dollars et les investir en Asie ou en Amérique Latine, dans l’espoir de les rembourser beaucoup moins cher quelque temps après.

Ce qui m’amène à la deuxième question.

  • Remarque numéro deux : Comment fonctionnait le système des paiements internationaux dans le passé.

J’ai déjà traité cette question, et j’y reviens une fois encore.

Retournons au système du passé qui fonctionnait un peu comme un ordinateur central (mainframe).

Pour avoir les dollars dont vous aviez besoin, il vous fallait avoir un surplus commercial avec les USA. Les dollars ainsi gagnés étaient déposés à la banque centrale US, et, avec ces dollars, les banques centrales des pays en excédent achetaient des obligations US ce qui finançait les déficits budgétaires américains.

Cela permettait aux USA d’avoir des taux d’intérêts  plus bas, la contrepartie étant que les taux dans le pays excédentaires étaient plus élevés qu’ils n’auraient dû être. Pour faire simple, cela permettait aux US de vivre au-dessus de leurs moyens tandis que les pays excédentaires  vous vivaient perpétuellement en dessous.

Et quand vous aviez besoin de payer votre pétrole à l’Arabie Saoudite, vous donniez un ordre à la Fed de transférer vos dollars sur le compte de la banque centrale Saoudienne, qui elle-même achetait des obligations américaines puisque les USA assuraient la protection militaire du royaume.

Et le gouvernement américain connaissait heure par heure la situation de vos réserves et quand elles devenaient trop basses, refilait l’information  à un hedge fund ou à un autre, qui attaquait votre monnaie, ce qui vous forçait à demander l’aide du FMI et assurait votre soutien à la politique internationale des USA.

C’est ce système qui est en train de s’écrouler pour être remplacé par le nouveau système que je vais décrire à nouveau.

  • Remarque numéro trois : Comment va fonctionner le système des paiements internationaux dans le futur ?

Prenons l’exemple de la Chine qui achète du pétrole à l’Arabie Saoudite. La banque centrale de Chine envoie la contre valeur des achats de pétrole en yuan à la banque centrale Saoudienne, qui fait savoir aux importateurs de biens chinois en Arabie Saoudite qu’elle a des yuan à sa disposition et qu’elle peut leur vendre contre de la monnaie locale.

Et ces importateurs achètent du yuan à la banque centrale et règlent leurs importations en versant ces yuan au compte des exportateurs chinois à l’agricultural bank of China à Riyad ou à Shanghai.

Et ainsi de suite pour tous les pays du monde.

Nous avons remplacé un système monétaire complètement centralisé autour d’une monnaie et sous le contrôle des USA par un autre complètement décentralisé d’acteurs indépendants les uns des autres et sous le contrôle de personne.

Fort bien, va me dire le lecteur qui m’aura suivi jusque-là, mais que se passe t’il si le premier pays a un déficit avec le second, ou plus simplement, comment vais-je solder les excédents ou les déficits entre pays ?

Remarque numéro quatre : Comment les excédents et déficits bilatéraux vont-ils être soldés ?

C’est la pierre d’achoppement de tous les systèmes de paiements internationaux et voici les réponses qui pourraient être apportées.

Je vais prendre l’exemple de l’Inde et de la Russie, sans doute le plus difficile à traiter aujourd’hui puisque la Russie ne peut pas accepter de dollars en paiement.

Du coup l’Inde paie ses importations de pétrole Russe en roupies, mais ne vend pas grand-chose à la Russie, qui se retrouve du coup avec énormément de roupies qui ne sont pas convertibles librement dans les marchés des changes, ce qui créée un problème, pour les Russes

Que faire ?

Réfléchissons sur les atouts de l’une ou de l’autre nation

L’Inde a une très bonne démographie, des besoins d’investissement en infrastructure, en particulier énergétique, gigantesques et donc besoin d’importer des capitaux.

Aujourd’hui, en dehors du charbon, elle dispose de peu de réserves de matières premières et elle doit les importer ce qui freine son développement (contrainte du commerce extérieur). Acheter les matières en roupies est pour elle inespéré.

 Le vrai problème est : Comment les payer ?

L’Inde dispose de réserves de change en dollars et d’or importantes.

L’Inde ne produit pas d’or, mais le secteur privé Indien a sans doute les réserves d’or les plus importantes au monde.

Si, dans les vingt ans qui viennent, l’Inde a résolu sa dépendance énergétique, on peut être certain que le pays, à ce moment, aura des comptes courants excédentaires.

Mais il faut trouver une solution pour que les Russes puissent faire quelque chose de leurs roupies maintenant.

Le plus simple serait pour les Russes de vendre leurs matières premières et d’acheter des actifs en Inde tels qu’immobilier ou usine en Inde.

Hélas, pour des raisons stratégiques l’Inde ne veut pas vendre ses actifs à une puissance étrangère, son compte capital est donc fermé.

Venons-en à la Russie.

La Russie est le plus gros exportateur de matières premières au monde, et le restera.

La Russie est l’un des rares pays qui domine toutes les composantes de l’industrie nucléaire depuis l’uranium, en passant par la production d’électricité jusqu’au recyclage des déchets

La Russie a des comptes courants excédentaires et pour ainsi dire aucune dette tant extérieure qu’intérieure.  Autant dire que la Russie a besoin d’argent comme moi j’ai besoin d’un trou dans la tête.

En revanche, la Russie a une mauvaise démographie, et à l’horizon de vingt ans aura besoin de revenus en provenance de l’étranger pour servir des retraites convenables à sa population.

A ce moment-là, la Russie passera en comptes courants déficitaires à peu près au moment où l’Inde passera en comptes courants excédentaires. Dans vingt ans, le sous -continent sera la seule zone au monde disposant d’une force de travail jeune et bien formée. Si, dans les vingt ans qui viennent, l’Inde a résolu sa dépendance énergétique, on peut être certain que le pays, à ce moment, aura des comptes courants excédentaires.

Chacun voit bien que ces deux pays sont totalement complémentaires et ont tout intérêt à trouver une solution, ce qui n’est pas bien difficile puisqu’il ne s’agit que d’arbitrer le temps entre deux pays qui ont des horizons temporels différents.

Voici quelques pistes. J’exclue l'utilisation de son Or ou de ses réserves par la banque centrale indienne.

  1.  Le gouvernement Indien peut vendre des permis d’opérer à long terme aux entreprises Russes (50 Years leases par exemple), la propriété des actifs retournant au gouvernement Indien à l’échéance, l’achat des baux à long -terme ayant lieu en roupies
  2. Le gouvernement Indien peut émettre des obligations en roubles en Russie, ou en Yuan à Hong-Kong et se servir des sommes ainsi dégagées pour retirer tout ou partie des sommes détenues par les Russes.

Un avantage accessoire si l’Inde émettait plus d’obligations que nécessaire, serait d’aider la banque centrale à gérer sa masse monétaire, retirant des roupies du système en cas de danger inflationniste et peut être aider à stabiliser son taux de change vis-à-vis du yuan et du dollar pour maintenir la roupie en accord avec les parités de pouvoir d’achat du rouble, du Yuan et ‘de la Roupie.  La banque centrale Indienne se verrait obligée de gérer à la fois un actif et un passif, mais il y a plein de bons matheux en Inde.

  1. L’Inde pourrait émettre à destination de sa population des obligations dont le remboursement serait indexé sur le cours de l’électricité produite par les centrales nucléaires indiennes et le versement original pour ces obligations devrait être effectué en or.  Une tranche pourrait être réservée aux banques centrales et aux fonds souverains étrangers. L’or ainsi acquis par la banque centrale Indienne pourrait ensuite servir à acquérir les roupies excédentaires détenues par les entités Russe.
  2. Etc… Je suis prêt à offrir mes services à la banque centrale Indienne si elle pensait que je pourrais leur être utile. Je connais mal l’Inde mais il paraît que les voyages forment la vieillesse.

Le lecteur avisée devrait remarquer plusieurs choses à ce point.

Nulle part n’apparaissent les suspects habituels :  Wall-Street, le dollar, la banque mondiale, le FMI.

Les financements à long terme mondiaux qui devaient toujours passer par le dollar n’ont plus aucune raison de le faire. Il va donc falloir virer tous ceux qui travaillent dans ces organisations internationales, qui vont devoir fermer faute de clients et embaucher toutes affaires cessantes des diplomates spécialisées dans les relations bilatérales puisque les accords internationaux globaux vont être remplacés partout par des traités bilatéraux.

C’est bien entendu le moment qu’a choisi monsieur Macron pour littéralement fermer le quai d’Orsay et mettre au chômage les spécialistes éminents de ce genre de négociation que la France avait l’habitude de former depuis des siècles, mais dont nous n’aurions plus besoin puisque le travail de négociations a été confié à Bruxelles. Voilà qui rappelle fâcheusement le démantèlement d’EDF.  Cet homme est un génie. Quand il prend une décision, ce qui est rare, on peut être sûr qu’elle sera désastreuse à long terme pour notre pays.

Conclusions bassement financières.

  • Vendre Wall-Street, acheter Hong-Kong, Singapore, Tokyo, Mexico, São Paulo, Toronto
  • Vendre les systèmes bancaires de la zone Euro et américain, acheter les banques en Inde, en Chine, à Singapour, au Brésil, au Mexique
  • Achetez les valeurs de consommation en Asie et en Inde et vendez les dans la zone euro et aux USA.
  • Vendez l’immobilier aux USA et dans la zone Euro. Achetez en Asie et en Inde.
  • Achetez les valeurs de production en Suède, en France, au Canada, au Mexique, au Japon, au Brésil.
  • N’ayez du cash et des obligations qu’en Asie et en Amérique Latine. Pas de cash, pas d’obligations dans la zone euro ou aux USA.
  • Maintenez 25% d’or dans vos portefeuilles, comme protection anti fragile.

Pour l’instant, le portefeuille IDL reste bien placé : valeurs de production en France, obligations chinoises, Or, il coche presque toutes les cases. Il vient de faire un plus haut à 143 euros pour 100 euros investis au 1/1/ 2020, ce qui veut dire qu’il a rapporté environ 10 % par an, avec une tres faible volatilité. Pendant la même période, les prix en France ont grimpé de 13 %. Trente pour cent de hausse en termes réels en quatre ans, c’est mieux que l’immobilier à Paris.

Je suis content de moi, ce qui est toujours extrêmement dangereux.

Charles Gave

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