L’insolvabilité du groupe immobilier SIGNA creuse un trou énorme dans les comptes des banques, des assurances et des investisseurs. Les dommages s’étendent bien au-delà de l’Autriche, notamment en Allemagne et en Suisse. Les politiques de tous bords s’empressent d’assurer qu’ils n’ont rien à voir avec cette catastrophe. Seul, le contraire est vrai: les spéculateurs, comme l’ancien petit comptable René Benko d’Innsbruck, dont la fortune était encore récemment estimée à 5 milliards de dollars par Forbes, n’ont pu bâtir leurs empires qu’avec le soutien actif des politiques. Les banques et les assurances ont également gagné beaucoup d’argent – elles amortissent désormais leurs pertes et répercutent les coûts sur les clients. La faillite de SIGNA n’est pas seulement la plus grande faillite en Autriche depuis la Seconde Guerre mondiale – elle est le symptôme d’un système financier et spéculatif totalement dégénéré, dans lequel quelques-uns se partagent les bénéfices et les pertes sont reportées sur nous tous.
Une brève annonce dans le fichier des insolvabilités de la République d’Autriche annonce la fin de la fête : l’insolvabilité de SIGNA Holding est en cours sous le numéro de dossier 6 S 193/23h auprès du tribunal de commerce de Vienne, la première audience aura lieu le 19 décembre 2023. La Signa Holding du spéculateur immobilier autrichien René Benko détient, par l’intermédiaire de ses filiales, des parts dans des objets éblouissants tels que le Chrysler Building de New York, le Kaufhaus des Westens (KaDeWe) de Berlin ainsi que le Park Hyatt Vienna, mais récemment, les moyens financiers pour maintenir l’activité ont fait défaut. Le passif de la holding s’élève à 5 milliards d’euros, soit presque le double de ses actifs, qui s’élèvent à 2,77 milliards d’euros.
Danse sur le volcan
Il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg proverbial. En effet, SIGNA Holding possède à elle seule des participations directes dans 53 entreprises et des participations indirectes dans « quelques centaines d’autres », comme on peut le lire dans la demande d’insolvabilité. On estime que rien qu’en Autriche, 390 ( !) entreprises ont des liens avec la Signa Holding. Actuellement, on enregistre 15 faillites par jour, principalement dans le secteur de la construction et du second œuvre. Les faillites d’entreprises augmentent de 13 pour cent, les dommages sont plus importants .
Benko lui-même contrôlait dernièrement environ 66 % de la holding. Parmi les autres investisseurs, on trouve l’homme d’affaires autrichien Hans-Peter Haselsteiner, qui a dirigé la plus grande entreprise de construction d’Autriche, la « Strabag », et qui en reste un actionnaire important. Ou Ernst Tanner, président du conseil de surveillance du fabricant de chocolat suisse « Lindt & Sprüngli ». Ou Torsten Toeller, fondateur milliardaire du distributeur allemand d’animaux domestiques « Fressnapf » (Maxi Zoo en France). Ou encore Eugster/Frismag AG, un fabricant suisse de machines à café.
Dans le secteur de l’immobilier de luxe SIGNA Prime Collection, on trouve, outre Benko, d’illustres propriétaires comme le milliardaire allemand Klaus-Michael Kühne ou la famille Peugeot de France. Selon une information de Bloomberg, cette dernière a déjà amorti 50% du dividende de l’année dernière . La SIGNA Prime Collection détient des immeubles de luxe comme le KaDeWe à Berlin, l’Alte Akademie à Munich, l’Elbtower et l’Alsterhaus à Hambourg ou le Park Hyatt à Vienne. Cette semaine encore, le président du directoire de SIGNA Prime Collection, Timo Herzberg, a été licencié sans préavis par le conseil de surveillance. Il lui est reproché d’avoir mis la main à la poche. Tous ceux qui sont impliqués dans la spéculation essaient de sauver leur propre peau. Personne ne sait laquelle des entreprises sera la prochaine à faire faillite. SIGNA Information Technology a déjà déposé le bilan, Signa Development Finance au Luxembourg lutte encore, tout comme le groupe SIGNA Development. Dans le secteur de l’immobilier de luxe, on espère s’en sortir grâce à un assainissement en gestion propre.
De l’argent sans fin
Mais la faillite de SIGNA n’est pas seulement la plus grande faillite en Autriche depuis la Seconde Guerre mondiale – elle est le symptôme d’un système financier et spéculatif totalement dégénéré, dans lequel quelques-uns se partagent les bénéfices et les pertes sont répercutées sur la population. C’est pourquoi nous ne portons pas notre attention sur M. Benko, dont la fortune a été estimée par Forbes à 5 milliards de dollars en 2019. Nous ne portons pas non plus notre attention sur les investisseurs du secteur privé, qui doivent désormais amortir leurs dividendes non versés.
Regardons plutôt tous les soutiens institutionnels qui ont courtisé, soutenu et financé l’ancien petit comptable d’Innsbruck pendant 20 ans. Il y a d’abord les banques, qui ont largement participé à la fête des spéculateurs et ont gagné d’énormes quantités d’argent.
Selon les rumeurs, près de 120 banques au total ont participé à l’ascension de René Benko. Parmi les plus grands prêteurs, on trouve la banque suisse Julius Baer, avec un engagement de plus de 600 millions de francs suisses, ainsi que la banque autrichienne Raiffeisen Bank International (RBI). Mais selon les médias, des banques régionales allemandes comme la Helaba et la BayernLB sont également engagées, chacune avec des centaines de millions.
Rien qu’en Autriche, SIGNA Holding a environ 2,2 milliards d’euros de dettes bancaires, dont la plus grande partie auprès de Bank Austria, filiale d’Unicredit, et dans le secteur Raiffeisen. Mais la radio publique a également fait état d’un crédit en souffrance de 200 millions d’euros auprès d’une banque hypothécaire, dont la majorité des parts appartient au Land du Vorarlberg.
Il est vrai qu’une partie des crédits sont garantis par des biens immobiliers. Mais à quoi cela sert-il si ces biens immobiliers sont surévalués dans les comptes ? Qui achète ces biens immobiliers à une époque où les taux d’intérêt sont élevés ?
Toutes ces banques répercuteront le coût de leurs pertes sur leurs clients. Car c’est ainsi que les choses se passent dans ce système financier et spéculatif totalement dégénéré. Les bénéfices sont privatisés, les pertes socialisées. Cela s’appliquera également aux compagnies d’assurance touchées par la faillite de SIGNA. En Autriche, il s’agit par exemple du groupe UNIQA, l’un des plus grands groupes d’assurance. Comme on l’apprend maintenant, des compagnies d’assurance allemandes, dont « Münchener Rück » et « Allianz », sont également engagées à hauteur de plus de trois milliards d’euros dans le groupe SIGNA. En période de taux d’intérêt bas, ces compagnies d’assurance nageaient dans l’argent – et le mettaient volontiers à la disposition de spéculateurs comme René Benko. Surtout lorsqu’il s’agissait d’opérations à haut risque qui ne pouvaient pas répondre aux réglementations strictes des banques.
Une partie importante des dettes du groupe Signa a été fournie par des sociétés financières non bancaires comme l’assureur Signal Iduna de Dortmund. Il s’agit d’une entreprise qui compte douze millions de clients et qui est principalement active dans l’assurance maladie et l’assurance vie. Signal Iduna a prêté près d’un milliard d’euros à Signa, ont déclaré des personnes directement au courant.
Chouchou de la politique
Outre les banques et les assurances, les spéculateurs comme René Benko peuvent également suivre leur chemin sans encombre parce que la politique les aide à se mettre en selle. Tous ceux qui ont observé Benko d’un peu plus près savaient exactement comment il avait organisé ses spéculations. Dans un premier temps, il a acquis à bas prix des biens immobiliers en mauvais état, puis il a développé des projets brillants et a flatté la politique locale. Celle-ci se chargeait d’obtenir les autorisations nécessaires et de garantir les financements. Une fois cela fait, ces projets ont été revendus à des investisseurs à des prix élevés – et la caravane Benko poursuivait sa route, avec un bénéfice spéculatif confortable en poche, qui était immédiatement investi dans le prochain bien immobilier pourri.
La liste de ses compagnons de route et soutiens politiques est longue, même si aujourd’hui peu de gens veulent s’en souvenir. Alfred Gusenbauer, ancien chancelier fédéral, siège au conseil consultatif de la holding SIGNA, tout comme Susanne Riess-Hahn, ancienne vice-chancelière. Sebastian Kurz, également ancien chancelier fédéral, a entretenu des relations étroites et est apparu récemment comme conseiller de Benko.
En Allemagne, René Benko a reçu 700 millions d’euros de fonds publics pour la restructuration de la chaîne de grands magasins Galeria Karstadt Kaufhof. Entre-temps, l’État fédéral a dû amortir une grande partie des aides, estimées à plus de 500 millions d’euros au total. Le responsable final de l’attribution des aides économiques était le ministre de l’Économie de l’époque, Peter Altmaier (CDU). Le responsable final de l’imposition politique du projet SIGNA « Elbtower » à Hambourg était le maire de l’époque, Olaf Scholz. Celui-ci pourrait désormais être lui-même sous pression par suite de la faillite de SIGNA :
L’implication dans l’affaire d’une banque privée hambourgeoise, qui avait d’abord bénéficié d’une remise d’impôts de plusieurs millions, en fait partie. La relation avec Benko aussi. Car les finances et leurs particularités rattrapent Scholz sous la forme de l’effondrement du groupe Signa de René Benko. Signa laisse également à Hambourg un chantier qui n’est pas de la tarte .
Lorsque des investisseurs privés prennent des risques importants dans leurs placements financiers, c’est leur affaire. Mais il en va autrement lorsqu’il s’agit d’institutions étatiques et publiques qui doivent orienter leurs actions en fonction de l’intérêt général. La construction de l’Elbtower à Hambourg a été initiée par la ville hanséatique – aujourd’hui, l’avenir du chantier est incertain. Il en va de même pour la transformation totale de l’ « Alte Akademie » à Munich en un quartier chic – l’État libre de Bavière avait cédé l’Alte Akademie à Benko selon un droit d’emphytéose pour son utilisation.
Il en va de même pour les banques régionales. Celles-ci sont des établissements de droit public et servent des objectifs publics.
Qu’il s’agisse de la Landesbank Hessen-Thüringen, de la LBBW dans le Bade-Wurtemberg ou de la Bayern-LB, toutes ont donné de l’argent à Benko dans l’attente de bons rendements, on parle à chaque fois de montants à trois chiffres en millions. Le groupe Union-Investment, une filiale des Volks- und Raiffeisenbanken, c’est-à-dire des banques coopératives, est également de la partie. Quelle dérision, puisque celles-ci ont été fondées autrefois pour apporter une aide financière autonome aux petites gens.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/12/13/effondrement-de-signa-vers-une-vague-de-faillites-en-europe-partie-1-par-ulrike-reisner/
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