On peut difficilement trouver mieux dans l’“art opératoire” de la relation publique et de la communication. Au moment où le Sénat US jusqu’alors aveuglément pro-Zelenski rejetait l’aide US à l’Ukraine, le cortège de l’Iliouchine présidentiel russe accompagné de quatre Soukhoi 35S atterrissait à Abou Dabi puis, quelques heures après, à Ryad pour des visites jubilantes (de tous les côtés) de Poutine à ses amis MbZ et MbS. Les quatre Su-35S ont été autorisés dans les deux cas à faire un vol de démonstration lors des rencontres, au-dessus des capitales, avec les quatre trainées de fumée des quatre couleurs (blanc, bleu, rouge) du drapeau russe, avec d’autres vols du même type de la part de chasseurs des pays d’accueil (du “bon boulot” ironique pour les F-16 émirati !). Tout était résumé, dans le style des créateurs d’évènements, de l’événement (le vrai, celui-là) de l’effondrement de l’empire américaniste avec l’Occident-poussif dans ses basques.
Donc deux volets évènementiels réalisés selon un “art opératoire” coordonné digne d’une offensive-surprise sur le terrain de la guerre (en Ukraine). La rapidité et la coordination des deux opérations sont extraordinairement significatives, d’autant qu’il n’y a pas eu une maîtrise humaine complète mais une très rapide adaptation des auteurs de la séquence. Le voyage-éclair de Poutine, décidé et réalisé en un temps record, dépendait évidemment des seuls acteurs impliqués ; le vote du Sénat US, avec le parti républicain soudainement rassemblé dans une surprenante unanimité (à la Chambre aussi bien qu’au Sénat) contre l’aide à l’Ukraine demandée par Biden, dépendait évidemment du seul pouvoir politique US. Des deux côtés, la coque de l’Empire américaniste aux abois se disloque.
Nous allons examiner les deux volets de cette séquence importante, en donnant la priorité à la situation aux USA, qui est grosse de conséquences extrêmes et imprévisibles alors que la campagne présidentielle commence à tourner à plein regime sans qu’on en sache plus, non seulement sur son issue, mais même sur ses participants, et même encore moins sur son déroulement.
RapSit-USA-2023 : chaos au Congrès
Ces deux ou trois dernières semaines, la situation a changé à Washington. La tension ukrainienne qui soulevait d’enthousiasme guerrier et financier les élitesSystème s’est dégonflée comme un pneu crevé avec le bruit désormais assourdissant de la défaite ukrainienne et de la disgrâce de Zelenski, tandis que la “guerre de Gaza” met tout le monde bien mal à l’aise, – avec des alliés-obligatoires comme ça (Israël), qui ne le serait... Donc, Terrain miné des deux côtés et alors resurgissent les problèmes intérieurs énormes puisqu’il faut alimenter la communication de campagne. ‘Spoutnik’ français donne un bon résumé d’un film qu’on pourrait appeler “Chaos au Congrès”, tourné juste avant le vote de l’incroyable défaite de Biden au Sénat, et marqué par l’extraordinaire médiocrité d’une délégation de l’administration venue plaider la cause de l’Ukraine auprès des républicains.
« Les élus républicains refusent de valider le plan d’aide à hauteur de 110 milliards de dollars destinés en grande partie à l’Ukraine, mais aussi à Israël, Taiwan et à la frontière entre le Mexique et les États-Unis sans un durcissement de la politique migratoire.
» Les détails sur les échanges et l’ambiance durant cette rencontre ont fuité dans la presse occidentale:
» ‘Washington Post’ : “Au moins une douzaine de républicains ont quitté la réunion après avoir ignoré la présentation préparée.”
» ‘New York Times’ : “La réunion au Sénat s'est transformée en une algarade entre les deux partis. Ce fiasco est annonciateur de l'échec du vote sur la nouvelle enveloppe d’aide à Kiev.”
» ‘Politico’ : “L'administration a donné des réponses fades et répétitives sur l'Ukraine, a affirmé la sénatrice Deb Fischer.
» ‘Hill’ : “La discussion s'est tellement enflammée que certains sénateurs républicains ont dû crier leurs questions aux représentants de l’administration Biden. Par ailleurs, la minorité républicaine a été accusée de vouloir refouler la discussion sur l’Ukraine, transformant cette discussion en une lutte sur la politique d’immigration.” »
Le vote final (nécessitant 60 voix pour) sur l’adoption du projet de loi approuvant la requête de l’administration a suivi : 49 pour, 51 contre, – les 49 républicains contre, Bernie Sanders comme Indépendant votant le plus souvent démocrate votant cette fois avec les républicains, et le leader démocrate Schumer votant ‘non’ dans une affaire perdue d’avance pour avoir éventuellement le droit de susciter un nouveau vote dans les semaines qui viennent. Ce résultat est totalement incroyable par rapport à l’atmosphère qui régnait au Sénat il y a à peine deux mois.
« Il y a quelques semaines, nous dit Mercouris, la possibilité de voter cette tranche d’aide était extrêmement bonne. De nombreux sénateurs républicains, et surtout les sénateurs les plus influents de l’establishment républicains, comme Mitch McConnell, Lindsey Graham, Mitt Romney, étaient tous complètement engagés dans cette affaire... McConnell et Graham avaient eu une rencontre avec Zelenski lorsque ce dernier fit sa dernière visite aux USA, Mitch McConnell faisant aussitôt après un commentaire étonnamment exalté, allant jusqu’à cette déclaration qu’il doit regretter aujourd’hui, et dont il espère qu’on l’aura oubliée, selon laquelle la plus importante de toutes les priorités pour les républicains était le soutien inconditionnel et financier massif à l’Ukraine... »
Que s’est-il donc passé ? Il y a beaucoup de choses à dire, aussi résumera-t-on rapidement notre sentiment. L’effondrement ukrainien en parallèle avec les emportements et ambiguïtés de la “guerre de Gaza” ont mis en évidence à la fois le pourrissement de l’engagement en Ukraine autant qu’une mise en question implicite des engagements militaires des USA dans le monde, – – point le plus important et promis à devenir une polémique révolutionnaire pour la saison extraordinaire qui vient (2024, présidentielles).
Comme on l’a dit, une telle dérive exacerbe les crises intérieures dont se fiche l’administration Biden, et notamment ce qu’un nombre croissant de républicains jugent être la “crise existentielle” pour les USA de l’immigration illégale (9 millions d’immigrants illégaux depuis que Biden est au pouvoir, encore 5 millions à attendre d’ici le vote de novembre 2024). Parallèlement au Sénat, les républicains de la Chambre, majoritaires, se sont prononcés en vote interne à 100% contre l’aide à l’Ukraine, avec un le nouveau Speaker Mike Johnson, l’inconnu du lot s’avérant excellent dans cette fonction fondamentale, surtout pour la droite républicaine.
Le discours geignard de Biden après le vote annonçant dans le désordre une attaque de Poutine contre l’OTAN, mais également contre les USA, a été pathétique d’inexistence. Son administration essaie de réparer les dégâts en cherchant des concessions, notamment sur la frontière Sud, qui séduirait quelques républicains, pour une relance du vote. Tout cela dégage une forte odeur de rance comme disent les intellectuels français à propos de la France considérée comme une toilette où la chasse ne marche plus.
Petite balade en Su-35S dans le Golfe
En une seule journée, Poutine a bouclé deux visites capitales, – les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite. Cela nous a valu d’innombrables vidéos avec des sujets extrêmement photogéniques, d’autant que la délégation russe n’a pas lésiné sur la présence et la présentation des quatre Su-35S d’escorte, évoluant avec les trois couleurs russes en trainées d’apparat dans un ciel superbe, au-dessus des palais et des pelouses éclatantes, des arcs de triomphe, des coups de canon d’accueil, des belles limousines et des soldats en rangées d’honneur : un apparat exceptionnel pour de si courtes visites, d’une Russie aujourd’hui au faite de sa puissance (les Su-35S ont fait “du bon boulot” [bis] et de l’œil aux F-16). Ce n’est pas pour un Blinken ou pour un Biden qu’on en ferait le centième.
On a parlé BRICS+, OPEP+, “guerre de Gaza”, et l’esprit était celui de la nouvelle entente régnant entre ces diverses puissances extérieures qui trouvent aujourd’hui un élan exceptionnel, – pendant que le Congrès se dépatouille avec ses 10 et 100 $milliards que Zelenski attend vainement. La concordance des évènements était tellement fortuite qu’on pourrait en faire un ‘bockbuster’ pour Hollywood. C’est bien la patience stratégique, cette vertu de joueur d’échec, qui est la principale vertu de Poutine... Son jaillissement de quelques heures dans ces pays du Golfe, au milieu du boucan des Su-35S et des embrassades de MbZ et MbS contraste extraordinairement, – comme un tonitruant ‘échec et mat !’, – avec sa discrétion et son effacement pour la région depuis le 7 octobre, pendant que Biden et Blinken s’y épuisaient en s’y brûlant les ailes.
Le rythme, le rythme ! Tout est là !
On voit combien, dans un coup de maître de la communication à partir d’un jeu qui n’était pas dans la seule main des instigateurs, on déploie l’extraordinaire vertu de mettre ensemble, dans un même sens, toutes les “sous-crises” aujourd’hui en pleine effervescence. Ce sont l’Ukraine et la “guerre de Gaza”, mais aussi la catastrophique crise du pouvoir aux USA et les autres crises internes, – surtout celle, “existentielle”, de l’immigration sur la frontière Sud devenue le cheval de bataille des républicains... Et l’on obtient le rassemblement de plus en plus antiaméricaniste du ‘Sud global’ avec comme leader cet immense pays du Nord sinon d’ailleurs qu’est la Russie, et tout cela avec la perspective très rapprochée du rassemblement au sein des BRICS+. Chapeau les artistes, chapeau au maître d’entre eux, Poutine.
Mais il n’est pas temps de distribuer des bons points dont on connaît bien les récipiendaires. Il est temps d’abord et surtout, essentiellement et ontologiquement, de mesurer l’extraordinaire progression de la GrandeCrise car tous ces évènements suscitent surtout la capacité de développer de terribles craquements qui pulvérisent l’ordre en place de notre civilisation. Devant eux, les dirigeants américanistes s’il y en a hors des poupées de son, le DeepState s’il sait encore quel est son rôle, les sénateurs corrompus et les généraux chargés de décorations gagnées dans les bureaux du Pentagone, les clowns experts en corruption des lobbies washingtoniens, ne savent que dire. Ils regardent, horrifiés, le sol se dérober sous leurs pieds. Ils ne peuvent se déprendre d’une certaine admiration pour les capacités de légèreté et de danseur habile de l’étoile du Bolchoï Poutine, – en plus de sa patience stratégique de joueur d’échec, – tandis que les monarques du Golfe croulant sous les $milliards se trouvent soudainement à l’aise devant ce réaliste qui est capable de se déplacer sans son missel ni ses avions chargés jusqu’à la gueule de leçons de morale américaniste-occidentaliste.
Nous voulons dire par là qu’il y a bien entendu des acteurs humains dans cette immense tragédie non exempte de bouffe, certains lamentables et pitoyables, d’autres roués et finement habiles, certains menteurs comme des mécaniciens-dentistes, d’autres francs du parler parce qu’ils savent que la franchise est une arme parfois imparable, mais aucun ne peut se prétendre ni inspirateur, ni maître, ni même devin de toute cette mécanique crisique qui nous emporte.
Le rythme, le rythme ! Tout est là et il nous est donné par des impulsions dont la cause nous échappe, qui s’exercent avec une dynamique exceptionnelle en soi, – nous le constatons chaque jour. C’est comme une respiration du monde, et d’un monde en un rude et brutal effort de transformation. Nous disons “Le rythme, le rythme !”, comme Talleyrand disait “Le caractère, le caractère, tout est là !”
Note de PhG-Bis : « Pour le compte de PhG, je rappelle cette note de décembre 1813 précisément, une scène rapportée par Charlotte de Laborie, fille d’Antoine-Athanase Roux de Laborie, ami de Talleyrand, dans le château desquels le maître de la diplomatie souveraine expliquait :
» “Je suis bien aise de vous communiquer une pensée qui est venue dans beaucoup de têtes mais que je n’ai vu bien nettement développée nulle part. Il y a trois choses nécessaires pour former un grand homme, d’abord la position sociale, une haute position ; ensuite la capacité et les qualités ; mais surtout et avant tout le caractère. C’est le caractère qui fait l’homme.‘ Et il citait, poursuit-elle, à l’appui de son dire, tous les demi-dieux de l’histoire : Alexandre, César, Frédéric, et ajoutait : ‘Si un des pieds de ce trépied qui doit se maintenir par l’équilibre doit être plus faible que les deux autres, que ce ne soit pas le caractère… que ce ne soit pas le caractère !” »
... C’est-à-dire que nous disons “Le rythme, le rythme ! Tout est là !” en voulant également et par là désigner d’une part ce qui nous vient d’ailleurs, d’autre part ce qui est dans notre capacité d’en faire grand cas avec tout le respect nécessaire. Ces évènements extraordinaires, que nous aurions tendance à mettre à l’actif de ceux qui y figurent en bonne place, il faut d’abord les considérer dans toute leur puissance structurante (même et surtout s’ils déstructurent ce qui doit l’être), dans toute leur souveraine autonomie, dans toute l’onction de leur grâce. Le caractère permet cela.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.