11 novembre 2023

Armée – nation

Financement de l’armée, retour du service militaire, création d’une réserve opérationnelle, les débats ne manquent pas sur les sujets de la défense et de la protection du territoire. Quitte à parfois oublier l’essentiel.

L’essentiel, c’est qu’une armée n’existe pas pour soi, pour fonctionner en vase clos, entre militaires. La seule raison d’être d’une armée, c’est d’être au service de la protection et de la survie de la nation. L’armée est à la fois la garante de la sécurité nationale et la conséquence de l’existence d’une nation. Ou pour le dire autrement, s’il n’y a pas de nation, il ne peut pas y avoir d’armée. Avant de poser le débat sur le rôle et le fonctionnement de l’armée, c’est d’abord la question de la nation et de sa pérennité qui est posée.

Une armée au service de la nation

Dans un livre récemment paru, l’historien Paul Lenormand étudie l’armée de la Tchécoslovaquie entre 1938 et la fin des années 1950 (Tchécoslovaques en guerre. De Munich à la Guerre froide, Passés Composés, 2023). S’il y a de nombreuses remarques très intéressantes dans cet ouvrage, qui est issu de sa thèse de doctorat, il y a une question fondamentale qui parcourt tout le livre, celui d’une armée au service d’un pays lui-même composé de populations issues de plusieurs nations : des Tchèques et des Slovaques bien sûr, mais aussi des Allemands, des Hongrois et quelques Polonais. Or cette armée est essentiellement constituée de Tchèques, notamment parmi ses officiers. Si c’est bien une armée de la nation tchèque, c’est un défi que d’en faire une armée de la nation tchécoslovaque et encore plus une armée qui représente tous les peuples de la Tchécoslovaquie. Raison pour laquelle dans les grands empires, notamment l’empire austro-hongrois, chaque nation avait son régiment et son détachement, représentant une nation au service de l’Empire.

C’est pour cela que l’Europe de la défense n’existera jamais, parce que l’Europe n’est pas une nation. Il peut y avoir des alliances entre les armées polonaises, italiennes ou françaises, mais jamais une même armée, avec un même commandement et un même objectif. Un général me faisait un jour remarquer, sur le mode de la boutade, que l’armée est la seule entreprise où des personnes sont prêtes à donner leur vie pour un SMIC. Parce qu’il y a derrière ce métier si particulier la conviction profonde que l’on sert sa nation et que l’on garantit l’assurance vie du peuple auquel on se rattache.

Quand Louis-Philippe a voulu intégrer des étrangers au sein de l’armée française, il a créé le modèle de la Légion étrangère, reprise des anciens mercenaires suisses, mais qui peuvent devenir français « par le sang versé » selon la formule consacrée. Des légionnaires à qui l’armée assure qu’ils ne seront jamais envoyés au combat contre leur ancienne patrie.

Ce n’est donc pas l’armée qui fait la nation, mais la nation qui fait l’armée. Ce qui est aussi une façon de clore le débat perpétuel sur le service militaire.

Service militaire : faux débat

Depuis qu’il a été suspendu (et non pas supprimé), le retour du service militaire revient comme un serpent de mer et un marronnier politique. Derrière cette idée du retour, la pensée quasi magique que l’armée pourrait régler tous les problèmes. Ramasser les poubelles quand les éboueurs de Marseille sont en grève, secourir les populations lors des inondations, traquer le terrorisme et créer de la cohésion nationale. L’armée n’est pas une baguette magique. Elle a une fonction, qui est celle de protéger la nation. Avec un budget limité et des contraintes de plus en plus fortes. Son rôle n’est pas de redresser des adolescents de 18 ans ni de lutter contre les inégalités.

La vision de l’armée perçue comme un creuset national est un mythe, né sous la IIIe République, à l’époque où la plupart des officiers étaient des républicains convaincus et voyaient dans l’armée l’arche sainte du nouveau régime. Le service militaire était à l’image de la société française : il oscillait entre les passe-droits et la règle commune. Entre les réformés divers et ceux qui étaient affectés à des postes de bon niveau grâce au secours d’un général. S’il a disparu dans les années 1990, dans un consensus total et sans aucune nostalgie à l’époque, c’est parce que plus personne n’en voulait, ni les civils ni les militaires. Dans un sondage réalisé en octobre dernier par la Retraite mutualiste du combattant, les sondés étaient ainsi nombreux à demander le retour du service, quand ils appartenaient à la classe d’âge qui n’était pas concernée. Quand plus de 70% des 18-24 ans, c’est-à-dire les personnes directement concernées, sont opposés à son retour. Impossible d’imposer une pratique aussi coercitive à des jeunes qui y sont autant opposés. À quoi s’ajoutent le manque d’infrastructures pour accueillir les soldats et le manque de bras pour les encadrer. L’armée de Terre rencontre aujourd’hui des difficultés de recrutement. Ce n’est pas en offrant, comme perspective, d’être garde-chiourme de populations pénibles qu’elle pourra se rendre attractive. L’armée a pour mission de défendre le territoire national, pas de suppléer aux parents défaillants ou de corriger les déviances de l’Éducation nationale.

L’enjeu n’est donc pas un quelconque service militaire, mais de disposer d’armées qui soient réellement opérationnelles, avec des budgets conséquents, puisque là est la première et principale mission de l’État. Puis de développer une réserve, sur la base du volontariat, pour des missions de sécurité intérieure ou de projection.

Armée : un budget en hausse

Après des années de baisse continue, le budget des armées est en hausse régulière depuis 2017.

 Budget militaire de la France, en milliards d’euros

2017 : 32.3

2018 : 34.1

2019 : 35.8

2020 : 37.5

2021 : 39.2

2022 : 42.4

2023 : 43.9

Prévisions

2025 : 50

2028 : 64.7

2030 : 69

C’est une bonne chose, il était temps. Mais l’on reste encore en deçà des 2% du PIB. Le retard à rattraper est si grand que cet accroissement budgétaire vient surtout compenser des trous. D’autant que ce budget est souvent mal réparti. Très concentré sur des projets de très haute valeur, comme le porte-avion ou la défense nucléaire, il a tendance à négliger les besoins quotidiens en petits matériels. Il faut un porte-avion, il en faut même au moins deux, il faut aussi une force de dissuasion nucléaire, mais il faut également tout le reste : des véhicules, des hélicoptères, des munitions, des vêtements, des casernes rénovées, des soldats et des officiers correctement rémunérés. Le concept de guerre de « haute intensité », tel qu’il fut développé à la fin des années 2010, a souvent servi d’élément de langage de communication pour justifier une hausse des budgets militaires. En mettant l’accent sur les engins de grand calibre et les technologies dernier cri, il a parfois placé au second plan le matériel quotidien, pourtant indispensable.

Pour utile et nécessaire qu’elle soit, l’arme nucléaire ne fait pas tout et n’est pas l’unique instrument de notre défense. De nombreux combats se situent en dessous du seuil d’usage nucléaire. Il faut alors disposer d’artillerie, d’hélicoptères et de feux dans la profondeur pour répondre à la vivacité de l’ennemi. On le voit actuellement à Gaza : Israël ne fait pas usage de son feu nucléaire, qui ne lui serait d’aucune utilité contre le Hamas et qui n’a pas empêché l’attaque de celui-ci le 7 octobre dernier. Mais Tsahal utilise le renseignement, la captation des écoutes, l’artillerie et les chars pour s’emparer de la ville de Gaza et prendre au piège le Hamas dans ses tunnels. Une intervention militaire couteuse en hommes et en budget qui n’est possible que parce que les Israéliens ont conscience d’appartenir à une même nation et qu’ils sont prêts à effectuer les sacrifices nécessaires pour soutenir l’opération militaire et la voir réussir. Sans cet indispensable soutien, aucune intervention militaire ne serait possible.

Jean-Baptiste Noé

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