La confrontation centrale de ce siècle se déroulera entre la Chine et les États-Unis. Tout le monde en est désormais convaincu. Cela place l’Union européenne devant un choix crucial et nul ne peut certifier que l’unanimité régnera parmi les pays membres quant aux décisions futures à prendre. En outre, divers scrutins dans des pays européens montrent une poussée contestataire, ce qui suscite forcément des interrogations quant aux prochaines élections européennes de juin 2024. Quelle majorité sortira au Parlement européen avec les 705 nouveaux élus ? D’ores et déjà, Berlin bat campagne. Ainsi, dans une interview à Die Welt, le futur ambassadeur d’Allemagne en Russie, Alexander Lambsdorff, a déclaré que les États européens devraient se rassembler pour soutenir leur « partenaire démocratique », à savoir les États-Unis. Le terme « partenaire » prête pourtant à sourire. Mais l’on doit comprendre que, pour plaire à Washington, l’UE entend détruire les relations avec la Chine, comme elle l’a déjà fait avec la Russie.
« Il devrait être clair pour nous, Allemands, que nous ne sommes pas un petit acteur au plan mondial, mais nous ne sommes pas non plus une superpuissance. Le conflit central du 21e siècle se déroulera entre les États-Unis et la Chine. Par conséquent, nous devons savoir de quel côté nous sommes », a déclaré le diplomate. Lambsdorff estime qu’actuellement la RFA est trop perméable aux manipulations de Pékin.
Selon lui, la raison en revient à la dépendance de l’Allemagne vis-à-vis de la RPC dans un certain nombre de sujets. « Cela s’applique à des domaines tels que l’achat de matières premières et de produits finis, ainsi que les ventes à certaines entreprises. Pensez aux masques pendant la pandémie de coronavirus ou à la disponibilité limitée des médicaments », a déclaré l’ambassadeur d’Allemagne. Cependant, celui-ci estime que les entreprises allemandes ne sont pas obligées de réduire leurs activités sur le marché chinois, bien qu’elles doivent tenir compte que la phase aiguë du conflit entre la Chine et les États-Unis peut menacer leurs activités, voire les mettre en péril.
Pour Lambsdorff, le partenariat transatlantique est actuellement extrêmement bénéfique…
Lambsdorff est également convaincu que le partenariat transatlantique est actuellement extrêmement bénéfique. Ce partenariat est conforme à ses convictions personnelles libérales, a-t-il déclaré Die Welt.
L’attachement du diplomate à l’idée de solidarité transatlantique est compréhensible : dans les années 2000, il a travaillé à l’ambassade d’Allemagne aux États-Unis. A son retour d’outre-Atlantique, il a occupé le poste de conseiller sur la Russie au ministère allemand des Affaires étrangères. De 2004 à 2017, il a été membre du Parlement européen. Le consentement préalable de Moscou à sa fonction d’ambassadeur a déjà été reçu, et dans un proche avenir, il devrait arriver dans la capitale russe.
Il est clair que le principal point de conflit qui peut grandement compliquer les relations américano-chinoises déjà difficiles aujourd’hui est la situation autour de l’île de Taiwan. Bien que la partie américaine reconnaisse formellement la souveraineté de la Chine sur elle, elle a déclaré à plusieurs reprises qu’elle aiderait Taïwan si elle était attaquée par la Chine.
SvPressa a interrogé Vladimir Zharikhin, politologue, directeur adjoint de l’Institut des pays de la CEI, membre du Conseil stratégique national ainsi que Vladimir Shapovalov, directeur adjoint de l’Institut d’histoire et de politique de l’Université pédagogique d’État de Moscou.
« SP » : Que faut-il comprendre des déclarations de Lambsdorff ?
« VZ » : Il faut se souvenir de l’histoire. Bien sûr, Lambsdorff est un diplomate expérimenté et il sait de quoi il parle. Mais rappelons-nous qu’à un moment donné, une personne portant ce même nom de famille s’était rendue à Tallinn pour annoncer que l’Allemagne avait attaqué la Russie. Apparemment, ce Lambsdorf appartient aux héritiers de ce personnage, peut-être même est-il son arrière-petit-fils. Ses propos indiquent donc la continuité. Par ailleurs, je tiens à vous rappeler que ce n’est pas par hasard si nous appelons les Britanniques et les Américains des Anglo-Saxons. Qui étaient les Saxons ? Des tribus germaniques qui ont ensuite conquis les îles britanniques. Dès lors, il n’est pas difficile de comprendre que les Allemands ont encore beaucoup plus en commun avec les Anglo-Saxons qu’avec les Chinois. Ils sont des représentants assez brillants de ce monde occidental unique. C’est nous, la Russie, qui pouvons bien prendre le parti de la Chine dans ce conflit. Mais eux, les Allemands, ne le peuvent pas. Et ici, le rôle principal n’est pas joué par des considérations pragmatiques, mais, comme l’on-dit, par l’appel du sang. Ce sont des représentants du monde occidental uni avec toutes les conséquences qui en découlent.
« SP » : En fait, Lambsdorff a reconnu la capacité très limitée de l’Europe à prévenir ce conflit, bien que des politiciens européens se soient récemment rendus assez de façon active en Chine pour des négociations
« VZ » : La confrontation entre les États-Unis et la Chine est assez large – c’est un conflit entre deux différents mondes. Dans l’un, le monde occidental est clairement perdant dans la compétition purement économique et il tente par divers moyens, y compris par la force, d’améliorer sa position. Par conséquent, je ne séparerais pas l’Allemagne, l’économie allemande, l’État allemand de l’état d’esprit général du monde occidental, dont les leaders, bien sûr, sont les Anglo-Saxons. Mais c’est toujours cette communauté – et non d’autres circonstances, en particulier une sorte de servilité ou un degré de dépendance – qui sous-tend l’attitude des pays d’Europe occidentale envers les États-Unis et la Grande-Bretagne, y compris dans le conflit actuel avec la Russie.
« SP » : Vladimir Shapovalov, vous avez déclaré que Lambsdorff diffusait la position officielle récemment approuvée lors du sommet de l’UE à Bruxelles où ont été discutés entre autres, le conflit ukrainien et les relations avec Chine. Pouvez-vous préciser ce point ?
« VS » : Ce n’est un secret pour personne qu’il existe différentes positions au sein de l’Union européenne sur les relations avec la Chine. L’un d’eux, franco-allemand, préconise qu’il faille interagir avec la RPC. L’autre est reflété par les pays d’Europe de l’Est, qui croient qu’il faut suivre la ligne américaine, et donc entré en conflit avec ce pays. Les États d’Europe occidentale, en particulier l’Allemagne, la France et l’Italie, ont beaucoup en commun avec la Chine : ils ont des contacts économiques très étendus. Mais en même temps, ces pays ont désormais perdu leur objectivité et sont incapables d’assurer leurs propres intérêts. A cause de cette perte de souveraineté, ils ont mis fin à des relations avec la Russie qui leur étaient très bénéfiques : le Nord Stream a explosé, et d’autres liens économiques ont été coupés. Et maintenant, ils vont également rompre les contacts avec la Chine, ce qui n’est pas rentable pour les économies des pays européens, principalement l’Allemagne. Cependant, cela fait le jeu des mêmes États-Unis. Car une telle Europe ne sera pas une concurrente pour eux et elle se transforme déjà en un objet d’exploitation par les entreprises américaines. Et dans cette situation, Lambsdorff, comme le reste de l’élite politique allemande suit la voie pro-américaine de destruction de l’économie de son pays.
“SP”: Mais qu’est-ce qui a provoqué un tel parcours ? Est-ce l’engagement envers le principe de solidarité transatlantique ou y a-t-il d’autres raisons ?
« VS » : Tout d’abord, cela est dû au fait que les troupes américaines sont stationnées à Ramstein : l’Allemagne est toujours un pays occupé. Bien sûr, malgré la présence des troupes d’occupation, le gouvernement allemand a eu le courage de protéger les intérêts nationaux. Gerhard Schröder fut peut-être le dernier chancelier à avoir tenté une voie indépendante. Après lui, à commencer par Merkel, il y a eu une subordination complète de la politique et de l’économie allemandes aux Américains à travers une variété de leviers d’influence. Les politiciens qui ont tenté d’empêcher cela en Allemagne, en France, en Italie et dans d’autres pays ont été tout simplement écartés de la scène politique par le harcèlement, le discrédit, comme ce fut le cas avec François Fillon, Silvio Berlusconi et d’autres. Peu à peu, Washington a formé une classe politique en Europe, dans le sillage de sa politique. Soit dit en passant, le même Lambsdorf représente le « Parti des démocrates libres », qui est depuis longtemps sous le contrôle total de Washington. Désormais, les Verts, qui dominent la politique allemande, ont suivi la même ligne. Au moment de leur création, ils exprimaient une position anti-américaine, mais maintenant ils ont changé leur fusil d’épaule.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.