Jamais la volonté exterminatrice des élites de Davos ne s’est montrée plus enragée et avérée que cette année ; jamais la volonté d’en finir avec les pauvres de l’Europe n’a été aussi étalée au grand jour. Et en même temps on n’a jamais été si humanitaire et si écologiste et si désireux de préserver sans rire le climat ou la planète fût-ce au détriment de sept milliards de personnes choisies pour leur étique compte en banque.
Dans une page essentielle du capital (chapitre sur l’accumulation
primitive), Marx montre que l’élite féodale britannique – qui dirige
toujours ce monde d’une manière ou d’une autre – a toujours été
humanitaire et écologiste. Elle est humanitaire à distance c’est-à-dire
qu’elle aime le lointain (enfin, certains lointains) et qu’elle hait son
prochain.
Le socialiste Hobson parlera de l’inconséquence (inconsistency) des
impérialistes occidentaux. En fait ils savent ce qu’ils font ; mais
comme Tartufe ils tablent sur l’hypocrisie humanitaire qui sert en
général à éliminer quelques millions – bientôt quelques milliards de
personnes – avec l’aide des journaux qui n’ont jamais été que la voix
officielle (voyez ce qu’écrit Marx sur The Economist par exemple) des
maîtres. Mais comme nous parlions des victimes sans valeur, nous pouvons
parler des missions à valeur humanitaire ajoutée. Armer l’Ukraine
jusqu’à la disparition (déjà presque réalisée) de ce pays, de la Russie
et de l’Europe abrutie par la sous-culture industrielle de la féodalité
anglo-saxonne (cf. mes textes sur Céline, Zweig, Hesse…) sera ainsi le
résultat de cette mission à forte valeur ajoutée humanitaire.
J’en reviens à Karl Marx qui parle de l’effarante duchesse de Sutherland qui est anti-esclavagiste :
Lorsque Mme Beecher Stowe, l’auteur de la Case de l’oncle Tom, fut reçue à Londres avec une véritable magnificence par l’actuelle duchesse de Sutherland, heureuse de cette occasion d’exhaler sa haine contre la République américaine et d’étaler son amour pour les esclaves noirs, – amour qu’elle savait prudemment suspendre plus tard, au temps de la guerre du Sud, quand tout cœur de noble battait en Angleterre pour les esclavagistes, je pris la liberté de raconter dans la New-York Tribune [Edition du 9 février 1853. Article intitulé : The Duchess of Sutherland and Slavery. (N. R.)] l’histoire des esclaves sutherlandais.
Comme on l’a dit, l’aristocratie féodale britannique aime bien dépeupler (car le dépeuplement est décoratif). Marx explique encore :
George Ensor dit dans un livre publié en 1818 : les grands d’Écosse ont exproprié des familles comme ils feraient sarcler de mauvaises herbes; ils ont traité des villages et leurs habitants comme les Indiens ivres de vengeance traitent les bêtes féroces et leurs tanières. Un homme est vendu pour une toison de brebis, pour un gigot de mouton et pour moins encore… Lors de l’invasion de la Chine septentrionale, le grand conseil des Mongols discuta s’il ne fallait pas extirper du pays tous les habitants et le convertir en un vaste pâturage. Nombre de landlords écossais ont mis ce dessein à exécution dans leur propre pays, contre leurs propres compatriotes.
Et il revient à sa duchesse (pensez à Greta, Ursula, Angela, Jacinda, etc.) qui veut du pâturage :
Mais à tout seigneur tout honneur. L’initiative la plus mongolique revient à la duchesse de Sutherland. Cette femme, dressée de bonne main, avait à peine pris les rênes de l’administration qu’elle résolut d’avoir recours aux grands moyens et de convertir en pâturage tout le comté, dont la population…
On aime tous l’Ecosse des Highlands, beau désert pour touristes. Problème : on en a fait un désert (pensez aux incendies géo-ingéniérés d’Australie qui ont facilité la concentration d’esclaves urbains) :
De 1814 à 1820, ces quinze mille individus, formant environ trois mille familles, furent systématiquement expulsés. Leurs villages furent détruits et brûlés, leurs champs convertis en pâturages. Des soldats anglais, commandés pour prêter main-forte, en vinrent aux prises avec les indigènes. Une vieille femme qui refusait d’abandonner sa hutte périt dans les flammes. C’est ainsi que la noble dame accapara 794 000 acres de terres qui appartenaient au clan de temps immémorial.
On envoie ensuite les survivants des Highlands au bord de la mer (pensez au légendaire film écossais Local Hero) :
Une partie des dépossédés fut absolument chassée; à l’autre on assigna environ 6 000 acres sur le bord de la mer, terres jusque-là incultes et n’ayant jamais rapporté un denier. Madame la duchesse poussa la grandeur d’âme jusqu’à les affermer, à une rente moyenne de 2 sh. 6 d. par acre, aux membres du clan qui avait depuis des siècles versé son sang au service des Sutherland. Le terrain ainsi conquis, elle le partagea en vingt-neuf grosses fermes à moutons, établissant sur chacune une seule famille composée presque toujours de valets de ferme anglais. En 1825, les quinze mille proscrits avaient déjà fait place à 131 000 moutons. Ceux qu’on avait jetés sur le rivage de la mer s’adonnèrent à la pêche et devinrent, d’après l’expression d’un écrivain anglais, de vrais amphibies, vivant à demi sur terre, à demi sur eau, mais avec tout cela, ne vivant qu’à moitié.
Dans Local Hero, la jolie fille a comme des oreilles de poisson…
En réalité la chasse a toujours servi à dépeupler et à martyriser non seulement les animaux mais surtout les humains (Taine en parle dans son Tome I des origines : le paysan a moins de droits que le gibier du noble) ; et l’activité de Nemrod sert à développer l’éternel programme malthusien.
Marx :
L’amateur à la recherche d’une chasse ne met, en général, d’autre limite à ses offres que la longueur de sa bourse… Les Highlands ont subi des souffrances tout aussi cruelles que celles dont la politique des rois normands a frappé l’Angleterre. Les bêtes fauves ont eu le champ de plus en plus libre, tandis que les hommes ont été refoulés dans un cercle de plus en plus étroit… Le peuple s’est vu ravir toutes ses libertés l’une après l’autre… Aux yeux des landlords, c’est un principe fixe, une nécessité agronomique que de purger le sol de ses indigènes, comme l’on extirpe arbres et broussailles dans les contrées sauvages de l’Amérique ou de l’Australie, et l’opération va son train tout tranquillement et régulièrement.
Purger le sol de ses indigènes tel est le mot du jour. La purge est devenue systématique et écologique. On complètera Marx par une relecture (voir mon texte) du génial Polanyi et des destructions du monde traditionnel par le développement industriel de la culture moderne : fabriquer des abrutis prit du temps.
Nicolas Bonnal
Sources
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