"L’île aux parfums est devenue l’île aux enfers". Ce cri d’alerte, lancé par le maire de Mamoudzou, en dit long sur ce qu’il se passe en ce moment à Mayotte.
Depuis 10 jours en effet, Mamoudzou, la plus grande ville de l'île de Mayotte, est secouée par des conflits inter-quartiers. Des conflits violents qui s’enlisent à mesure que les victimes augmentent. "C’est tout simplement la guerre. Aujourd’hui à Mayotte, nous vivons dans un climat de tension extrême, un climat insurrectionnel", explique Denis Herman, rédacteur en chef des Nouvelles de Mayotte. "Nous vivons dans un climat de guerre civile", ajoute-t-il.
Que vaut la vie de nos enfants qui vont à l'école la peur au ventre depuis des mois?
Estelle Youssouffa, députée de Mayotte
La guerre civile, c’est justement ce que craint Estelle Youssouffa, députée de Mayotte. Parlant de "barbarie" ou encore de "terreur", elle lance un "cri de détresse".
"On parle de hordes de centaines de jeunes, la plupart d'entre eux, des migrants comoriens en situation irrégulière, qui ont entre douze et treize ans, sont armés de machettes et qui sèment la mort", a-t-elle affirmé. "On se demande quand est-ce que trop c'est trop? Que vaut la vie de nos enfants qui vont à l'école la peur au ventre depuis des mois?".
Un " cycle de vendetta"
Cette nouvelle crise, car ce n'est pas la première, a pris racine le 12 novembre dernier, après le meurtre d’un jeune de 20 ans, tué à coup de "chombos" (sorte de coupe-coupe utilisé pour le travail des champs, ndlr) par une bande rivale. Sa mort suscite alors l’émoi dans le quartier de Kawéni, d’où il était originaire. Rapidement, l’émotion se transforme en colère et le quartier s’embrase. Il doit être vengé. Estelle Youssouffa décrit cela comme un " cycle de vendetta".
"Bus attaqués", "mains sectionnées", de jour comme de nuit, et désormais dans tous les quartiers de Mamoudzou, des bandes de jeunes rivales s’affrontent, dans le sang, sous le regard impuissant et inquiet de la population locale. "Des jeunes cagoulés armés de machettes et de couteaux arrêtent des bus en pleine rue, ils montent à bord et saccagent tout à l'intérieur. Il n’est pas rare également qu’ils règlent leurs comptes avec d'autres jeunes qui se trouvent à bord. S’il arrive qu’un ou deux soient tués et bien, ce n’est pas grave. C'est vraiment de la barbarie à l'état pur", s’indigne Denis Herman. "La population est tellement terrorisée que dès 18h, une fois la nuit est tombée, plus personne ne sort", ajoute-t-il.
Denis Herman est rédacteur en chef des Nouvelles de Mayotte, un quotidien indépendant diffusé par abonnement sur internet. Il vit à Mayotte depuis 24 ans.
Au même moment, depuis la fenêtre de son bureau, le journaliste aperçoit de la fumée. "J'entends des tirs de lacrymogène en face de chez moi. Les affaires continuent alors qu'il fait encore jour", indique-t-il.
Paris ne répond plus
La situation n'est pourtant pas nouvelle. Mi-octobre déjà, des maires et élus de Mayotte avaient alerté Paris sur la violence "invivable" et croissante dans le département. Ils exigeaient alors que "l’État assume pleinement sa mission régalienne de sécurité". Quelques mois plus tôt, en août, le ministre de l'Intérieur et des Outre-Mer, Gérald Darmanin, avait lui promis des renforts de gendarmerie disponibles dès l'été prochain. Il annonçait également revenir à la fin de l’année.
"Vous savez, les ministres passent, ils font des annonces et puis bon … C’en est assez des effets d’annonce. J’ai vu passer des ministres, des présidents de la République. Tous ont fait des promesses, des annonces extraordinaires. Gérald Darmanin, est venu en août dernier. Il a dit qu’il reviendrait en novembre avec des choses concrètes à nous dire. Nous sommes fin novembre, presque début décembre et il n'est pas là. Pendant ce temps-là, la situation s’enlise", raconte Denis Herman qui vit à Mayotte depuis 24 ans.
Parfois, il n’y a même pas assez d’eau pour tout le monde, alors on la coupe. Nous vivons dans une précarité qui est difficilement imaginable.
Denis Herman, journaliste et rédacteur en chef des Nouvelles de Mayotte
Dans son édition du 18 novembre, le rédacteur en chef des Nouvelles de Mayotte appelle ainsi Paris à se réveiller et à mettre "le paquet" pour rétablir la paix à Mayotte."L’État sait très bien ce qu’il se passe, les informations circulent. Malheureusement, il ne prend visiblement pas la pleine mesure de la situation et c'est regrettable", déplore-t-il.
Face l'escalade, le ministère de l’Intérieur a tout de même annoncé le déploiement d’une "dizaine de policiers" du Raid, l’unité d’élite de la police. Un déploiement qui ne semble pas convaincre. "Que vont faire ces dix policiers ? Pas grand-chose car ce n’est pas leur corps de métier d'aller courir après des voyous dans des favelas", s’indigne Denis Herman. Lui se dit qu'il vaudrait mieux décréter un couvre-feu ainsi que l’état d’urgence, quitte à ce que l’armée prenne position dans les rues. L'arrivée du Raid semble toutefois avoir rapporté un peu de calme, mais jusqu'à quand ?
Interpellé par le "cri de détresse" d'Estelle Youssouffa face à "l'indifférence" de Paris, Gérald Darmanin a également déclaré mardi 22 novembre, devant l'Assemblée que "les Mahorais qui ont choisi de rester dans la République (...) ont besoin de la protection de l'État", ajoutant que le gouvernement avait "plusieurs pistes d'évolution" comme "le renforcement très important des moyens de la justice" pour répondre "au rendez-vous des interpellations qui sont nombreuses".
Les Mahorais (...) commencent à dire que si ça continue, ils se feront justice eux-mêmes.
Denis Herman, journaliste et rédacteur en chef des Nouvelles de Mayotte
Sur le côté militaire, Gérald Darmanin a assuré qu'il travaillait avec le ministre des Armées pour ajouter un chapitre particulier "pour la Guyane et pour Mayotte" et y "renforcer les moyens militaires". Le ministre a également évoqué, sans préciser de date, le lancement d'une opération "de grande envergure" pour "mettre fin aux "banga" (cases en tôles informelles) sur une partie du territoire mahorais", sans préciser quand. "Nous enverrons beaucoup de gendarmes mobiles et de moyens de l'État pour effectivement inverser la courbe de la violence et permettre aux petits Mahorais d'aller normalement en classe", a-t-il ajouté.
De son côté, le président français Emmanuel Macron a dit vouloir "lancer un travail plus vigoureux" avec les Comores voisins, et mettre plus de "moyens militaires (...) pour "stopper les départs" de migrants vers Mayotte.
"Nous allons maintenant lancer un travail beaucoup plus vigoureux avec les Comores pour stopper les départs", a-t-il expliqué, interpellé par des élus de Mayotte lors de sa visite du Salon des maires au Parc des expositions de la Porte de Versailles, à Paris.
Risque d’auto-défense
A Mayotte, les actions de Paris sont fortement attendues et si rien n'est fait, Denis Herman craint que les Mahorais n'aient d'autre choix que de se faire justice eux-mêmes."Les Mahorais sont des gens extrêmement pacifiques et respectueux", dit-il, "mais là, ils commencent à dire que si ça continue, ils se feront justice eux-mêmes. Cela va se terminer dans un bain de sang. Si Paris ne réagit pas, si le gouvernement ne met pas en place tout de suite les forces de l'ordre qu'il faut pour établir le calme, on risque d'avoir un drame sur Mayotte".
Mayotte commence à être un caillou dans la chaussure des gouvernements qui se succèdent
L'insécurité grandissante sur l'île aux parfums s'ajoute à la vie chère, à la précarité, au chômage et au manque d'eau. Avec 30% d'inactifs en 2021, Mayotte détient par exemple le titre de double championne d'Europe et de France du chômage.
Mayotte est pourtant devenue, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, le 101ème département de la République. Une départementalisation qui, selon Dernis Herman, n'a pas profité aux Mahorais. "Mayotte c'est seulement 34 km de long sur 12 de large et nous sommes à peu près 500 000 habitants. C’est un problème. Parfois, il n’y a même pas assez d’eau pour tout le monde, alors on la coupe. Nous vivons dans une précarité qui est difficilement imaginable. La départementalisation n'a absolument pas été préparée. Elle est arrivée comme ça, pratiquement du jour au lendemain mais les Mahorais n'étaient pas prêts, rien n'avait été préparé", explique-t-il avant de conclure, "quand on voit les promesses qui ne sont pas tenues, les choses qui sont faites à moitié, retardées - cela fait plus de 20 ans qu'on parle d'une piste longue pour les avions à Mayotte mais cette piste est toujours en projet - on se dit que Mayotte commence à être un caillou dans la chaussure des gouvernements qui se succèdent".
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