06 octobre 2022

Protectionnisme, une bonne idée ?

Le débat entre protectionnistes et libre-échangistes est sans fin et souvent caricaturé. Les échanges sont le fondement de l’économie et de la prospérité des nations ; sans échange, un pays est condamné à la pauvreté. Lorsque la communauté internationale veut punir un pays, elle lui impose un embargo, sorte de protectionnisme forcé, qui conduit à son appauvrissement. Les Syriens et les Cubains en savent quelque chose, même si pour ces derniers l’embargo n’est pas la seule cause de leur pauvreté.

60% du PIB français est réalisé grâce aux échanges internationaux. Des échanges qui ne concernent pas que les grosses entreprises, mais aussi tout le réseau de PME et de TPE. Sans ouverture au monde, il n’y aurait pas de vignobles français ni d’industrie pharmaceutique, chimique ou aéronautique. Aucun pays ne peut vivre en autarcie et se couper des matières premières indispensables à son économie. Quant à localiser en France la production de paracétamol, ce serait aux dépens d’autres industries, à plus forte valeur ajoutée.

Protectionnisme et politique

L’historien de l’économie Francis Démier a fait paraitre en 2022 un ouvrage de recherche qui analyse les débats entre protectionnistes et libre-échangistes tout au long du XIXe siècle : La nation, frontière du libéralisme. Libre-échangistes et protectionnistes français, 1786-1914. (CNRS Editions) Ouvrage essentiel pour replacer ce débat dans son contexte historique, qui montre par ailleurs que de nombreux sujets de l’époque se retrouvent aujourd’hui.

Notamment le fait que le protectionnisme n’émane jamais d’une réflexion économique, mais d’un bras-de-fer politique. Il s’agit de légiférer, c’est-à-dire de créer des tarifs et des barrières douanières, afin de protéger une clientèle électorale au détriment de catégories électoralement opposées. Le clivage est patent au XIXe siècle et n’a guère changé aujourd’hui.

Sous la Restauration, et encore sous la monarchie de Juillet, la Chambre est tenue par les grands propriétaires terriens, possesseurs de forêts et de fourneaux à acier. Soucieux de préserver leurs activités économiques, ils font voter des lois de « protection » qui consistent essentiellement à interdire toute concurrence. Ils trouvent un soutien chez les députés issus des colonies à sucre, qui font tout pour éviter le développement du sucre de betterave qui pourrait nuire à leurs exploitations obsolètes.

Francis Démier donne ainsi l’exemple des années 1840, où les propriétaires de forêts, producteurs de charbon de bois, votent des tarifs et des limitations à l’importation du charbon belge et anglais. Moins cher et de meilleure qualité, ce « charbon de terre » est pourtant essentiel pour développer les industries de l’acier alors naissante. Conséquence, la déforestation française est massive puisqu’il faut de plus en plus d’arbres pour produire le « charbon de bois », un combustible à la valeur énergétique trop faible pour développer les nouveaux aciers. L’industrie du Nord patine. Les aciers français étant plus chers et de moins bonne qualité que les aciers anglais, c’est toute l’industrie du chemin de fer et des engins mécaniques qui en souffre également.

Quant au sucre des colonies, qui est imposé à la France, il est acheté 40 F les 50 kg alors qu’il se vend 16 F les 50 kg ailleurs en Amérique latine. Ici, c’est l’industrie liée au sucre, notamment agroalimentaire, qui est sacrifiée au profit des planteurs. Les mêmes débats eurent lieu dans les années 1950-1960 au sujet des colonies, et notamment de l’Algérie. Les gouvernements successifs obligèrent les industries françaises à acheter dans les colonies des produits vendus très souvent deux fois moins cher sur le marché mondial, notamment le caoutchouc et le cacao.

En 1789, la production de fer est la même en France et en Grande-Bretagne.

En 1846, la Grande-Bretagne produit 4 fois plus de fer que la France.

Le décrochage entre les deux pays est patent.

En France, le prix du fer reste stable (prix du quintal de fer) : 38 F en 1835, 32.50 F en 1845, 38 F en 1848. Cette année-là, il est de 20 F en Angleterre. Un écart de 18 F le quintal qui grève la rentabilité des industries françaises. Le surcoût coute 50 millions de francs chaque année à la France. Un surcoût qui pénalise toute la chaine économique. La productivité qui est perdue dans le secteur industriel affaiblit aussi les autres secteurs, fragilisant l’ensemble de l’économie française.

Le refus du libre-échange a certes sauvegardé les intérêts des grands propriétaires fonciers, mais il a laminé les autres secteurs économiques et donc nuit à la prospérité de la France.

Dans les années 1880, Jules Méline fit appliquer ses fameux tarifs en faveur de l’agriculture. Il s’agissait surtout de contenter la population rurale, qui votait alors majoritairement républicains. Ces tarifs empêchèrent la nécessaire modernisation de l’agriculture, provoquant un recul constant de la paysannerie française et un maintien dans la pauvreté. Il faut ainsi attendre les années 1920 pour que la population urbaine dépasse la population rurale et les années 1950 pour que les paysans abandonnent définitivement les chevaux au bénéfice des machines à moteur. Un retard qui a pesé sur le développement de la ruralité et qui a nui à l’indépendance française, notamment alimentaire.

Le protectionnisme ne répond donc pas à une logique économique, mais bien à une logique politique. Ce ne sont pas des industries qui sont protégées, mais des rentes politiques. C’est la pleine logique du capitalisme de connivence, qui n’a rien à voir avec l’authentique capitalisme. Soucieux de préserver les intérêts d’aujourd’hui, ce protectionnisme détruit l’économie de demain, celle que l’on ne connait pas et que l’on ne pourra jamais voir si elle ne née pas. Francis Démier donne ainsi l’exemple des débats des années 1870-1880 qui tournent autour de la protection des industries de coton et des filatures, alors même que se développent les métiers à tisser mécanique et l’électricité. Des débats qui ignorent aussi complètement, et pour cause, l’industrie automobile et aéronautique, qui vont voir le jour dans les années 1890-1910, soit 20 à 30 ans plus tard. Il est bien évidemment impossible de prévoir ce qui va être inventé et quelles innovations majeures vont bouleverser l’économie. Personne ne peut savoir aujourd’hui ce que sera l’économie de 2050, comme il était impossible de prévoir, au moment des heures de gloire du Minitel, l’arrivée d’internet et des Gafa. D’où l’échec de toutes les planifications politiques qui ignorent tout simplement le fonctionnement de la vie humaine.

Une économie de protection ne doit pas donc chercher à figer l’économie, en la corsetant dans des tarifs et des barrières douanières qui l’empêchent de s’adapter, mais en lui permettant de disposer des armes et des outils nécessaires à son adaptation face aux innovations à venir.

Un protectionnisme libre-échangiste

La meilleure façon de protéger les entreprises est d’abord de leur offrir un cadre juridique sain et stable. La lutte contre la corruption et le capitalisme de connivence, l’intégrité des marchés publics, la défense du droit à l’échelle internationale (on se souvient des affres de Danone en Chine) sont des éléments indispensables à l’établissement d’un état de droit. Établir et défendre un cadre juridique sûr est une indispensable protection à offrir aux entreprises.

Si on veut protéger les entreprises, le mieux est encore de ne pas les lester de fardeaux trop lourds. La réduction drastique du Code du travail est une protection plus sûre que des tarifs prohibitifs. La suppression des droits de succession, afin de permettre la transmission des entreprises, la réduction des charges, afin de leur permettre d’être concurrentielles face à leurs voisins européens, sont les leviers indispensables de la protection. Il est tout de même curieux d’imposer lourdement les entreprises françaises puis d’établir des tarifs pour les mettre à l’abri de la concurrence internationale.

La création de fonds de pension français, notamment via la retraite par capitalisation, permettrait aux entreprises françaises de disposer de moyens de financements nationaux, et à l’argent français de rester sur le territoire national. L’inverse des retraités français qui prennent leur retraite à l’étranger et qui dépensent donc ailleurs l’argent qu’ils reçoivent des actifs d’aujourd’hui. Une fuite de capitaux qui profite aux autres pays et qui plombe les entreprises françaises.

Protection juridique, légèreté fiscale, apports capitalistiques sont autant de leviers dont dispose le bon gouvernement pour protéger ses entreprises. Un protectionnisme intelligent et actif, qui permet et favorise la liberté des échanges.

Jean-Baptiste Noé

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