07 octobre 2022

Jeffrey Sachs souligne cruellement la vision dépassée d’un monde que le deep state ne comprend plus

Jeffrey Sachs, avec son obsession des "objectifs de développement durable" de l'ONU et sa vision hypermalthusienne de l'avenir humain, n'est pas l'auteur que nous citerions spontanément au Courrier des Stratèges. Néanmoins, il faut lui reconnaître, au sein de l'establishment américain et mondialiste, une certaine liberté de ton. Naguère sur la contrainte sanitaire post-covid, aujourd'hui sur la guerre d'Ukraine.

Dans une vidéo récemment mise en ligne, Jeffrey David Sachs se faisait, sans en avoir le moins du monde l’intention, l’écho du discours prononcé par Vladimir Poutine le 30 septembre dernier à Moscou.

Jeffrey Sachs possède une compétence reconnue en tant qu’économiste et il a, à ce titre, conseillé Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies. Il a également été consultant économique auprès d’un certain nombre de gouvernements. Il a, à ce titre, proposé des « plans de sauvetage » à des pays comme la Bolivie, mais également la Pologne et la Russie.

Dans cet interview, il répond à la question: « Comment est-on arrivé là ? »

Un contexte international tendu

La vidéo commence par un rappel des votes du Congrès américain concernant l’envoi d’armes américaines à Taïwan et en Ukraine. Le 22 août 2022, Jeffrey Sachs a publié un article dans la revue

« Other News », un article intitulé (traduit en français) : « Le faux récit de l’Occident sur la Russie »

Il commence par rappeler que le manque clairvoyance des dirigeants occidentaux peut conduire à une escalade fatale. Le récit suivant lequel l’Occident est le « Camp du Bien » tandis que celui de la Russie et de la Chine est celui du « Mal absolu » est extrêmement dangereux. C’est une manipulation de l’opinion et non une approche diplomatique en vue de rechercher une solution pacifique.

Interrogé par une journaliste de « Democracy Now » afin de savoir, selon lui, quelle compréhension devrait avoir le monde occidental des conflits actuels avec la Russie et la Chine, il répond que le fait majeur est que l’Occident utilise les armes et non la diplomatie.  Les ventes d’armes décidées à Taïwan ne rend ni le monde, ni les États-Unis plus sûrs. Il faut remonter au moins 30 ans en arrière, à la disparition de l’URSS, lorsque certains dirigeants américains se sont mis dans la tête qu’il y avait désormais un monde unipolaire et que les Etats-Unis étaient la seule superpuissance et qu’ils allaient pouvoir « diriger le spectacle »

Les effets ont été désastreux et depuis 30 ans nous avons eu une militarisation de la politique étrangère américaine. Une étude de la Tuft University montre qu’il y a eu plus de 100 interventions militaires des Etats-Unis depuis 1991. Du  coté de l’Est de l’Europe, la politique américaine a été exclusivement militaire. Nous armons qui nous voulons et nous décidons seuls qui pourra entrer dans l’OTAN, et peu importe que la sécurité des autres pays soit menacée.

Ces nombreuses interventions ont fini par inquiéter le peuple américain et ceux qui n’en voient pas la justification deviennent nombreux et posent des questions. Nous leur répondons que nous aimons la paix mais que la Russie et la Chine sont si belliqueux qu’ils veulent saper le monde et nous nous retrouvons dans de terribles confrontations. L’affaire ukrainienne pouvait (et aurait dû) être traitée par la diplomatie mais les États-Unis ont refusé. J’ai personnellement contacté la Maison Blanche en disant qu’il y allait avoir la guerre à défaut d’un règlement diplomatique, mais on m’a répondu que c’était hors de propos. Nous avons exactement la même attitude face à la Chine. Nancy Pelosi est allée à Taïwan, les Chinois nous ont demandé de nous calmer et, au lieu de cela, nous envoyons des armes à Taïwan. Nous allons ici aussi vers la guerre.

Un mécanisme extrêmement dangereux

Il y a 60 ans, l’affaire des missiles de Cuba éclatait. Je l’ai longuement étudiée et j’y ai consacré un livre. Nous jouons un jeu absurde excessivement dangereux. Toute l’approche de la politique étrangère américaine est erronée, mais elle fait consensus entre les 2 partis. De plus, les États-Unis veulent entraîner l’Europe avec eux afin de maintenir leur propre hégémonie sur la planète. Et ceci alors même que l’économie occidentale est déclinante. Par exemple les pays dits « émergeant », les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) représentent plus de 40% de la population mondiale et ont un PIB supérieur à celui du G7.

La chose la plus inquiétante est cette disproportion de pouvoir entre l’Ouest du monde, et spécialement le monde anglo-saxon , qui a commencé avec l’empire Britannique et se poursuit avec les Etats-Unis. Ceci depuis 250 ans, ce qui, à l’échelle du monde, est une très courte période.

La révolution industrielle anglaise, venant du charbon et de la machine à vapeur, a permis la domination militaire de l’Angleterre sur le monde à la fin du XIX ème siècle avant que les États-Unis ne prennent la suite après la seconde guerre mondiale. L’empire Britannique s’étendait aux quatre coins du monde et on disait que « le Soleil ne s’y couchait jamais »

Pourtant l’Occident, c’est à dire les États-Unis, le Canada, l’Europe et le Japon, en gros le G7, ne représentent qu’une petite partie du monde (environ 10% de la population) mais leur mentalité est restée la même : « C’est nous qui dirigeons le monde » et c’est comme ça depuis 200 ans, depuis le début de l’ère industrielle.

Mais les temps ont changé et depuis 1950, après la disparition des empires coloniaux, le reste du monde, ayant retrouvé son indépendance, s’est éveillé à la science et à la technologie, mettant un terme au monopole occidental en la matière.

Cela provoque beaucoup de ressentiment aux États-Unis, où les dirigeants politiques sont totalement ignorant de l’Histoire et ils voient dans la montée de la Chine un affront aux États-Unis

et ils n’admettent pas que ce pays, sortant pourtant d’un siècle et demi de grandes difficultés, puisse venir leur disputer ce qu’ils considèrent comme étant « leur siècle ».

Le droit de décider pour les autres pays

Les États-Unis ont décidés qu’ils devaient à tout prix « contenir » la Chine pour empêcher son expansion. Au nom de quoi ?

Bien qu’ayant dominé la planète durant 250 ans, le monde occidental considère toujours qu’ils est le seul à pouvoir le faire et qu’il lui appartient le droit de déterminer à lui seul quelles sont les règles du jeu. C’est une vision incroyablement naïve de croire que les États-Unis qui représentent 4% de la population mondiale vont pouvoir édicter les règles commerciales en vigueur en Asie en écartant la Chine. Les soi-disant « instances internationales » ou même mondiales qui sont censées traiter chaque pays sur le même pied sont entièrement aux mains de l’oligarchie américaine et des banquiers internationaux.

Après la disparition de l’URSS, Jeffrey Sachs a dû traiter le cas de l’aide financière à deux pays qui étaient dans une situation financière dramatique : la Pologne et la Russie. Il a recommandé d’appliquer la même méthode à l’un comme à l’autre, à savoir les doter d’une aide financière en créant un fonds de stabilisation et d’effacer une partie de leur dette de façon à leur éviter une crise sociale à laquelle pourrait succéder une crise géopolitique.

Ces propositions ont été immédiatement acceptées par la Maison Blanche et refusées d’une façon nette et définitive pour la Russie. Cela correspondait parfaitement à la politique mise en œuvre par le trio Cheney, Rumsfeld et Wolfowitz et qui était devenu le « nouveau projet américain pour le siècle », c’est à dire le maintien de l’hégémonie américaine. La Russie s’est trouvé dans une situation financière quasi-désespérée et les répercussions se firent sentir longtemps après, C’était aussi le début de l’expansion de l’OTAN et Bill Clinton l’a mise en œuvre. Georges W Bush a poursuivi en se rapprochant chaque fois un peu plus de la Russie et en 2008, il décida, malgré l’avis des dirigeants européens, de l’étendre à l’Ukraine et à la Géorgie, pays ayant une frontière commune avec la Russie.

Cela revenait, de fait,  a reprendre le projet d’encerclement de la Russie par la mer Noire, élaboré par Palmerston de 1853 à 1856 au moment de la guerre de Crimée. Il s’agissait bien de construire le monde « unipolaire américain » tout autour de la Russie en lui interdisant tout accès vers le Sud et l’Ouest. C’est de là que viennent toutes les guerres américaines du proche et moyen orient, destinées essentiellement à combattre les pays qui auraient pu aider ou renforcer la Russie. Ces guerres ont été désastreuses pour ces pays et se sont terminées par une débâcle américaine.

Actuellement, ce plan néoconservateur est à l’apogée sur deux fronts : l’Ukraine et le détroit deTaïwan.

C’est une situation extraordinairement dangereuse et cette politique n’est pas celle d’un pays démocratique, mais celle d’un petit groupe (deep state) qui veut imposer un monde unipolaire sous hégémonie américaine.

L’erreur des États-Unis

Les américains ont commis une erreur fatale en ne voulant pas aider la Russie et en favorisant l’implantation des oligarques. A son arrivée au pouvoir, Poutine n’était ni anti-européen, ni anti-américain. Ce qu’il a constaté, c’est l’incroyable arrogance des Américains, les guerres de l’OTAN,

la guerre en Irak, la guerre secrète en Syrie, la guerre en Libye, malgré les votes du Conseil de sécurité de l’ONU.

Tout ceci a contribué à la situation actuelle, due à l’arrogance injustifiée et à une absence de vision de la réalité du monde.

Il est remarquable de constater la convergence du discours de Jeffrey Sachs avec celui de Vladimir Poutine du 30 septembre 2022.

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