L’annonce a douché les esprits. Olaf Scholz, jusqu’ici d’une discrétion qui confinait à l’effacement, est sorti de son anonymat européen en annonçant que l’Allemagne devait accroître sa puissance militaire afin de devenir la première armée du continent européen. Sa logique est implacable : puisque nous sommes la première force démographique et économique, il est normal que nous soyons aussi la première force militaire. Moyennant quoi, il annonce un investissement de 70 à 80 milliards d’euros par an pour opérer la mise à niveau.
Une petite phrase qui rompt avec l’histoire allemande conçue après 1945. Qu’un chancelier ose affirmer la nécessité pour son pays de disposer d’une force militaire puissante, de ressusciter la Wehrmacht et de retrouver la grandeur et la gloire militaire a de quoi inquiéter. On sait bien en France où conduit le militarisme allemand. À l’argument de Scholz, on pourrait lui opposer que la puissance démographique est un leurre. Les Allemands n’ont plus d’enfants, la population vieillit et si elle se maintient à un niveau acceptable, c’est uniquement en raison de l’immigration turque et syrienne. La puissance économique est elle aussi fragilisée, par la déroute de l’euro d’une part, par le manque d’énergie d’autre part. Mais de tout cela, le chancelier ne semble pas se préoccuper.
La guerre de l’Allemagne
L’Allemagne n’a pas attendu de disposer d’une armée pour faire la guerre à la France. On pourra rétorquer au nouveau chancelier que c’est son pays qui est largement fautif dans la crise énergétique que subit l’Europe. Non seulement l’Allemagne a abandonné le nucléaire pour se mettre dans les bras du gaz russe, mais elle a tout fait pour que les autres pays la suivent dans son naufrage en démantelant leur souveraineté énergétique. Au Parlement et à la Commission, l’Allemagne n’a cessé de guerroyer contre la France et contre l’Europe sur le sujet de la taxonomie verte. Il s’agissait de faire reconnaitre le gaz comme une énergie « verte », label refusé au nucléaire. L’Allemagne vivant de Gazprom et de Nord Stream était donc vertueuse quand la France de Tricastin et de Fessenheim était hors des clous européens. Une guerre juridique et législative qui coute cher à l’industrie française. Toujours soumis à l’illusion du « couple franco-allemand », François Hollande et Emmanuel Macron ont débuté le démantèlement du parc nucléaire français, le remplaçant par des éoliennes qui ont le triple inconvénient de produire peu d’électricité, de défigurer les paysages et d’être fournies par des entreprises allemandes. C’est Berlin plus que Moscou qui sera responsable des coupures de cet hiver. Bon perdant, Emmanuel Macron vend à l’Allemagne de l’électricité moins chère afin de lui permettre d’alimenter son industrie. Olaf Scholz aurait tort de s’en priver.
Mirages de la défense européenne
Depuis la Communauté européenne de défense (CED) rejetée en 1954 par l’alliance des gaullistes et des communistes, la « défense européenne » oscille entre le mythe et le serpent de mer. Créer une défense européenne semble être à certains la solution militaire à tous nos problèmes. C’est oublier que celle-ci existe déjà, depuis 1948, et qu’elle s’appelle l’OTAN. Quand le chancelier allemand annonce des investissements faramineux dans la défense, nul doute qu’il achètera du matériel américain et non pas français. Avec un peu de chance, cela sera financé par des fonds européens, dont une partie provient du contribuable français. La France sera donc une nouvelle fois perdante et les États-Unis pourront féliciter et remercier leurs bons élèves.
Diplomatiquement parlant, la France est la grande perdante de la guerre en Ukraine. Le Royaume-Uni forme l’armée de Kiev au moins depuis 2015 ; plusieurs opérations en Crimée et à l’arrière des lignes portent la signature du savoir-faire des commandos britanniques. L’OTAN, qui était morte, est ressuscitée. La Pologne est plus atlantiste que jamais, attendue qu’elle ne cherche qu’à se protéger des Russes et à augmenter son niveau de vie. Et tant pis si cela doit passer par une vassalisation de Washington. L’Allemagne réussit presque à faire oublier sa responsabilité dans le désastre énergétique de l’Europe, d’autant qu’elle a placé ses hommes à tous les postes clefs de l’UE. Un président marchant en jeans et en baskets dans les rues de Londres est une bonne allégorie de ce qu’est devenue la diplomatie française.
Échecs diplomatiques
On cherchera en vain, au cours des vingt dernières années, des succès de la diplomatie française. Fiasco de l’intervention en Libye, aveuglement total sur la guerre en Syrie, effacement en Europe. Pour se rassurer, la France s’accroche à ses vieux oripeaux coloniaux. Elle tente de jouer un coup au Liban, pays qui n’intéresse plus personne, mais qui lui donne l’illusion d’avoir encore de l’influence ; elle feint la grandeur en défendant un pré carré colonial en Afrique hors d’usage et d’un autre temps, comme s’il était crucial pour elle d’être présente à Bamako ou à Bangui. Pendant ce temps, le Brésil se développe à grande vitesse, l’Asie centrale se détache de Moscou et cherche de nouveaux partenaires, l’Inde sera bientôt la première puissance démographique mondiale, Taïwan et la Corée du Sud sont des champions électroniques et technologiques. Mais la France semble disposer d’un logiciel diplomatique mental resté bloqué en 1871 : nous sommes isolés sur la scène européenne et nous croyons trouver le salut dans une politique coloniale qui sert davantage l’illusion de la grandeur que la grandeur elle-même. Avant de vouloir apporter le développement et la démocratie en Afrique, commençons par fournir de l’électricité à notre population, ainsi qu’une santé et une éducation de qualité.
Nul ne sait comment va se terminer la guerre en Ukraine ; le plus probable étant qu’elle ne finisse jamais et qu’elle s’enterre dans un embourbement quasi éternel. La diplomatie française est tout aussi embourbée dans ses aveuglements et ses échecs que ne l’est l’armée russe dans le Donbass. Comment sortir de l’échec cuisant du Moyen-Orient ? Comment sortir de la raclée diplomatique en Afrique ? Comment sortir de l’isolement en Europe ? Nous n’avons toujours pas de pétrole et nous n’avons pas non plus d’idées.
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