25 octobre 2021

Dialogue entre 1941 et 1945

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• Échanges peu amènes entre Allemands et Russes, avec l’OTAN et le secrétaire US à la défense en prime. • La ministre (merkélienne) allemande estime qu’une “dissuasion” nucléaire sous le nez des Russes serait une bonne chose. • Le ministre russe de la défense Choïgou riposte en rappelant les mésaventures allemandes dans les grandes plaines russes et glacées, entre 1941 et 1945. • Poutine fait dire qu’il n’y a rien à dialoguer dans de telles conditions. • La Russie n’est pas mécontenter d’avoir retiré les derniers restes de sa délégation à l’OTAN.

Les échanges deviennent toujours de plus en plus vifs entre la Russie et l’OTAN, et la Russie et certains pays-membres de l’OTAN alors que ceux-ci se trouvent dans le contexte de réunions à l’OTAN entraînant quasi-automatiquement une radicalisation de leurs positions. Le dernier de ces échanges s’est fait entre la ministre allemande de la défense et le ministre russe de la défense. La première  avait évoqué la possibilité (nécessité ?) d’une “dissuasion” nucléaire tactique de l’OTAN contre (tout contre) la Russie ; le second réplique que cette sorte d’attitude de l’Allemagne, qui implique des concentrations de forces à la frontière russe, rappellent d’autres situations, – à savoir, entre 1941 et l’opération ‘Barbarossa’, et 1945 et la prise de Berlin dans l’effondrement apocalyptique du Reich millénaire.

Détails sur cet intéressant et vigoureux échange...

« Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a répondu aux propos tenus par son homologue allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer, sur la nécessité d’une politique de dissuasion envers la Russie à l’aide d’armes nucléaires, rappelant à Berlin les aléas de l’Histoire.

» “Dans le contexte d’appels à la dissuasion militaire de la Russie, l'Otan rassemble ses forces à nos frontières. Un ministre allemand de la Défense se doit de se rappeler à quelle situation des opérations semblables se sont terminées pour l'Allemagne et l'Europe”, a indiqué Sergueï Choïgou.

» “La sécurité en Europe ne peut être que commune, sans préjudice aux intérêts de la Russie”, a-t-il souligné.

» “Mais c’est justement l'Otan qui n’est pas prête à un dialogue équitable sur le dossier. Qui plus est, la mise en œuvre de son projet de “dissuasion” de l’Afghanistan s'est terminée par une catastrophe dont le monde entier doit maintenant s’occuper”, a constaté Sergueï Choïgou.

» Le Kremlin a lui aussi tout de suite réagi aux déclarations de la ministre allemande, indiquant par la voix de son porte-parole, Dimitri Pechkov, qu’il était “inutile de dialoguer dans de telles conditions”. »

Ces réactions russes suivaient donc les diverses actions de communication dans le cadre de l’OTAN et d’une réunion des ministres de la défense le 21 octobre. Cette réunion a surtout été marquée par l’activisme, déjà évident les jours précédents à Kiev notamment, du ministre US de la défense Lloyd Austin, évidemment secondé par le secrétaire général Soltenberg.

« Répondant à la question de savoir si l'Otan réfléchissait à des scénarios de dissuasion de la Russie dans les régions de la Baltique et de la mer Noire, y compris dans l'espace aérien à l’aide d’armes nucléaires, Annegret Kramp-Karrenbauer a soutenu le 21 octobre que les pays occidentaux étaient prêts à avoir recours à “de tels moyens pour qu'ils aient un effet dissuasif à l'avance et que personne n’ait l'idée d’attaquer les partenaires de l'Otan”.

» Le même jour, les ministres de la Défense de l'Otan ont approuvé un plan directeur pour “renforcer la dissuasion et la défense de l’Alliance”, bien qu’ils aient dit ne pas penser qu’une attaque russe soit imminente. Cette nouvelle stratégie vise à se préparer à une offensive dans les régions de la mer Noire et de la Baltique, incluant éventuellement des armes nucléaires.

» Évoquant “la menace croissante des systèmes de missiles russes”, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a affirmé que l’Alliance n’avait “aucune intention de déployer de nouveaux missiles nucléaires terrestres en Europe”, tout en remarquant gravement, par la suite, en réponse à la question d’un journaliste, qu’elle [la Russie] avait “accru [sa] présence en mer Noire” qui est “d’une importance stratégique pour l’Otan”, ainsi que sa “présence dans la région dans les airs, sur terre et en mer”. »

Bien entendu, cet échange quasiment nucléaire est de l’ordre de la communication bien calibrée, et dû essentiellement, comme on l’a déjà observé, au passage à Bruxelles du considérable Lloyd Austin. Pour autant, on ne se privera pas de quelques remarques caractéristiques de l’épisode.

• Il nous semble se confirmer que le périple du secrétaire à la défense avait pour but de réchauffer les ardeurs de la branche européenne de la foule corvéable des ilotes de l’‘Empire’ à l’heure où tous les élans guerriers du DeepState, bruyamment plutôt orientés vers la Chine, plongent ces mêmes ilotes dans une grande confusion trouillarde. « Mission accomplished » pour Austin, avec sa conclusion triomphale de la réunion des ministres de la défense réaffirmant le dynamisme et l’utilité incontestables de l’Alliance.

• D’où il se confirme, comme l’observait Paul Robinson, que le ‘Groupthink’ fonctionne au quart de tour sous la houlette wokeniste de l’américanisme :

« On pourrait imaginer que les groupes prennent de meilleures décisions que les individus. L'apport d'une grande variété de points de vue devrait produire des résultats plus sages que ceux d'une seule personne suivant ses préjugés. Les psychologues ont toutefois identifié de nombreux problèmes liés à la dynamique de la prise de décision en groupe, qui contribuent au résultat inverse. Le ‘Groupthink’ (pensée de groupe), par exemple, tend à produire une conformité en supprimant les points de vue divergents. Et le phénomène de “polarisation du groupe” pousse les groupes vers des positions extrêmes. »

• Bien entendu, la position de la ministre allemande de la défense, la séduisante Annegret Kramp-Karrenbauer, mérite une mention particulière. Il n’est pas commun d’entendre une autorité allemande décrire implicitement mais brandir avec entrain et ardeur la menace nucléaire contre la Russie, comme dans un étrange ‘copié-collé’ adapté à nos temps étranges de l’opération ‘Barbarossa’. On a connu une Allemagne plus réticente à cet égard, avec ses foules défilant dans les rues contre le nucléaire, en 1981-1982, lors de la crise des euromissiles. (L’espèce de pseudo-démenti qui n’en est pas vraiment un de Soltenberg quant aux armes nucléaires n’a aucun intérêt ni aucune importance. Ce ‘SecGen’-là n’existe pas vraiment : c’est un simulacre de marionnette dont les déclarations suivent péniblement et à marche forcée les consignes contradictoires qu’il reçoit chaque jour dans sa boîte aux lettres.)

• On ajoutera pourtant qu’il y a peut-être une manœuvre politique intra-allemande. Kramp-Karrenbauer fait partie d’une équipe partante et perdante, celle de Merkel, en attendant l’arrivée de la coalition de centre-gauche à laquelle on prête (sans doute un peu vite ?) une certaine intention de mettre une sourdine aux accents guerriers et antirusses. La prise de position nucléaire de la ministre exécutrice des affaires courantes tend à enfermer autant que faire se peut l’Allemagne dans un jusqu’auboutisme antirusse. Gageons que le considérable Austin, toujours bien informé par la NSA, a mis la main à la pâte de cette louable entreprise qui occupe les autochtones de l’UE.

Maintenant, voyons le côté russe, où la riposte n’a pas tardé et n’a pas lésiné, ni sur le symbole, ni sur le chant choral. Les Russes voient ainsi, dans les diverses manifestations lors de la réunion du 21 octobre et autour d’elle, une parfaite justification à leur décision de retirer de l’OTAN ce qui leur restait de personnel de liaison. Leurs réactions, bien que symboliques et de communication, sont sévères et faites pour éventuellement humilier.

• La réaction de Choïgou est bien cela : sévère et humiliante, en rappelant directement à l’Allemagne démocratique et vertueuse qu’elle fut aussi l’Allemagne nazie et démoniaque, et qu’elle en fut grandement punie. Choïgou le dit avec d’autant plus d’insistance qu’il rappelle ainsi, au passage, que ce fut la Russie, et non la coalition occidentale, qui fit le principal dans la chute et l’écrasement de cette Allemagne-là. Faisant et disant tout cela à la puissante lumière de la Deuxième Guerre mondiale, il suggère que, démocratique ou nazie, l’Allemagne est toujours l’Allemagne, – et il ajoute entre les lignes que Kramp-Karrenbauer la démocrate l’a montré et démontré d’une façon imparable. Le message ne prend pas de gants et c’est sans doute, à notre connaissance, la première fois que la Russie de Poutine rappelle à l’Allemagne de Merkel, dont on le sait proche pourtant du fait de son expérience allemande (dans le KGB, en 1985-1990), qu’elle reste, par le sol et l’histoire, l’épigone et la rejetonne de l’épouvantable Hitler ; c’est plus subtil que notre grossier “Reductio at Hitlerum” mais ce n’en est pas moins sévère.

• Le Kremlin a lui aussi réagi avec une inaccoutumée vigueur. Le gentil Dimitri Pechkov, spécialiste de l’adoucissement par le miel suave et le compromis slave de toutes les positions de Poutine, cette fois ne prend pas de gants : “inutile de dialoguer”. La volonté de dialogue est la marque principale de la diplomatie russe et de la politique de Poutine lorsqu’elle se veut accommodante. L’affirmation de l’inutilité du dialogue marque le sérieux de la considération complètement désabusée, sinon méprisante, de la direction russe, pour l’OTAN, pour les Occidentaux et surtout pour les Européens en général.

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