Autoportrait avec Rembrandt,1992. Papier, crayon, collage.
40х33 cm, Collection Dina Vierny.
40х33 cm, Collection Dina Vierny.
Triptyque n°14, Autoportrait (A la Mémoire du Père), 1987, Objet, Panneau dur,
Huile, Assemblage. 195х360х30 cm. Musée russe de Saint-Pétersbourg, Don de Peter Ludwig.
Huile, Assemblage. 195х360х30 cm. Musée russe de Saint-Pétersbourg, Don de Peter Ludwig.
Triptyque n° 7. Sans Titre, 1967, Panneau dur, Bois, Huile.
117х422х30 cm. Musée Zimmerli.
117х422х30 cm. Musée Zimmerli.
Ma première rencontre avec la création de Vladimir Yankilevsky remonte à la fin des années 60. Faisant partie d'un petit groupe d'enthousiastes guidés par Nataliya Yablonskaya, j'ai pu visiter des ateliers de peintres moscovites et, naturellement, tenter ensuite d'hiérarchiser mes impressions. Inoubliable reste pour moi le jour où j'ai franchi le seuil de l'atelier de Yankilevsky et dirigé instinctivement mon regard sur le Triptyque no.7, accroché sur un des murs juste en face. Instantanément, j'ai éprouvé une espèce de choc émotionnel très particulier d'avoir repéré un chef-d'oeuvre de ce peintre à la personnalité marquante. Plus tard, je me suis mis à analyser mes émotions pour déceler un aspect cognitif de mes impressions spontanées. L'oeuvre du peintre étant si multiforme et riche en connotations symboliques que je continue à l'examiner à ce jour. J'essaierai donc de résumer mes réflexions sur le fond spirituel et l'ampleur de ce phénomène artistique.
N'étant qu'amateur de la "musique figée"- l'architecture, ainsi que de la peinture, je n'aimerais pas me charger de questions d'ordre technique. En fait, la motivation profonde d'un créateur ne peut résider que dans la sphère métaphysique de questions fondamentales et dans le contexte de la quête du sens de l'existence humaine.
D'autre part, il existe de nombreux adeptes de "l'art pur" - aussi parmi les grands créateurs. Ce classement en deux groupes des "purs" et "visionnaires"est évidemment très schématique, mais il serait incohérent d'ignorer une telle dichotomie. A titre d'exemple,je pourrais citer les créateurs aussi contrastés etantithétiques comme le galvanisant Tintoretto ( ou l'inégalable El Greco) - la magie picturale de Titien, Rembrandt- Vermeer, Caravage - Poussin, van Gogh-Renoir, Vroubel - Serov (ou le pétillant Koustodiev), Magritte - l'expressionisme décoratif de Bacon, ainsi que nos contemporains: Yankilevsky - Boulatov ( ou Michael Burdzelian).
Les adeptes de l'art pur (et pas seulement eux) expriment parfois des jugements assez catégoriques et sans appel, tels que "Un tableau ne représente rien, ne doit rien représenter d'abord que des couleurs..." -Cézanne, "la métaphysique est l'art de dire des choses extrêmement stupides dans un langage brumeux et obscur" - le compositeur Debussy. Sans commentaires.
A l'opposé de ces prescriptions tranchantes, Yankilevsky envisage l'art dans une perspective interdisciplinaire et son approche esthétique renvoie à une perception holistique du monde et se manifeste en diverses hypostases. C'est ainsi que le peintre peut être identifié en tant qu'anthropologue (sa problématique est kantienne- qu'est-ce que l'homme?), en tant que psychologue réfléchissant sur la polarité du féminin et du masculin et sur la nature de leur complémentarité et la conjonction de ces opposés, comme sociologue - la sociologie lui fournit les clés de prédiction des futures changements radicaux dans les pratiques sociales de l'époque à venir - selon les passages en file d'ouvertures des fenêtres d'Overton. Et ce n'est pas un hasard que l'on retrouve une telle attention de la part de Vladimir Yankilevsky à la figure du prophète.
La forme du Triptyque occupe une place prépondérante dans l'oeuvre du peintre. Cette structure tripartite devient, dès le début de ses activités, son outil de prédilection de l'expression de ses idées, et avec les Pentaptyques prédomine dans son arsenal créatif. Le principe de base du recours aux archétypes féminins et masculins et à leur union virtuelle dans l'espace central spiritualisé se révèle en tant qu'idée conceptuelle fondamentale. On retrouve ce modèle dualiste dans diverses traditions culturelles. Il suffit de mentionner l'alliance des Yin et Yang du Taoïsme chinois, la fusion de l'élément féminin - la Shakti (laquelle, d'ailleurs, possède un tempérament très dynamique) avec les dieux de son choix - Shiva, Vishnu etc.- dans la mythologie hindoue. Ce canon réapparaît et dans la psychologie analytique de Karl Jung où ces mêmes fonctions sont attribuées aux archétypes de Anima et de Animus. Egalement, on pourrait évoquer la triade hegelienne -thèse, antithèse, synthèse.
Il est intéressant de noter qu'en dépeignant l'archetype féminin Yankilevsky s'appuyait sur les traditions archaïques. Souvenons-nous des figurines de Vénus paléolithiques ( les Déesses Mères) avec les marques sexuelles prononcées, sur les sculptures en pierre des personnages privés de traits individuels dans les cultures diverses - Maya,Inca ou en Inde,sculptures sur les temples.Toutefois, une signification importante acquiert l'introduction d'îlots étincelants contenant de la lumière éblouissante de blancheur dans la texture générale de l'univers pictural - un peu plus prosaïque, néanmoins ritualisé. Poursuivant ses investigations dans le domaine du comportement humain dans la lo gique du behaviorisme, on constate dans cette intégration de cette lumière dans la structure globale du tableau un certain parallélisme avec l'allégorie platonicienne bien connue de la Caverne. Ainsi, cette introduction du symbole lumineux de la réalité transcendante révèle l'ambition secrète d'idées artistiques du peintre. En raisonnant par analogie, on peut citer le "Livre des morts tibétain" dans lequel figure la description de la rencontre de la conscience du défunt avec une lumière supraradieuse, et vient également à l'esprit le phénomène similaire de l'expérience de la Mort imminente ( EMI )- je pense notamment aux multiples témoignages des personnes entrant dans une sorte de tunnel empli de la lumière rayonnante.
De manière assez paradoxale, les Triptyques et les Pentaptyques imprégnés par les réflexions du peintre ä connotation anthropologique et métaphysique, c'est-à-dire se rattachant à l'art de l'esprit "élevé" et d'une certaine façon ritualisé, on se retrouve confronté - vient à l'esprit le double visage de Janus -à son antipode: à l'art caricatural et extrêmement caustique brassant le portrait d'une société humaine fantasmagorique et en pleine décomposition.
Dans ce monde grotesque, des principaux personnages représentés sont "des gens dans les boîtes",des mutants humains, des biorobots, des féministes extravagantes et hystériques. Le sujet de mutants abordé par Yankilevsky est devenu assez pertinent à l'heure actuelle -en relation avec le glissement de la société actuelle vers le bord du précipice, exactement comme dans la "Parabole de l'aveugle" de Brueghel. Les ambitions désinvoltes transhumanistes préfigurent déjä la création des golems dans les ateliers de Frankenstein et, étrangement, des apprentis sorciers d'aujourd'hui éprouvent avec cela une espèce de fierté nécrophile déplacée. Le post-homme ,en train d'être enfanté, deviendra, suivant la définition du biologiste Sergej Savelyev, un post-idiot. Il est surprénant que la problématique dela civilisation désacralisée et agonisante concernait à ce point le peintre déjà à l'époque révolue. Et on se heurte à un environnement cliniquement sûr d'avoir toujours raison, à des "machines désirantes" avec leur rhétorique agressive des corps, ainsi qu'à des hallucinations de la théorie du genre. D'oû cette constatation que ce programme doctrinaire et endoctrinant nous oriente fatalement vers l'univers de Jerôme Bosch et, tout particuliérement,vers la "Nef des fous", D'ailleurs, un historien russe a déjà défini notre époque comme étant celle de Bosch.
Mais en revenant quand même à la sphère cognitive, j'aimerais me tourner vers le cycle fascinant d'autoportraits du peintre dans lesquels il aspire à accéder à la topographie de son propre cerveau en se plaçant sur les positions du scientisme. Cependant, on se rend vite compte que l'artiste emploie cette méthodologie avec une certaine dose d'ironie. Ces autoportraits à l'imagination débordante, comme ceux insérés dans les paysages oniriques et d'autres où le visage du peintre commence à coexister avec son double provenant d'une autre époque ( les autoportraits "hybrides"), produisent une vive impression. Somme toute, je pourrais situer ce cycle d'autoportraits à côté des séries d'autoportraits de Rembrandt, van Gogh, Frida Kahlo ou Andy Warhol.
N'étant qu'amateur de la "musique figée"- l'architecture, ainsi que de la peinture, je n'aimerais pas me charger de questions d'ordre technique. En fait, la motivation profonde d'un créateur ne peut résider que dans la sphère métaphysique de questions fondamentales et dans le contexte de la quête du sens de l'existence humaine.
D'autre part, il existe de nombreux adeptes de "l'art pur" - aussi parmi les grands créateurs. Ce classement en deux groupes des "purs" et "visionnaires"est évidemment très schématique, mais il serait incohérent d'ignorer une telle dichotomie. A titre d'exemple,je pourrais citer les créateurs aussi contrastés etantithétiques comme le galvanisant Tintoretto ( ou l'inégalable El Greco) - la magie picturale de Titien, Rembrandt- Vermeer, Caravage - Poussin, van Gogh-Renoir, Vroubel - Serov (ou le pétillant Koustodiev), Magritte - l'expressionisme décoratif de Bacon, ainsi que nos contemporains: Yankilevsky - Boulatov ( ou Michael Burdzelian).
Les adeptes de l'art pur (et pas seulement eux) expriment parfois des jugements assez catégoriques et sans appel, tels que "Un tableau ne représente rien, ne doit rien représenter d'abord que des couleurs..." -Cézanne, "la métaphysique est l'art de dire des choses extrêmement stupides dans un langage brumeux et obscur" - le compositeur Debussy. Sans commentaires.
A l'opposé de ces prescriptions tranchantes, Yankilevsky envisage l'art dans une perspective interdisciplinaire et son approche esthétique renvoie à une perception holistique du monde et se manifeste en diverses hypostases. C'est ainsi que le peintre peut être identifié en tant qu'anthropologue (sa problématique est kantienne- qu'est-ce que l'homme?), en tant que psychologue réfléchissant sur la polarité du féminin et du masculin et sur la nature de leur complémentarité et la conjonction de ces opposés, comme sociologue - la sociologie lui fournit les clés de prédiction des futures changements radicaux dans les pratiques sociales de l'époque à venir - selon les passages en file d'ouvertures des fenêtres d'Overton. Et ce n'est pas un hasard que l'on retrouve une telle attention de la part de Vladimir Yankilevsky à la figure du prophète.
La forme du Triptyque occupe une place prépondérante dans l'oeuvre du peintre. Cette structure tripartite devient, dès le début de ses activités, son outil de prédilection de l'expression de ses idées, et avec les Pentaptyques prédomine dans son arsenal créatif. Le principe de base du recours aux archétypes féminins et masculins et à leur union virtuelle dans l'espace central spiritualisé se révèle en tant qu'idée conceptuelle fondamentale. On retrouve ce modèle dualiste dans diverses traditions culturelles. Il suffit de mentionner l'alliance des Yin et Yang du Taoïsme chinois, la fusion de l'élément féminin - la Shakti (laquelle, d'ailleurs, possède un tempérament très dynamique) avec les dieux de son choix - Shiva, Vishnu etc.- dans la mythologie hindoue. Ce canon réapparaît et dans la psychologie analytique de Karl Jung où ces mêmes fonctions sont attribuées aux archétypes de Anima et de Animus. Egalement, on pourrait évoquer la triade hegelienne -thèse, antithèse, synthèse.
Il est intéressant de noter qu'en dépeignant l'archetype féminin Yankilevsky s'appuyait sur les traditions archaïques. Souvenons-nous des figurines de Vénus paléolithiques ( les Déesses Mères) avec les marques sexuelles prononcées, sur les sculptures en pierre des personnages privés de traits individuels dans les cultures diverses - Maya,Inca ou en Inde,sculptures sur les temples.Toutefois, une signification importante acquiert l'introduction d'îlots étincelants contenant de la lumière éblouissante de blancheur dans la texture générale de l'univers pictural - un peu plus prosaïque, néanmoins ritualisé. Poursuivant ses investigations dans le domaine du comportement humain dans la lo gique du behaviorisme, on constate dans cette intégration de cette lumière dans la structure globale du tableau un certain parallélisme avec l'allégorie platonicienne bien connue de la Caverne. Ainsi, cette introduction du symbole lumineux de la réalité transcendante révèle l'ambition secrète d'idées artistiques du peintre. En raisonnant par analogie, on peut citer le "Livre des morts tibétain" dans lequel figure la description de la rencontre de la conscience du défunt avec une lumière supraradieuse, et vient également à l'esprit le phénomène similaire de l'expérience de la Mort imminente ( EMI )- je pense notamment aux multiples témoignages des personnes entrant dans une sorte de tunnel empli de la lumière rayonnante.
De manière assez paradoxale, les Triptyques et les Pentaptyques imprégnés par les réflexions du peintre ä connotation anthropologique et métaphysique, c'est-à-dire se rattachant à l'art de l'esprit "élevé" et d'une certaine façon ritualisé, on se retrouve confronté - vient à l'esprit le double visage de Janus -à son antipode: à l'art caricatural et extrêmement caustique brassant le portrait d'une société humaine fantasmagorique et en pleine décomposition.
Dans ce monde grotesque, des principaux personnages représentés sont "des gens dans les boîtes",des mutants humains, des biorobots, des féministes extravagantes et hystériques. Le sujet de mutants abordé par Yankilevsky est devenu assez pertinent à l'heure actuelle -en relation avec le glissement de la société actuelle vers le bord du précipice, exactement comme dans la "Parabole de l'aveugle" de Brueghel. Les ambitions désinvoltes transhumanistes préfigurent déjä la création des golems dans les ateliers de Frankenstein et, étrangement, des apprentis sorciers d'aujourd'hui éprouvent avec cela une espèce de fierté nécrophile déplacée. Le post-homme ,en train d'être enfanté, deviendra, suivant la définition du biologiste Sergej Savelyev, un post-idiot. Il est surprénant que la problématique dela civilisation désacralisée et agonisante concernait à ce point le peintre déjà à l'époque révolue. Et on se heurte à un environnement cliniquement sûr d'avoir toujours raison, à des "machines désirantes" avec leur rhétorique agressive des corps, ainsi qu'à des hallucinations de la théorie du genre. D'oû cette constatation que ce programme doctrinaire et endoctrinant nous oriente fatalement vers l'univers de Jerôme Bosch et, tout particuliérement,vers la "Nef des fous", D'ailleurs, un historien russe a déjà défini notre époque comme étant celle de Bosch.
Mais en revenant quand même à la sphère cognitive, j'aimerais me tourner vers le cycle fascinant d'autoportraits du peintre dans lesquels il aspire à accéder à la topographie de son propre cerveau en se plaçant sur les positions du scientisme. Cependant, on se rend vite compte que l'artiste emploie cette méthodologie avec une certaine dose d'ironie. Ces autoportraits à l'imagination débordante, comme ceux insérés dans les paysages oniriques et d'autres où le visage du peintre commence à coexister avec son double provenant d'une autre époque ( les autoportraits "hybrides"), produisent une vive impression. Somme toute, je pourrais situer ce cycle d'autoportraits à côté des séries d'autoportraits de Rembrandt, van Gogh, Frida Kahlo ou Andy Warhol.
Pour conclure cette brêve exploration de l'univers de Vladimir Yankilevsky, je voudrais mentionner plusieurs oeuvres importantes du peintre auxquelles je reviens souvent: "Crépuscule" (1970 ), "la Porte (1972 ), "Light and Dark" (1978), "Torse" (1985), Triptych "Autoportrait" (à la mémoire du père,1987)," la Porte.2"- l'Espace du rêve" (2004).
Alexandre Rabinovitch-Barakovsky (14.02.2021)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.