09 mars 2021

« Disintégration », d’Andrei Martyanov

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C’est le troisième livre d’Andrei Martyanov que je passe en revue. Le premier était « Losing Military Supremacy : the Myopia of American Strategic Planning » [Perdre la suprématie militaire : la myopie de la planification stratégique américaine], tandis que le second était « The (Real) Revolution in Military Affairs » [La (véritable) révolution dans les affaires militaires]. J’ai également interviewé Andrei à propos de son deuxième tome. Le livre que je passe en revue aujourd’hui, « Disintegration : Indicators of the Coming American Collapse » [Désintégration : les signes du proche effondrement américain] peut être pré-commandé auprès de Clarity Press et d’Amazon.
Si les deux premiers tomes portaient essentiellement sur les sujets de la planification des forces et de la puissance militaire, le troisième aborde un contexte plus large et montre, exemple après exemple, que les États-Unis, non seulement échouent dans leurs tentatives de conserver leur statut d’hégémon mondial, mais qu’ils sont, en fait, dans un processus que nous pourrions appeler « d’effondrement total » ou, comme Martyanovn le qualifie simplement, de « désintégration ». Le livre examine plus en profondeur la forme que prend cette désintégration dans les domaines suivants :
  • Consommation
  • Santé
  • Géoéconomie
  • Énergie
  • Faire les choses
  • Les élites occidentales
  • Perdre la course aux armements
  • Empire Über Alles – Y compris les Américains
  • Être ou ne pas être
Conclusion : Pas exceptionnel, pas libre et pas prospère donc pas l’Amérique ?

Il s’agit de titres de sujets alléchants que je ne décrirai pas plus en détail car je veux vraiment encourager le plus grand nombre possible de personnes à lire ce livre. Pourquoi ?

Parce que si les deux premiers livres de Martyanov traitaient principalement de questions militaires et géostratégiques, celui-ci va beaucoup plus loin et examine les raisons socioculturelles qui créent le contexte d’un manque aussi dramatique de capacités militaires réelles.

Il y a un mois, j’ai écrit un article intitulé « Une zone B existe, donc il y a de l’espoir, je vous le promets » dans lequel j’ai essayé de montrer que la pseudo « réalité » dans laquelle la plupart des gens en Occident sont maintenus artificiellement par la machine de propagande la plus efficace (et la plus insidieuse) de l’histoire n’est pas du tout la « vraie réalité » ! Non seulement cela, mais aussi le fait que la majeure partie de la planète vit dans la « zone B » depuis un certain temps. En fait, cette « zone B » a déjà évolué, même si les médias grand public n’en parle jamais.

Eh bien, vous pouvez considérer les livres de Martyanov comme l’exemple parfait d’un « livre venant de la zone B » : non seulement Martyanov déboulonne la plupart des mythes de la machine de propagande américaine, mais en plus il compare ces illusions avec des exemples du monde réel.

Vous pouvez n’acheter qu’un seul livre de Martyanov, et lire chacun d’eux indépendamment, mais je les considère vraiment comme une trilogie qui devrait être lue et discutée par le plus grand nombre possible de personnes en Occident.

En fait, on pourrait les considérer comme une sorte de « cours accéléré sur la façon de démystifier les illusions et de revenir à la réalité ». Le message principal de ces trois volumes est le suivant : « Peuple des États-Unis, vos élites dirigeantes vous mentent, tout comme l’orchestre de chambre du Titanic continuait à jouer de la musique alors que le Titanic, soi-disant « insubmersible », était en train de couler ! »

Il est intéressant de noter que Martyanov ajoute que, de toutes les nations, les Russes comprennent ces processus mieux que quiconque car ils ont eux aussi subi le même sort pendant le « cauchemar démocratique des années 1990 » (j’ajouterais que les descendants de Russes blancs comme moi se souviennent également du « cauchemar démocratique », sous Kerenskii en 1917). Martyanov écrit :
« L’effondrement de l’Union soviétique et la catastrophe économique qui a suivi ont beaucoup appris aux Russes, et ont également laissé un arrière-goût d’humiliation, dû à la perte de pouvoir ; un processus que les États-Unis traversent en ce moment ».

À vrai dire, Martyanov n’est pas le premier à avoir mentionné les étranges similitudes entre l’Union soviétique de la fin des années 80, ou la Russie des années 90, et les États-Unis des deux dernières décennies (ou plus). Par exemple, Martyanov mentionne Dmitri Orlov dont les nombreux livres ont examiné ce qu’il appelle les « stades de l’effondrement » (financier, économique, politique, social, culturel et, plus tard, il a ajouté écologique) et sont devenus un précieux outil d’analyse pour de nombreux chercheurs. Plusieurs décennies plus tôt, Alexandre Soljenitsyne, que Martyanov déteste profondément, mentionnait aussi souvent que l’Occident des années 80 lui rappelait la Russie du début du XXe siècle. Ceci pour illustrer le point de vue de Martyanov selon lequel,
« Pour parler en termes simples, les Russes ont compris. Ils, contrairement à d’autres personnes dans le monde, peuvent comprendre ce que les États-Unis traversent en ce moment. Les Russes peuvent très bien en lire les signes, alors que l’élite américaine n’a non seulement aucune expérience en la matière mais est incapable de la comprendre. C’est la tragédie de l’Amérique qui se déroule sous nos yeux. Non seulement la crise américaine est systémique, mais ses élites sont incultes, mal éduquées et hypnotisées par des décennies de leur propre propagande, qu’elles finissent par prendre pour la réalité ».

Je ne pourrais pas être plus d’accord. J’ajouterais également que les Russes qui écrivent des livres et des articles essayant désespérément d’avertir le peuple des États-Unis d’une véritable catastrophe en cours le font non pas parce qu’ils sont hostiles aux États-Unis, mais précisément parce qu’ils aiment son peuple. Les pseudo-patriotes brandissant le drapeau qui accusent ces Russes d’être « anti-américains » ne comprennent tout simplement pas les « méchants Russes » qu’ils détestent tant (principalement parce que la Russie moderne sous Poutine a connu un succès fantastique, malgré les sanctions, les menaces, la subversion, etc., alors que les États-Unis sont à l’agonie ; c’est pourquoi ces gens sont prêts à croire n’importe quelle mauvaise nouvelle, aussi stupide soit-elle, à propos de la Russie et/ou de Poutine).

Oui, bien sûr, les Russes détestent et méprisent la Nomenklatura américaine, tout comme ils ont méprisé leur propre Nomenklatura soviétique. Mais cela n’implique en aucun cas ce que beaucoup confondent avec une hostilité « anti-américaine ».

Note de l'Auteur :  En presque 58 ans de vie, j'ai eu la chance de beaucoup voyager et de parler six langues, mais je n'ai jamais rencontré ce que j'appellerais de "l'anti-américanisme". Même dans les pays soi-disant hostiles aux États-Unis, la colère et le dégoût des gens se concentrent en fait sur les actions de l'empire anglo-sioniste, cet affreux parasite qui se nourrit de son hôte américain. Prenez un pays comme le Brésil, par exemple. Les sentiments "anti yankees" y ont toujours été très forts, mais les musiciens brésiliens sont connus pour fusionner magnifiquement la musique américaine et brésilienne (voir ce superbe exemple). Il en va de même ailleurs : les gens détestent la politique américaine, mais très rarement les habitants des États-Unis. À l'heure actuelle, à en juger par l’internet russe et les courriels d'amis, les Russes éprouvent surtout de la pitié pour le peuple américain, et non de la haine, et ce parce qu'ils "comprennent", comme le dit correctement Martyanov. Bien sûr, il y a des gens stupides et/ou fanatiques dans tous les pays et je suis sûr qu'il y en a qui haïssent les États-Unis en tant que pays, mais je suis sûr qu'il s'agit d'une petite minorité. Il reste une catégorie intéressante : ceux qui deviennent critiques envers la société américaine après avoir vécu aux États-Unis ; un exemple célèbre de cela serait Sayyid Qutb.

Rien de tout cela n’est destiné à blanchir toute la violence et la laideur de la courte mais extrêmement violente histoire des États-Unis. Mais la violence et la laideur existent dans l’histoire de probablement tous les pays de la planète (il y a certainement eu beaucoup de violence et de laideur dans l’histoire de la Russie !) Il est vrai que les États-Unis ont probablement été l’un des régimes les plus sanglants et les plus violents de l’histoire, mais cette violence doit être attribuée à l’impérialisme et au capitalisme et non à quelque chose d’unique aux États-Unis (l’Empire britannique a peut-être été le plus violent criminellement de l’histoire). Il est encore plus important de comprendre que dans l’histoire des États-Unis, la plupart des violences trouvent leur origine non pas dans des causes nationales ou raciales, mais dans les nombreuses luttes sociales ou, mieux, de classe qui ont émaillé l’histoire des États-Unis. Là encore, les discussions sur les problèmes de classe ont été complètement effacées de tous les manuels scolaires de la zone A, privant ceux qui ont eu le malheur d’être éduqués en Occident d’un des outils les plus importants de l’analyse politique et économique.

L’importance de ce qui précède ne peut être surestimée et c’est pourquoi Martyanov revient sans cesse sur le thème de l’éducation des classes dirigeantes occidentales. Dans les dernières pages de Désintégration, Martyanov écrit :

« Ainsi, aucune idée ou solution viable à la catastrophe économique, sociale et culturelle qui se déroule actuellement ne peut émaner de ces élites, qui ne voient le monde qu’à travers les lunettes de Wall Street et du New York Times. La véritable intelligence, le courage et l’intégrité ne sont tout simplement pas là : Tout cela a été échangés contre les avantages et les inconvénients de ce que beaucoup décrivent à juste titre comme la vie au sein de la mafia de Washington D.C., dont le seul but est l’auto-perpétuation. »

J’ajouterais seulement qu’il y a une ironie karmique dans le fait que c’est précisément parce que ces classes dominantes n’ont pas d’autre but dans la vie que l’auto-perpétuation (et la consommation, j’ajouterais) qu’elles se dirigent, ainsi que le pays qu’elles exploitent, vers l’extinction.

Conclusion : ce sont des livres « à lire absolument » par toute la zone A ! (et même la zone B !)

Enfin, c’est précisément parce que les livres de Martyanov sont comme des « messages provenant de la zone B » que j’invite toute personne vivant aux États-Unis ou dans l’Union européenne à les lire. Comme je l’ai dit, chacun de ces livres se suffit à lui-même, mais ensemble ils atteignent une sorte de masse critique intellectuelle qui en font des livres vraiment « à lire », en particulier pour ceux qui détestent leur régime au pouvoir mais aiment leur pays.

Ces livres sont tous assez courts, très bien écrits, ils ont des index décents (mais pas parfaits) et sont faciles à lire. Si vous voulez avoir un superbe résumé de ce qui se passe « vraiment » aux États-Unis (par opposition à la propagande anglo-sioniste franchement risible ou aux slogans insignifiants et carrément enfantins des « patriotes de Trump » qui agitent leur drapeau), lisez ces livres. Si vous avez des amis dont le cerveau est lavé, offrez-leur n’importe lequel (ou mieux, tous) de ces livres : ils sont comme un « cours accéléré d’études de la réalité ». Si vous avez des membres de votre famille qui croient encore à toutes ces absurdités sur « l’exception américaine », mettez-les au défi de lire ces livres.

Les personnes vivant dans la zone B tireraient également un grand profit de la lecture des livres de Martyanov. Non pas parce que ces livres leur apprendront beaucoup de choses qu’ils ne savent déjà, au moins vaguement, mais parce que ces livres sont aussi une sorte de SITREP très véridique de l’« État des États-Unis ».

D’après mon expérience, si la plupart des gens (du moins les plus instruits) de la zone B comprennent que l’Empire est mort (ou très proche de la mort) et s’ils ont également le sentiment que les États-Unis subissent une catastrophe interne massive, la plupart de ces gens de la zone B n’apprécient pas pleinement l’ampleur et la gravité de ces crises. Pour eux aussi, les livres de Martyanov seront une révélation. C’est aussi pourquoi j’espère que les trois livres de Martyanov seront rapidement traduits en russe : ils deviendront instantanément des blockbusters et, ce qui est encore plus important, ils seront lus dans les académies et les universités russes. Le français et l’espagnol sont deux autres langues dans lesquelles j’espère que ces livres seront traduits.

Mais surtout, j’espère (contre tout bon sens ou logique) que ces livres seront lus par des officiers américains vraiment patriotes, des planificateurs de l’armée, des analystes, des décideurs politiques, etc. En ce moment, il y a une réelle menace que ces gens tombent dans une guerre militaire contre la Russie à laquelle les USA ne survivront pas (ni la Russie ni une grande partie du reste du monde, bien sûr). Mais même si par miracle cette guerre potentielle reste non nucléaire, les États-Unis seront quand même détruits, au moins en tant que pays en état de fonctionnement, par les capacités conventionnelles russes. Il s’agit là du plus grand danger et du désastre que des auteurs comme Martyanov tentent désespérément d’éviter : une guerre majeure causée par une Nomenklatura ignorante au pouvoir, impliquant un pays (les États-Unis) qui n’a jamais eu l’expérience d’une guerre défensive dans son histoire et qui n’a jamais connu de véritable guerre sur son sol, surtout pas contre un adversaire compétent. Je ne peux qu’ajouter qu’en cas de guerre classique, la Russie a maintenant les moyens de défendre non seulement son espace aérien, mais aussi la « zone proche de la frontière russe », sur une profondeur d’environ 800 à 1000 km (et cette portée augmente régulièrement). Les États-Unis ne le peuvent pas. L’UE et l’OTAN ne le peuvent pas non plus. Et malgré toutes les promesses idiotes du MIC+Pentagone concernant des missiles super-développés, ce n’est pas quelque chose qui va changer à court ou moyen terme.

Plus les Américains en prendront conscience, meilleures seront les chances d’éviter une terrible catastrophe. D’où l’importance des livres d’Andrei Martyanov, qui arrivent à point nommé.

The Saker

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